Abdoullah Coulibaly fondateur du forum et vice-président de la fondation du forum de Bamako / « La priorité des priorités dans le cas du Mali, c’est la réconciliation »

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Le Républicain : Nous venons juste de sortir de la 14ème Édition du forum de Bamako et c’est déjà l’heure du bilan. Pouvez-vous nous situer sur la participation en termes de ressources humaines et de qualité des communications ?

 Abdoullah Coulibaly : A la sortie de cette 14ème édition, pour une fois, je dis bravo aux maliens. Parce que la participation a été assez importante au niveau national cette année, contrairement aux autres années. Même si c’est vrai qu’il y a eu beaucoup plus de participants venant de l’étranger  que du Mali. Donc, l’affluence était bonne. Les gens étaient tellement intéressés, il y avait un tel engouement que la salle était toujours remplie jusqu’à 19 heures,  ils voulaient rester dans la salle. Ça montre leur intérêt pour le forum et bien sûr, leur intérêt pour la thématique. Donc par rapport à ça je peux dire que nous sommes assez satisfaits.

 

 

 

Dites-nous deux mots sur le contenu des messages, les communications qui étaient portées par des personnalités distinguées ?

En deux mots c’est difficile, mais si je dois le faire, je dirai ceci.  Il n’y a pas de paix sans la sécurité et le développement en même temps. Les deux pieds de la paix, c’est  sécurité et  développement. Par rapport à la sécurité,  beaucoup de partenaires du Mali ont leurs stratégies. Mais en résumé, il faut que tout ça convergent vers la stratégie du Mali pour l’aspect sécuritaire. Compte tenu de la typologie des menaces, notamment, elle est hybride et transfrontalière, la solution ne peut être que régionale voire globale. Et donc, il est ressorti de la dimension sécuritaire qu’il est nécessaire  de mutualiser les dispositifs de sécurité des pays de la bande sahélo-saharienne.

 

 

Et qu’en est-il de la dimension du développement, le deuxième point important par rapport à la paix ?

Il est ressorti que si on veut que les populations dans la partie nord du Mali, ne soient pas sensibles aux messages des djihadistes et des narcotrafiquants, il faudrait que ces populations aient un minimum de leurs besoins satisfaits par l’Etat. Donc il faut plus de présence de l’Etat dans ces zones pour que les besoins du genre, éducation, santé et  environnement puissent être satisfaits.  On s’est rendu compte, après des études, qu’il y a environ 80 millions de personnes dans la bande Sahélo-saharienne et que environ 17 à 20 millions de ces personnes sont presque au bord de la famine. Il est donc nécessaire de vite créer des projets de développement ruraux pour donner des activités génératrices de revenus aux femmes et aux jeunes.  Ce qui fait partie des missions régaliennes de l’Etat et des missions de ses partenaires. Mais le vrai pilier du développement durable c’est aussi les entreprises. Donc on a beaucoup pensé à insuffler une dynamique dans le développement du secteur privé  pour promouvoir la relance économique et le développement durable. L’autre élément qui est aussi ressorti de manière assez significative, c’est la nécessité de mutualiser les infrastructures entre les pays de la sous-région à l’instar de ce qui  se fait à l’OMVS, parce que lorsque des pays partagent en commun des infrastructures, en général, ils ne se battent pas. On voit qu’en partageant des barrages sur le fleuve Sénégal et le Niger, il n’y a presque plus de conflit entre les pays riverains de ces deux fleuves. Dans cette perspective, suite à la proposition de création d’une Chaire Sahel par le prof André Bourgeot, j’ai suggéré la création d’une université du Sahel afin de réunir les différents ressortissants du Sahel. Cela permet d’anticiper sur les conflits.

 

 

A long terme, on s’est rendu compte qu’on ne peut pas penser l’Afrique sans le mettre dans sa dimension stratégique et géopolitique. On l’a vu avec la crise malienne. Lorsque la crise au Mali a commencé, beaucoup ont pensé que c’était une crise uniquement malienne. Mais très rapidement on a vu que l’épicentre de la crise s’est déplacé vers la Libye. Et de la Libye, les ondes de choc se sont propagées en Algérie. Ainsi, la menace était à la frontière  de l’Europe, mais il n’y a pas que ça.

