Sur le chemin de Koulouba : Parrainage de candidature à l’élection présidentielle : L’épineuse recherche de signatures

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La recherche des signatures des élus par certains postulants à la magistrature suprême, pour parrainer leur candidature va s’avérer difficile. Il s’agit d’une disposition anticonstitutionnelle qui rompt, selon la Cour Constitutionnelle, le principe d’égalité des candidats.

L’aliéna 2 de l’article 149 de la loi n°2018-014 du 23 avril 2018 portant modification de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale stipule que chaque déclaration de candidature doit recueillir la signature légalisée d’au moins dix (10)  députés ou cinq (05) conseillers communaux dans chacune des régions et dans le district de Bamako. Selon cette disposition législative, « un élu ne peut soutenir plus d’un candidat ». En vertu de cet article, tout candidat à la magistrature suprême a le choix entre la signature de dix députés ou celle de cinq conseillers communaux par région et dans le district de Bamako. Si en 2007 et 2013, la recherche de parrainage ne pouvait pas être un obstacle majeur pour certains chevaux prêts pour la course de Koulouba, cette année, ceux qui ne peuvent pas s’offrir le service des honorables députés seront dans l’œil du cyclone. Et pour deux raisons majeures.

Primo : le gouvernement du Mali n’a pas pu organiser les élections communales du 20 novembre 2016 dans toutes les communes du pays. Il n’y a pas eu d’élection dans toute la région de Kidal.

Secundo : deux nouvelles régions à savoir, Ménaka et Taoudenit, sont opérationnelles. C’est récemment que ces deux régions ont été dotées de cercles et de communes. Si la région de Ménaka peut avoir des élus communaux (nouveaux ou anciens), celle de Taoudenit par contre, n’en a pas. A Ménaka et à Taoudenit, c’est le collège transitoire qui fait office d’autorité intérimaire ou de conseil régional.

Un moratoire sur le parrainage ?

Ces entraves découlant de la loi électorale ne semblent pas déranger les responsables politiques à l’exception de ceux du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’intégration (SADI) du Dr Oumar Mariko et de la Convention Nationale pour une Afrique solidaire (Cnas-Faso hèrè) de l’ancien Premier ministre Soumana Sako.  La Cnas-Faso Hèrè a saisi officiellement, sans succès, à travers deux lettres, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour avoir des éclairages sur le parrainage. Au cours d’une conférence de presse à son siège, le 23 avril dernier, le bureau politique national de la Cnas Faso Hèrè par la voix de son secrétaire administratif, Bakari Sacko s’est interrogé sur la manière dont se fera le parrainage sachant qu’il n’y a pas de conseillers dans les régions comme Kidal, Taoudénit et Ménaka où les élections n’ont pas pu avoir lieu lors des communales du 20 novembre 2016. « Face à cette contrainte objective s’apparentant à un cas de force majeure, nous vous remercions de bien vouloir nous édifier sur les modalités concrètes de l’application de la règle du nombre minimum de signatures de conseillers communaux requis pour tout dossier de candidature à l’élection présidentielle prévue cette année », peut-on lire dans la lettre du 28 février 2018 de la Cnas Faso Hèrè, restée sans suite.

Même si la Cour Constitutionnelle détient la liste des conseillers communaux issus des élections communales de 2009, le cas de Taoudenit va se poser avec acuité. Cette région qui n’existe que sur le papier et dont tous les services sont logés à Tombouctou, n’a pas de conseillers communaux. Une application rigide de la loi électorale pourra amener la Cour Constitutionnelle, seul organe habilité à valider les candidatures, à mettre hors de compétition ceux qui n’arrivent pas à obtenir les signatures à Taoudenit, Ménaka ou Kidal. Cela peut déboucher sur des tensions surtout dans un contexte marqué par une crise de confiance entre les acteurs de la scène politique.  Derrière les arrêts de la Cour, certains voient à tort ou à raison la main du pouvoir en place. Le 4 juillet, date de la proclamation de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle, les sages n’échapperont pas à un jugement de partialité.

Que faire alors ? Pour éviter que le parrainage ne prive certains de leurs droits de briguer la magistrature, il faut un moratoire sur l’obtention des signatures des élus. Cela doit faire l’objet d’un consensus entre la classe politique et l’administration avec comme observateurs la société civile et la Minusma.

A défaut, il faut assouplir les conditions de parrainage en prenant en compte les contraintes objectives dans la rédaction du décret fixant les modalités de soutien aux candidats à l’élection du Président de la République dont l’adoption était prévue le 9 mai dernier, selon le chronogramme publié par le ministère de l’Administration et de la décentralisation à travers la Direction générale de l’administration territoriale. Si les élections doivent avoir lieu, comme l’a annoncé le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, il faut agir vite pour éviter les tensions pouvant affecter le processus dans un contexte déjà difficile. A priori, la Cour constitutionnelle considère le parrainage comme une disposition contraire à la Constitution.

