Lors de ce sommet, les chefs d’État du G5 Sahel ont salué le lancement, par la France et l’Allemagne, de l’initiative du partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S). Ils ont également souhaité une «accélération» et une «amplification» des efforts de formation, d’aguerrissement, de soutien logistique, d’entraînement et d’équipements des armées des pays du G5 Sahel.Ce deuxième pilier entièrement dédié au «renforcement des capacités militaires des États de la région» s’appuiera sur les efforts déjà engagés par les Nations unies et par les missions de formation de l’Union européenne. Et pourra inclure un accompagnement au déploiement des armées des pays du G5 Sahel avec le soutien de l’Union africaine et de la communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Un effort qui, là encore, est le bienvenu pour réconcilier les populations du Sahel avec leurs forces armées et de sécurité. Car, si une «dichotomie existe parfois», à cause d’un manque de comportement républicain de la part des militaires africains, «elle n’est pas inéluctable», selon Kag Sanoussi. Fondateur et président de l’Institut international de gestion des conflits (IIGC), dont le siège est à Lille, devenu expert en gestion «négociationale» des conflits, il effectue de nombreuses missions en Centrafrique ou bien au Togo, son pays d’origine.
«La Centrafrique a été capable de rebâtir son armée en totale communion avec la population et en osmose avec tous les groupes. Les Français et les Russes sont certes présents, mais, devant, pour livrer les combats, c’est l’armée centrafricaine. Alors pourquoi en serait-il autrement au Sahel?», s’interroge l’expert au micro de Sputnik France.
Même si la maturité des forces du G5 Sahel peut être questionnée, selon le président d’IIGC, il n’en reste pas moins qu’elles gardent l’avantage en ce qui concerne, par exemple, le renseignement humain. C’est d’ailleurs, selon lui, la principale force des troupes africaines «
qui peuvent infiltrer l’ennemi à condition d’être formées et accompagnées de façon adéquate», insiste-t-il.
Aussi, s’il est d’accord pour que la France soit une «force d’accompagnement» dans ce processus de réhabilitation des armées nationales, il en appelle à un rétablissement de la tutelle des États nationaux sur l’ensemble des territoires et auprès de toutes les composantes des populations. C’est aussi, selon lui, le meilleur moyen pour résorber les trafics en tous genres, notamment le trafic de drogue dont on sait qu’il contribue grandement à financer le terrorisme.
«La réponse efficace contre le terrorisme est conditionnée à un réveil des citoyens et de la classe politique de manifester une volonté affichée d’en découdre avec les groupes armés djihadistes. Les tensions et tergiversations politiques devraient être rapidement résorbées afin de mobiliser toutes les ressources et énergies nationales pour la lutte contre le terrorisme avec la mise à contribution des populations, partout où c’est possible», affirme de son côté Paul Kananura.
Au sommet de Pau, l’engagement a été pris de mettre en place toutes les mesures visant à accélérer un retour de l’administration et des services publics sur l’ensemble des territoires. Les chaînes pénale et judiciaire, essentielles pour le retour de l’État de droit, sont ciblées ainsi que, spécifiquement, la région de Kidal, au nord du Mali où l’État malien n’a pas pu être rétabli depuis la sécession du MNLA.
Dans le cadre du partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S), seront également ciblées les interventions des États du G5 Sahel sur la formation et le déploiement et ce, jusqu’au niveau local de personnels en matière d’administration civile, de sécurité intérieure (police, gendarmerie, douanes) et de justice.
Quelles alliances pour le Sahel?
À la question de savoir quels seraient les meilleurs partenariats, sur les plans régional et international, pour lutter plus efficacement contre la dégradation de la situation sécuritaire, nos trois analystes divergent. Pour Gilles Yabi, tout dépend de ce que les États sahéliens eux-mêmes décident. S’ils veulent, par exemple, renforcer en priorité leurs institutions militaires ou civiles, il leur sera plus facile de trouver des partenaires pour le faire.