 

 

L’attaque des entreprises qui convergent des intérêts de dimension internationale est une meilleure illustration du paramètre géopolitique ?

En Algérie, les djihadistes se sont attaqués à In amenas a des infrastructures de production de gaz. Ces infrastructures appartenaient a des entreprises multinationales dont British Petrolium. Cette dernière par sa cotation a la bourse a des actionnaires issus de plusieurs pays importants du monde parmi lesquels, l’Amérique. Enfin tous  ceux  qui de par le monde, détiennent des actions dans cette multinationale ont vu, tout d’un coup, leurs intérêts menacés. A In Amenas, les terroristes  ont  pris environ 800 otages. Ces otages étaient de 14 pays différents (la Malaisie, le Japon  la Colombie…). On voit qu’à partir de la crise malienne, la menace touchait d’autres pays d’autres continents donc elle s’est globalisée. Pour ceux qui ne comprenaient pas pourquoi les gens sont venus nous aider, ils doivent savoir qu’ils  ne sont pas venus uniquement pour les richesses potentielles mais aussi pour se protéger.   Donc si on veut traiter ce danger de manière durable, il faut intégrer les relations entre les pays du sahel et ceux de l’Europe d’où le concept d’EURAFRIQUE. C’est pourquoi, on a fait venir notre ami, le Sénateur Jean-Marie Bockel pour exposer le contenu d’un rapport du Sénat français dont  l’intitulé était « Notre avenir  c’est l’Afrique ». Il est important qu’on pense sérieusement aux liens entre nos deux entités, l’Afrique et l’Europe. Si l’on parvient à intégrer ces deux entités, on va inverser le flux migratoire. On n’aura plus de Lampedusa et on ne verra plus nos jeunes aller défoncer les barricades aux frontières en Espagne, en Italie ou aller mourir dans le désert.  Mais pour faire tout ça, il nous construire un soubassement solide en Afrique. Et ce soubassement c’est la gouvernance. Voilà pourquoi on a demandé à Cheick Tidiane Gadio de venir présenter au 14e forum, sa vision sur la gouvernance parce que de notre point de vue, un des principaux facteurs déclencheurs des crises en Afrique est la mal gouvernance. Un autre élément qu’on a traité et qui est important, c’est la mauvaise gestion de l’aide internationale. Une perception générale est que  nous avons souvent mal géré l’aide internationale. Pour nous aider a sortir de la crise, les partenaires, suite a la réunion des donateurs à Bruxelles, se sont engagés à accompagner le Mali avec 3,25 milliards d’euros. Et la question qui s’est posée et qui se pose est notre aptitude a bien gérer cette aide.  D’où l’intervention de notre ami Joseph BRUNET-JAILLY que l’AFD nous a envoyé pour plancher sur la gouvernance de l’aide. Voilà en gros, les grands éléments que nous avons traités.

 

 

Donc, la mal gouvernance est la source, en tout cas, une source de notre situation sécuritaire au Mali aujourd’hui. Pour y remédier, il y a différents intervenants, pour répéter Pierre Buyoya,  le Haut représentant de l’Union Africaine au Mali, il y a un manque de coordination dans les actions pour résoudre la crise dans le Sahel. Que pensez-vous de la nécessité d’aller vers une coordination des différents intervenants dans le Sahel ?

Là, c’est la clé du problème. D’ailleurs, on le voit au niveau de l’Union Africaine où on parle de force d’intervention rapide. Ça risque de prendre du temps. On l’a vu dans le cas de la crise malienne. Je sais que nos amis de la CEDEAO n’aiment pas entendre ça. Mais si on avait attendu les troupes de la CEDEAO, les djihadistes seraient à Bamako. Ils ont passé leurs temps dans les réunions et pas d’actions. C’est ainsi que la menace s’est déplacée jusqu’à Konna, et serait arrivée a Bamako sans l’intervention SERVAL.

