Exploration de l’espace: “l’Afrique n’a pas le droit d’être absente, il faut être présent!”

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Le 12 avril marque l’anniversaire du premier vol habité dans l’espace. Interrogé à cette occasion par Sputnik, l’astronome sénégalais Maram Kaïré, fraichement nommé directeur de l’Agence sénégalaise d’études spatiales (ASES), revient sur les défis à relever par le continent africain dans le domaine spatial.
Q: Le 12 avril 1961, il y a 62 ans, le cosmonaute soviétique Youri Gagarine est devenu le premier homme à voyager dans l’espace. Que signifie cette date pour vous en tant que professionnel des études spatiales?
Maram Kaïré: D’abord, c’est une date historique pour toute l’histoire de l’humanité! C’est le premier homme dans l’espace et ça a forcément marqué les esprits. Et moi, ça me fait penser tout de suite au père de la cosmonautique moderne qu’on appelle Constantin Tsiolkovski, qui est d’ailleurs un Russe aussi. La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne peut pas vivre éternellement dans son berceau. Et ça s’est concrétisé avec ces premiers pas dans l’espace. Le vol du 12 avril 1961 avec Youri Gagarine a montré que tout est envisageable dans le domaine du spatial et ça a ouvert quasiment la porte à tous les rêves les plus fous. Si nous avons pu, grâce à cette magnifique collaboration des ingénieurs et techniciens russes, envoyer un homme dans l’espace, cela veut dire que tout est aujourd’hui possible! Je pense que la dynamique sous le contrôle de Sergueï Korolev a été formidable. On a pu se dire: “Nous allons, grâce à une fusée puissante, envoyer un homme dans l’espace et ce sera la porte ouverte à tous les exploits, à tous les rêves vus par la suite”!
Donc, cette date nous renvoie bien entendu au rêve de Tsiolkovski qui voyait l’homme sortir de son berceau, sortir de notre planète Terre, ça a commencé avec ce premier pas de Youri Gagarine! Et bien entendu, tous les succès qui sont venus après, s’il n’y avait pas eu, je pense, le premier pas de Gagarine, on aurait peut-être pu le faire, mais peut-être pas aussi rapidement. Ça a ouvert la porte à la course vers l’espace de façon habitée avec ce vol du premier homme. Et ça nous a permis aujourd’hui d’avoir tous les exploits que nous avons, même envisager d’aller autour de la planète Mars actuellement. Je pense que tout ça fait partie de ce premier vol de Youri Gagarine!
Q: Vous avez pris la tête de l’Agence sénégalaise d’études spatiales (ASES). Quels défis se posent aujourd’hui pour l’Afrique en matière de conquête spatiale?
Maram Kaïré: L’ASES a été créée tout récemment, le 29 mars dernier. Le premier défi qui va se poser, c’est tout simplement celui de créer une agence spatiale à partir de rien! Aujourd’hui, le Sénégal a une ambition très forte, celle de s’asseoir à la table des grandes nations spatiales! C’est ce qui a amené le Président Macky Sall à prendre cette décision de créer une agence spatiale pour mettre en œuvre sa vision sur ce secteur. Donc, il se pose le défi, déjà de devoir créer cette agence et de la faire fonctionner.
Ce défi sera suivi du premier défi immédiat qui concerne tous les pays africains. C’est celui de la présence [dans l’espace]! Aujourd’hui, l’espace est devenu un enjeu géopolitique, géostratégique important et l’Afrique n’a pas le droit d’être absente, il faut être présent! Et c’est ce qui fait que, en l’espace d’une vingtaine d’années, nous sommes à plus de 53 satellites qui ont été lancés depuis le continent. Cela veut dire que la prise de conscience est réelle. L’Union africaine a aidé à la mise en place de l’Agence spatiale africaine tout récemment, elle a été créée en 2018 et l’accord concernant le siège vient d’être signé il y a tout juste un mois pour l’Egypte. Cela veut dire que les choses sont en train de prendre de l’ampleur sur le continent et il faut être présent.
