Nord-Mali : sympathique Sivillon !

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Le désormais chef d’antenne de la Minusma à Kidal a été déclaré persona non grata en République du Mali. Son discours de Kidal, au début de ce mois, lors du congrès du MNLA, a écourté son séjour kidalois et malien. Ayant eu l’occasion de le rencontrer et échanger avec lui au mois de mai à Kidal, l’homme que nous avons rencontré était, pourtant, très optimiste quant à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

 Il estimait que, du point de vue sécuritaire, à Kidal, la situation était calme et s’améliorait considérablement ; que les groupes armés étaient moins belligérants les uns vis-à-vis des autres ; qu’il restait, maintenant, à l’Etat de jouer pleinement sa partition à travers une présence effective dans la capitale de l’Adrar des Ifoghas. Nous vous proposons (une seconde fois) cet entretien très édifiant dans le contexte actuel.

 Nouvelle Libération : Pouvez-vous présenter et nous expliquer les activités de la Minusma dans la région de Kidal ?

Christian Sivillon : Je m’appelle Christophe Sivillon. Je suis le chef de Bureau de la Minusmaà Kidal, j’ai été déployé ici en octobre 2014. Mon rôle principal, c’est la mise en place du mandat de la Minusma, au premier titre duquel, le suivi et la mise en place de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, signé en 2015. Nous ne travaillons pas uniquement dans la ville de Kidal ;nous avons également un bureau à Aguelhok et une autre base à Tessalit.Nous faisons aussi des missions régulières dans les localités comme Anefis.

Le défi sur Kidal, c’est de garder son impartialité. Sur ce point, on essaie de maintenir de bonnes relations avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), le représentant de la Plateforme, celui du Gatia et les représentants du gouvernement. Un des points sur lesquels on insiste, c’est le retour de l’autorité de l’Etat dans la région de Kidal. Et ceci, en soutenant le gouverneur, les directions régionales et les autres représentants, à venir retravailler en sécurité sur la ville de Kidal.

En avril dernier, le Directeur de l’Agence de Développement Régional (ADR) de Kidal est venu avec toute son équipe dans la ville de Kidal. C’est une bonne nouvelle et on espère lancer une spirale vertueuse. Nous sommes maintenant entre cinq et six directeurs régionaux dont le directeur de la santé qui travaillent à Kidal. J’espère qu’on va encourager les autres directeurs qui ne sont pas revenus à retrouver leur lieu de travail, leurs responsabilités.

Pour cela, nous avons des équipes qui vont à la rencontre des directeurs qui ne sont pas encore retournés pour essayer de les convaincre. Certains sont transportés par nos hélicoptères pour qu’ils viennent voir la situation sur place, afin de les inciter à revenir prendre fonction. Nous n’avons pas les moyens de les forcer. On essaie seulement de les inciter et de les sensibiliser sur l’importance de leurs missions.

Qu’avez-vous à répondre aux Maliens qui sont hostiles à votre présence ? Et quelle est l’approche mise en place pour améliorer vos rapports avec les populations ?

 D’abord la population, c’est les représentants de la société civile, des Organisations non gouvernementales (ONG) et les représentants politiques. Donc, on peut penser que l’opinion publique est transmise par ces trois vecteurs. Si je vous parle des manifestations auxquelles on a pu faire face, au nombre des années, je peux vous dire que la situation s’est nettement améliorée. Nous avons essuyé beaucoup de critiques plus ou moins rationnelles à l’époque. Maintenant, la situation s’est apaisée.

Donc, l’importance pour nous c’est de rester à l’écoute, de discuter et d’apporter des solutions. Je pense aussi que comme il n’y a pas beaucoup d’interlocuteurs dès qu’il y a un souci, la première entité vers laquelle la population peut exprimer son amertume et sa frustration, c’est la Minusma. Et cela se fait de manière plus ou moins légitime et justifiée. C’est d’ailleurs ce que je dis aux équipes.

De toutes les façons, c’est un peu notre rôle, la capacité de résilience et de recevoir ces critiques. Le tout c’est de favoriser le dialogue, d’expliquer aux gens qu’on va essayer de faire notre possible et si ce n’est pas notre rôle d’agir, on va faire venir d’autres partenaires qui pourront répondre à leur problème.