 

 

Ce qui est arrivé au Mali, peut tout simplement arriver dans tous les pays de la sous régions. Nous avons des pays fragiles qui ont des déficits de leadership et surtout de gouvernance. La faiblesse de l’Etat est criarde dans tous les pays de la sous-région, voire du continent. Voilà pourquoi d’ailleurs, nous avons tenu à faire venir le Premier ministre Martin ZIGUELE, de la Centrafrique pour présenter le cas des Etats fragiles et repenser aux solutions pour sortir de là ? Mais pour revenir à votre question de coordination, avant d’aller à 8, 9, 10 voire 40 ou 55 pays, parlons de deux pays. Pour que deux pays coordonnent, ou coopèrent, l’élément fondamental, c’est la confiance. Quand il n’y a pas la confiance entre deux pays, ils ne peuvent rien coordonner ensemble. Un des gros problèmes qui était posé dans la crise sahélo saharienne était le manque de confiance entre les différents responsables. Vous avez vu la crise de confiance entre le Mali et la Mauritanie. La crise de confiance entre le Mali et l’Algérie. Et même la crise de confiance, j’allais dire, entre le Mali et le Burkina Faso.   Un moment, pendant la transition, à cause de la crise de confiance, les Maliens doutaient de la Côte d’Ivoire. Certains disaient que des mercenaires allaient venir de la côte d’Ivoire.    Donc pour coordonner, il faut la confiance. Et tant que nous n’arrivons pas à instaurer cette confiance, il sera difficile de coordonner.  Voilà pourquoi nous saluons la réunion du G5 qui a eu lieu en Mauritanie le Samedi 15 Février 2014. C’est une bonne initiative. Ça veut dire que l’amorce de la confiance est là pour que les gens puissent se réunir. Parce que la clé de la gestion de cette crise, c’est le renseignement et le partage des informations. Mais quand tu n’as pas confiance, tu ne vas pas partager tes informations stratégiques. Le fait que les chefs d’Etat des cinq pays se réunissent en Mauritanie pour parler de stratégie, c’est déjà un début prometteur. Dès qu’on arrivera à consolider ces acquis, on pourrait penser plus tard à la CEDEAO et à l’Union africaine. Parce que le temps d’attendre tout ça, les Djihadistes n’attendent pas. Voilà pourquoi avec humilité, je demande aux Maliens, de ne pas s’en prendre à ceux qui viennent nous aider. Il ne faut pas penser qu’ils viennent pour nous exploiter. Je sais que beaucoup de maliens n’aiment pas entendre ça. Avec humilité, et réalisme, il faut que nous sachions que si ceux qui sont venus nous aider, partaient maintenant, les djihadistes vont revenir aussitôt, cela tout simplement, parce que nous n’avons pas encore eu le temps de former et d’équiper une masse critique de militaires. Par ailleurs, il ne faut perdre de vue que  cette guerre est une guerre de mobilité où les groupuscules sont tout le temps en mouvement. Et pour les voir, il faut des satellites et des drones. Pour le moment, nous n’avons rien de tout ça. Et pour les poursuivre, il faut des hélicos, des avions… Le temps d’avoir tout ça, acceptons d’avoir des partenariats stratégiques  avec certaines puissances. Et à partir de là, on peut aboutir à quelque chose.

 

 

Pour ne pas les nommer la force SERVAL  et la MINUSMA ?