Le parrainage, une mesure anti constitutionnelle

La Cour Constitutionnelle avait déclaré dans l’arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996 que « les dispositions de la loi électorale du 27 septembre 1996 qui instituaient le système de parrainage des candidats à l’élection du président de la République étaient contraires à la Constitution en ce qu’elles rompaient le principe d’égalité des candidats ». Les rédacteurs de la loi électorale en vigueur ont ignoré cet arrêt en instituant le système de parrainage. Souvenez-vous, en 2006, le pays était plongé dans le consensus politique d’Amadou Toumani Touré qui n’avait rien à envier à l’unanimisme. C’est la Sadi qui a dénoncé en son temps l’institution du parrainage.

Lors de la proclamation de la liste des candidats pour l’élection du Président de la République d’avril 2007, le Président de la Cour constitutionnelle de l’époque, Feu Salif Kanouté, avait déclaré que le système de parrainage n’est pas conforme à la constitution. Le magistrat avait aussi rappelé que la Cour Constitutionnelle n’a pas été saisie et qu’elle ne pouvait pas s’autosaisir en la matière. C’est pourquoi une telle disposition rejetée par les neuf sages en 1996 a intégré le droit positif malien.

 

Entre nous : Des signes pas encourageants

Le dimanche 13 mai 2018 à Fana, des femmes et des jeunes, à la suite de l’assassinat crapuleux de la petite fille albinos du nom de Ramata Diarra, ont incendié la brigade de gendarmerie, barricadé les voies publiques avant de s’attaquer aux biens appartenant à des particuliers. Le corps de la fille a été retrouvé le lendemain sans tête ni certains organes. Quelques semaines auparavant, un autre crime du genre a eu lieu dans la même ville. Une malade mentale et sa fille ont été décapitées dans des circonstances similaires. Le cas de la petite Ramata a été un électrochoc à l’échelle nationale et internationale. Des associations de défense des droits de l’homme, la fondation Salif Kéïta, des partis politiques se sont emparés de l’affaire en se rendant sur place. N’eut été les violentes manifestations, d’ailleurs condamnables, cet énième crime odieux aurait été rangé dans les placards comme ce fut le cas pour la dame Fatoumata Sacko et sa fille. Le saccage des biens de particuliers par certains manifestants zélés est aussi condamnable que les dérives des éléments de force de sécurité envoyés en renfort pour rétablir l’ordre public.

A Sadiola dans la région de Kayes,  des femmes ont marché le 15 mai dernier pour dénoncer la cherté de l’eau potable. Elles ont érigé des barricades avant de brûler des pneus en guise de mécontentement face à l’indifférence des autorités régionales et nationales. Un bidon d’eau de 20 litres peut coûter 200 F CFA dans une localité où le gouvernement de la République et les sociétés minières récoltent chaque année de l’exploitation du gisement d’or des milliards de  nos francs. « Les autorités sont au courant de tout mais elles ne sont préoccupées que par les recettes liées aux mines. Les populations ici à Sadiola n’ont tiré aucun bénéfice de la mine. C’est pourquoi, nous avons décidé de prendre notre destin en main en descendant dans les rues », ont dénoncé les manifestantes qui envisagent de revenir à la charge avec le soutien des jeunes dans les jours à venir. Ce problème est plus que scandaleux. Il interpelle le gouvernement du Mali mais aussi les citoyens de Sadiola qui ne peuvent suivre la destination des fonds versés au compte  des collectivités, notamment la Mairie, au titre de l’exploitation de la mine d’or.

Le même jour à Bougouni, s’est déroulée une marche sous l’égide du Collectif des régions non opérationnelles. Depuis plusieurs mois, les membres de ce Collectif sillonnent l’intérieur du pays pour accentuer la pression sur les autorités dans le but d’appliquer intégralement la loi qui a créé en 2012, onze régions dont deux, en l’occurrence Ménaka et Taoudenit, sont opérationnelles.

De Fana à Sadiola en passant par Bougouni, les populations envoient des signes inquiétants. Ces différentes manifestations traduisent une certaine remise en cause de l’autorité de l’Etat sur fond d’une véritable crise de confiance entre gouvernants et gouvernés. Les mensonges répétés des officiels ajoutés à leur démagogie et à leur hypocrisie, discréditent tous ceux qui portent la parole officielle dans ce pays.

Ces manifestations ciblant les autorités, interviennent dans un contexte sécuritaire tendu avec des affrontements intercommunautaires au centre du pays. Elles interviennent aussi dans un contexte pré-électoral. Les élections sont des moments de tension en Afrique. Et le Mali n’échappe pas à la règle.

Le peuple semble avoir perdu toute confiance en l’élite politique et gouvernante et manifeste violemment son exaspération. Cela est loin d’être rassurant.

Par Chiaka Doumbia

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