Nous avons des équipes de Barkhane qui sont aussi localisées dans notre camp. Barkhane est une entité qui n’a pas le même mandat que la Minusma. Donc,  s’il y a des problèmes avec Barkhane, nous ne répondons pas à leur place. Nous expliquons à la population que nous sommes deux groupes différents avec des mandats différents pour des fonctions différentes. En somme, on leur dit qu’à chaque problème un interlocuteur pour répondre.

S’agissant de l’Accord, quelle est la perception de la Minusmasur sa mise en œuvre, surtout que l’observateur indépendant, le Centre Carter, a, dans un récent communiqué, dénoncé une lenteur dans son application ?

Nous, au niveau de la Minusma-Kidal, nous restons plutôt optimistes. La rapidité de quelque chose est tout à fait relative. Qu’est-ce qui est rapide et qu’est-ce qui est lent ? C’est en fonction d’un repère. Est-ce que les objectifs en termes d’accomplissement n’étaient pas un peu optimistes? C’est pour cela qu’on n’a pas voulu aller un peu plus vite. Ce n’est pas à moi de le juger.

Par contre, ce que je peux dire, c’est qu’en prenant du recul, on voit que, depuis cinq ans, on a fait énormément de chemin à Kidal. Quand je suis arrivé en 2014, les accords n’étaient pas encore signés, les représentants de l’Etat n’étaient pas là, ceux de l’armée n’étaient pas là, et il y avait des tensions très fortes entre les groupes armés (la CMA et la Plateforme).

Depuis que les accords ont été signés, le gouverneur est revenu à Kidal, les Autorités intérimaires au niveau de la région ont été mises en place, le MOC a été mis en place, le DDR accéléré également. Donc, je veux bien accepter le fait qu’on ne va pas assez vite, mais qu’on y va à une vitesse, peut-être, la vitesse du désert (rires). Le plus important c’est de voir dans quelle direction on se dirige et qu’on ne fasse pas de retour en arrière.

Je vous parlais tout à l’heure des directeurs régionaux qui sont revenus, d’autres sont attendus, le Premier ministre (l’ancien Soumeylou Boubèye Maïga) a fait une visite l’année passée qui s’est bien déroulée. Donc, je pense qu’il ne faut pas oublier ces éléments qui ont été possibles grâce à la signature de l’accord.

Aussi, en dehors de l’accord issu du processus d’Alger, il y a eu les accords d’Anefis II qui ont apaisé les tensions entre les communautés. Maintenant, il y a des véhicules du Gatia qui viennent librement. Donc, ce n’est pas un retard. Il faut simplement comprendre que les accords se mettent en place moins vite que prévu, mais ils se mettent en place.

À Bamako, la population pense que la ville de Kidal ne serait plus dans le giron du Mali. Et surtout depuis que tous les 06 avril, des images de la célébration de l’indépendance de l’Azawad parcourent la toile. Que pense le bureau de la Minusma-Kidal de ces agissements ?

Je pense que dans tous les pays, comme dans toutes les démocraties, il y a le droit à la manifestation. Mais, est-ce que les manifestations représentent un sentiment populaire ? Je n’en suis pas sûr. Il y a eu des manifestations à Bamako, il ya des manifestations en France, et il y en a eu à Kidal. Est-ce que la manifestation des Gilets jaunes représente toutes les frustrations de la société française ? Je ne crois pas.

Je pense, pour Kidal, qu’il y a aussi une frange de la population qui est un peu radicale et qui exprime sa radicalité en célébrant des anniversaires. Ce qui n’est pas nécessairement l’opinion majoritaire et celle des dirigeants. Mais il est bon que ce groupe continue à s’exprimer parce que ça fait partie de cette démocratie locale. Il vaut mieux qu’une dizaine de personnes puissent s’exprimer pacifiquement. Ils peuvent crier haut et fort ce qu’ils pensent et, en même temps, le mouvement général continue sur la bonne direction.

Un message particulier ?

Pour l’instant, la situation est calme à Kidal. Il faut tout faire qu’au niveau de l’éducation, les représentants de l’Etat donc les professeurs puissent revenir travailler ici. Vu que le volet sécuritaire est apaisé, on pense à d’autres choses surtout à l’éducation. Les classes sont ouvertes pour l’instant avec des volontaires. Mais il n’y a pas encore de professeurs qui sont des fonctionnaires du ministère de l’éducation nationale sur place. C’est la raison pour laquelle, on a besoin du soutien du gouvernement pour inciter les professeurs à revenir travailler dans toute la région de Kidal.

 Propos recueillis par Makan Koné

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