Je vais nommer plus précisément Serval et Minusma, mais aussi les Etats Unis. Parce que vous savez, la crise a montré que même la France ne pouvait pas seule faire face à la menace. Parce que pour que la France puisse intervenir au Mali, elle a été beaucoup aidé notamment par l’Allemagne et la Grande Bretagne, notamment avec l’utilisation des gros porteurs qui ont transporté du matériel de l’armée française jusqu’au Tchad. Le  Canada, l’Allemagne et la Grande Bretagne, aussi, ont aidé la France pendant l’opération Serval. Pour  les ravitaillements en vol, il a fallu l’aide de certaines puissances.  Et pourtant la France a plus de moyens que le Mali. Mais cela n’a pas empêché le ministre français de la défense de reconnaitre qu’ils ont acheté des drones aux Américains, qui sont basés au Niger, pour pouvoir faire des interventions réussies au nord Mali. Nous, pour le moment on n’a pas tout ça.  On a besoin de ce partenariat stratégique de la France, des Etats Unis, de la Minusma parce qu’il y a toujours des mouvements de terrorisme dans le Nord Mali. Cette présence va les dissuader à s’implanter.  Le Mali est très vaste et pour le moment, nous n’avons pas les moyens de couvrir tout le vaste territoire malien sans l’aide étrangère. Et quand on sera fort on pourra se passer de l’appui de nos partenaires et amis.

 

 

 

Dans le Mali actuel, la question de développement et celle de la réconciliation nationale sont au rang des priorités avec celle de la sécurité. Qu’est ce qui urge entre la réconciliation nationale et les actions de développement au Nord ?

La situation actuelle du Mali est telle que, quelque soit le dirigeant, il aura beaucoup de difficultés. Cela tout simplement , parce que tout est important et prioritaire. Malheureusement avec une population impatiente qui pense qu’avec un coup de baguette magique tout pouvait changer. Mais malheureusement ce n’est pas le cas. Si on quitte le Mali et qu’on jette un regard sur le reste du monde (en France, en Italie, en Angleterre aux Etats Unis), on verra que la situation est difficile partout dans le monde. Donc le Mali n’est pas une exception. Si les autres souffrent nous aurons forcement notre part de souffrance. Quand tout est prioritaire, il faut voir les priorités des priorités. La priorité des priorités dans le cas du Mali : c’est la réconciliation.  Pour se développer il faut la paix, mais pour qu’il y ait la paix, il faut se réconcilier. Mais on ne peut pas faire la réconciliation sans justice. Et pour qu’il y ait la justice, il faut qu’il y ait la vérité. C’est pour ça que la mise en place de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation est une bonne idée. Dans tous les cas, on ne peut pas se permettre de pardonner sans faire la part des choses. C’est pourquoi il faut passer par la justice transitionnelle qui doit être mise en place pour que ceux qui ont commis des fautes soient reconnus, que ce qui doit être réparé le soit et que ce qui doit être pardonné soit pardonné. Et qu’après on aille de l’avant.

 

 

Avez-vous une recommandation pour conclure sur le forum?

C’est un grand bonheur pour moi de voir qu’au moment où notre pays est dans des situations difficiles, les Maliens se retrouvent autour des réflexions prospectives pour une sortie durable de la crise, mais aussi que des partenaires du monde viennent du monde entier pour nous accompagner dans cette prospective. J’ai une recommandation forte parce que souvent on nous fait le reproche de nous réunir tout le temps  et de faire des recommandations sans réel impact. J’ai l’habitude de dire aux gens que nous ne sommes qu’une force de proposition, un groupe de réflexion. Notre mission est donc de faire la réflexion et des recommandations, mais nous ne pouvons l’imposer à personne. Mon souhait est que nos politiques, notamment les députés, puissent s’approprier des conclusions et recommandations et voir ce qui peut être utilisé dans nos pays. Et que nos gouvernants puissent aussi s’approprier des conclusions et recommandations afin de les utiliser.

 

 

Le président IBK vous a reçu à la fin du forum, qu’est-ce qu’il vous a dit ? Est ce qu’il a été réceptif à vos recommandations ?

Le président nous a reçus et nous a manifesté sa reconnaissance par rapport à l’engagement patriotique et à l’amitié de tous ceux qui sont venus s’associer à la réflexion sur la paix au Mali. Il nous a dit qu’il soutien ce que nous faisons et qu’il nous encourage. Il nous a demandé de persévérer dans cette voie. Aussi, nous n’avons pas de doute qu’il mettra tout en  œuvre pour que nos recommandations qui vont lui parvenir dans les jours à venir puissent être utilisées au mieux pour le Mali.

Boukary Daou

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