Au Mali, le BTP s'effondre dans le silence
Entre manque d’investissements, impayés de l’État et pression fiscale, le secteur du BTP (Bâtiment et Travaux Publics) traverse une crise profonde.

Autrefois pourvoyeur d’emplois et symbole du dynamisme économique du Mali, le BTP (Bâtiment et Travaux Publics) n’est plus que l’ombre de lui-même. Sa situation reflète les tensions économiques et financières profondes que traverse le pays.
Cette crise se répercute sur l’ensemble de l’économie, car un seul chantier peut faire vivre tout un écosystème : fournisseurs, transitaires, commerçants, banques et même les localités voisines en bénéficient. Comme le dit l’adage : « Quand le BTP va, tout va ; quand il s’arrête, tout s’arrête. »
Les entreprises (bureaux d’études, cabinets d’architecture, ingénierie civile, etc.) subissent de plein fouet cette situation. Selon des informations recueillies par le journal Le Wagadu auprès de plusieurs sources concordantes, le personnel du secteur se retrouve dans un dénuement total. Ayant perdu leur emploi, maçons, manœuvres, ferrailleurs, techniciens, ingénieurs… ont vu leur quotidien bouleversé par la crise. « Le secteur est à genoux », confie un entrepreneur interrogé par Le Wagadu. Assis dans son bureau, le visage fermé, il s’interroge sur l’avenir du secteur dans un Mali embourbé dans une crise sans fin.
Parmi les nombreux problèmes rencontrés, le manque de financement arrive en tête. Au Mali, il est de notoriété publique que la plupart des grands projets nécessitent un financement extérieur. Lequel est généralement assuré par les partenaires techniques et financiers. Avec la crise multidimensionnelle que traverse le pays, la quasi-totalité de ces partenaires se sont retirés, laissant un vide immense. L’État, censé prendre le relais dans de telles circonstances, peine à jouer son rôle, englué dans la crise sécuritaire.
Conséquence : aucun investissement significatif dans le secteur depuis des années. Sans nouveaux marchés, les entreprises se retrouvent confrontées à leurs charges fixes et à leurs créanciers, notamment les banques.
Pourtant, la réhabilitation des infrastructures routières et autres est plus que nécessaire. « La prochaine crise sera celle des routes », alerte une source crédible. De nombreuses voies ont dépassé le simple besoin d’entretien : elles sont aujourd’hui éligibles à une reconstruction complète.
Mais faute de moyens, ces travaux ne peuvent être engagés, glissent plusieurs sources concordantes. Investir dans les routes, c’est investir dans le développement, martèle un expert du secteur. « Ce sont des dépenses qui génèrent une dynamique économique. »
À cela s’ajoute un autre fléau : le non-paiement des prestations réalisées. De nombreuses entreprises ont travaillé pour les Conseils de cercle sans jamais être payées. Avec la suppression de ces structures par le gouvernement de transition, les entrepreneurs n’ont parfois plus d’interlocuteurs. « Il faut attendre des années pour espérer un paiement après avoir terminé les travaux », témoigne l’un d’eux. Résultat : certains finissent par déposer le bilan, sous le poids de leurs dettes contractées auprès des banques pour financer les chantiers.
Un meilleur contrôle du secteur informel
Ces arriérés font partie de la dette intérieure du Mali, estimée à près de 3 000 milliards de francs CFA en 2024. Son apurement reste un casse-tête pour les autorités de la transition, accentuant les difficultés économiques du pays.
Le FMI a d’ailleurs recommandé de régler cette dette pour relancer l’économie. En octobre 2024, le gouvernement avait promis de débloquer 200 milliards de FCFA, soit à peine 5% du montant total. « Une goutte d’eau dans l’océan », commente un entrepreneur sous couvert d’anonymat.
Comme si cela ne suffisait pas, les entreprises doivent aussi composer avec la pression fiscale. Déjà en difficulté, elles subissent les rigueurs de l’administration. « La fiscalité a toujours été un problème pour le secteur privé malien », confie une bonne source, qui plaide pour une réduction des taxes sur l’emploi afin de favoriser la création d’emplois formels.
Selon elle, le vrai problème réside dans la faiblesse de l’assiette fiscale : seulement 5% de la population paie 95% des impôts. Un élargissement de l’assiette fiscale est donc indispensable, ce qui passe nécessairement par un meilleur contrôle du secteur informel.
Abdrahamane SISSOKO
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