«La France ainsi que les États-Unis remplissent déjà ce rôle d’assistance militaire et civile, à des degrés divers. D’autres pays peuvent se substituer ou conclure des accords de défense. Mais il faut garder en tête que c’est toujours au niveau des ressources humaines que le bât blesse en Afrique. Particulièrement, le manque de ressources dans les ministères de la Défense comme dans la plupart des administrations publiques. Et ce serait un leurre de croire qu’un partenariat est possible sans qu’il y ait un pilotage préalable des États!», insiste-t-il.
Pour Kag Sanoussi, la CEDEAO a un rôle incontestable à jouer dans la défense du Sahel à condition qu’elle s’en donne les moyens. D’autant que la menace djihadiste, qui s’est focalisée jusqu’à présent sur les États du G5 Sahel, est en train de s’étendre aux États côtiers. L’Algérie, le Maroc, le Sénégal, le Nigeria et l’Afrique du Sud constituent, à ce titre, une «
deuxième ceinture», tandis que la Centrafrique, le Cameroun, le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire, eux, sont déjà menacés. La (nouvelle) coalition pour le Sahel est, selon lui, un «
coup de poker» qui peut soit provoquer une recrudescence d’attaques djihadistes, soit un véritable «
sursaut» avec la mise en place de moyens beaucoup plus conséquents.
«Jusqu’à présent, toute alliance pour le Sahel était perçue comme profitant surtout à la France. D’où un manque d’implication de la part des autres pays européens afin de ne pas empiéter dans le pré carré français. Cette perception est en train de changer. De nouvelles pistes de coopération militaire et d’accompagnement dans la collecte de renseignements sont en train de s’ouvrir, avec la Chine et la Russie notamment. La France n’en sortira pas forcément perdante car il vaut mieux 50% d’un contrat sur la durée que 90% qui peuvent vous échapper à tout moment», estime pour sa part Kag Sanoussi.
Pour Paul Kananura, les rumeurs de désengagement des États-Unis au Sahel ouvrent des perspectives de coopération sécuritaire avec la Chine, qui est déjà très présente sur le continent, et la Russie, qui y fait son retour depuis le sommet de Sotchi. «
Ces deux puissances ne demandent qu’à occuper le terrain laissé vacant!», avertit-il. L’expérience antiterroriste de la Russie avait d’ailleurs été sollicitée par certains chefs d’État africains, à Sotchi, pour éviter l’accroissement du chaos en Libye et l’instabilité au Sahel.
Aucune mention n’a été faite, toutefois, de savoir si Moscou
l’avait à nouveau été lors du sommet de Pau. L’avantage pour les États du G5 Sahel, pourtant, est clair, selon le président de l’institut Mandela. Car les nouveaux soutiens militaires pourraient permettre de «
pallier la faiblesse des armées, tout en contribuant à la remise à plat de l’organisation, des objectifs et des actions sécuritaires au Sahel», affirme-t-il.
«Toutefois, l’action militaire, même efficace, ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d’une politique de développement vivable. Car la pauvreté et les injustices sont les premières causes du recrutement des jeunes pour le djihad», insiste par ailleurs l’analyste rwandais.
En juillet 2017, sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France, l’Alliance pour le Sahel avait été lancée mais elle est restée déconnectée jusqu’à présent de l’action sécuritaire. En plus d’un recours plus systématique à une programmation conjointe, tenant compte des priorités des pays membres du G5 Sahel, ces derniers ont demandé, à nouveau, la concrétisation des engagements pris en décembre 2018 à la Conférence des donateurs de Nouakchott pour la mise en œuvre du Programme d’investissement prioritaire (PIP) du G5 Sahel.
Un nouveau sommet associant les États du G5 Sahel et la France se tiendra en juin 2020 à Nouakchott, dans le cadre de la présidence mauritanienne du G5 Sahel. D’ici là, le suivi des engagements pris à Pau sera effectué au niveau des ministres des Affaires étrangères et des ministres des Armées et de la Défense, selon le communiqué de l’Élysée.
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