Au moment où nous discutons du spatial au niveau mondial, il faut que l’Afrique soit présente! Et le Sénégal ambitionne non seulement d’être présent au niveau du continent, mais également de l’être au niveau international. Au niveau de l’ASES, après la mise en place de l’agence, il faut qu’on arrive à définir très rapidement une politique et une stratégie spatiale, qui vont s’articuler autour des besoins des populations, donc être au service de la population et en même temps être au service de l’Etat.
L’ASES aura pour mission, bien entendu, de coordonner toute l’activité spatiale du Sénégal. Et ça se fait à travers une feuille de route et un programme clairement défini. Donc, nous allons vers l’élaboration d’une stratégie et d’une politique qui nous permettra de définir également notre feuille de route pour les prochaines années.
Et au final, il faut qu’on arrive aussi à mettre en place les infrastructures. Vous savez, quand on parle de spatial, il y a effectivement ce travail qui consiste à explorer au-delà de la Terre, sortir pour explorer l’espace, que ce soit à travers des satellites ou des sondes que nous envoyons un peu plus loin. Mais il faut qu’on ait les infrastructures également pour pouvoir exploiter les données qui vont provenir de ces satellites ou de ces sondes. Donc on va travailler à mettre en place les infrastructures nécessaires qui nous permettront de renforcer non seulement le capital humain, mais d’assurer également un transfert de compétences technologiques, que ça puisse se faire également sur place grâce à la coopération internationale que nous comptons mettre en place.
Et pour finir, par rapport aux missions de cette agence, c’est créer une économie parce que le spatial en est une. Il faut qu’on arrive à créer une économie autour de ce secteur spatial et contribuer à la mise en place d’un écosystème, ce qui favoriserait vraiment l’éclosion de start-ups, d’industries qui vont travailler dans ce secteur spatial. Et c’est ce qui permettra au final de pouvoir créer cette économie. Il faut que le spatial serve aux populations et à l’État et c’est ce que nous allons essayer de mettre en œuvre le plus rapidement possible.
Q: Sur fond de turbulences dans le monde aujourd’hui, on parle beaucoup en Afrique de la nécessité d’assurer la résilience, la stabilité et la souveraineté dans plusieurs domaines.
L’Afrique a-t-elle besoin aussi d’une souveraineté spatiale? Si oui, comment le continent pourrait se l’assurer?
Maram Kaïré: Au même titre que toutes les nations aujourd’hui qui se définissent comme des nations spatiales, l’Afrique a besoin de cette souveraineté spatiale. Je pense que la question de la souveraineté est un objectif, voire même une nécessité pour l’ensemble des pays ou en tout cas pour les États qui investissent dans le domaine du spatial. C’est un objectif qui est clairement défini parce que quand vous parlez de satellites, vous parlez tout de suite de prendre de la hauteur et de surplomber les territoires. Et bien entendu, c’est des choses qui sont très réglementées.
Aujourd’hui, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi avec la surveillance, avec les satellites et autres. C’est ce qui pousse bien entendu à mettre cette question de souveraineté sur la table. Chaque État qui investit dans le spatial aimerait pouvoir avoir la maîtrise sur la surveillance de son territoire, la surveillance de ses ressources minières et ainsi de suite. Et cela passe par la mainmise sur les données qui proviennent non seulement du secteur spatial, mais également de la technologie qui nous permet d’acquérir ces données.
Donc, la question de la souveraineté va forcément se poser pour les pays africains et c’est tout à fait légitime! Je pense que nous avons des défis auxquels nous sommes confrontés: la sécurité, on a des zones qui sont très sensibles pour les questions de sécurité. L’Afrique a pour ambition de pouvoir avoir le contrôle sur la surveillance de son territoire et ça, c’est tout à fait légitime.
Donc je pense que ça n’enlève en rien maintenant l’ouverture à la coopération, à la collaboration internationale. Le secteur spatial est devenu de façon très simple un secteur très collaboratif, que ce soit dans l’exploration ou dans le traitement des données acquises. C’est dans la collaboration et la coopération que les choses se font. Aspirer à cette souveraineté ne veut pas dire s’enfermer, ne veut pas dire ne pas travailler avec les autres. Mais ça veut dire tout simplement avoir un certain niveau de contrôle sur les informations qui concernent les territoires africains. Et ça, c’est tout à fait normal.
Q: Entre 1947 et 1990, l’Afrique a abrité quatre cosmodromes exploités par la France, l’Italie, l’Allemagne et Israël, c’est-à-dire des pays non africains. Désormais, le continent a-t-il besoin d’un cosmodrome africain?
Maram Kaïré: Tout dépendra de l’évolution de cette dynamique qu’on voit sur le continent, à savoir l’entrée des satellites qui sont de plus en plus nombreux. Il arrivera un moment où la question sera posée sur la table: est-ce que nous allons vers la mise en place de lanceurs propres au continent africain ou est-ce que nous allons continuer dans la collaboration?
Ce qu’il faut savoir, c’est que l’industrie spatiale n’a pas besoin qu’on se mette tous à fabriquer des lanceurs là où on peut mutualiser les efforts et travailler avec des opérateurs qui ont déjà la capacité de pouvoir lancer ces satellites que nous construisons. Donc si aujourd’hui on a la possibilité de travailler avec des industriels ou avec d’autres États qui permettent de faire des mises en orbite de satellites et que ça coûte moins cher aux États africains que de devoir développer leurs propres lanceurs, je pense que c’est une solution qui est à prendre, qui est à étudier. Et je pense que c’est ce qui se fait aujourd’hui.
Le Kenya vient de lancer son satellite et c’est un opérateur privé qui permet de faire ce lancement, qui n’est pas africain non plus. Donc la course en ce moment pour être présent dans le spatial ne nous laisse pas trop le temps de peut-être développer une solution complète de lanceurs. Mais dans un futur lointain, peut-être que c’est une question qui sera vraiment pertinente. Et l’Afrique, toujours dans le cadre de la maîtrise technologique, devra envisager de pouvoir disposer de ses propres lanceurs, mais je pense que ce sera dans un avenir un peu plus lointain. Le plus important aujourd’hui, c’est d’être présent. Et si ça se fait dans la collaboration avec d’autres opérateurs, pourquoi pas! La station internationale fonctionne très bien et ce n’est pas un pays qui fait tout, c’est une collaboration entre plusieurs nations.
Q: La Russie reste un acteur important dans le domaine de l’espace. Quelles perspectives voyez-vous pour la coopération spatiale des pays africains avec la Russie?
Maram Kaïré: Je pense que chaque cas est à étudier. Je parlais de la station internationale, l’ISS, où une bonne partie des activités sont partagées avec la Russie. Je pense que c’est des choses qui sont aujourd’hui tout à fait naturelles vu le passé de ces grandes nations du spatial qui permettent de pouvoir atteindre les objectifs de façon rapide et efficace.
Pour ce qui est de l’Afrique, la coopération internationale est ouverte à toutes les puissances! Et c’est chaque pays qui va déterminer, en fonction de ses besoins, le partenaire avec lequel il va travailler. Ce qui est important au final, c’est que ça se fasse dans un partenariat gagnant-gagnant et que chacun puisse trouver son compte dans la collaboration qui se met en place autour du spatial. Mais aucune porte n’est fermée et par essence le spatial, c’est la collaboration! Il faut juste que chaque pays puisse, en fonction de ses objectifs, de ses ambitions définir les partenaires avec lesquels il travaille.
Q: Malheureusement, actuellement dans le monde des conflits se multiplient, et comme vous l’avez dit vous-même, le spatial reste un domaine dans lequel beaucoup de pays continuent de travailler ensemble. Est-ce que vous croyez que l’étude, l’exploration et la conquête de l’espace pourraient contribuer à l’établissement de la paix sur Terre?
Maram Kaïré: De façon globale, je dirais que l’essence même de l’exploration spatiale serait que l’humanité travaille ensemble, tous main dans la main, pour aller voir ce qui se passe au-delà de notre planète! Et si ça peut contribuer à une paix quelconque, elle est la bienvenue. Mais l’essence du spatial, c’est de travailler ensemble et que l’humanité puisse aller au-delà de notre planète, aller explorer d’autres endroits de notre système solaire et bien au-delà. Je pense que cela vaut tout l’or du monde: apprenons à travailler ensemble et on continue à explorer notre univers!

Source: https://fr.sputniknews.africa/

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