Sommet Afrique-France : ce que les jeunes Africains ont dit à Macron

Ces moments où Emmanuel Macron a été « bousculé »
Sans complaisance mais avec de nombreuses références humoristiques, ces onze personnalités ont fustigé le « colonialisme », « l’arrogance », « le racisme » ou encore le « paternalisme français ». Lors d’une séance plénière électrique et sous des salves d’applaudissements, ces jeunes Maliens, Kényans, Burkinabés, Camerounais ont secoué les usages et interpellé sans ménagement le président français.Emmanuel Macron veut tenter de réveiller l’esprit de Ouagadougou
Emmanuel Macron a montré en bien des occasions à quel point il maîtrise cet exercice, tout juste a-t-il réitéré ses fondamentaux sur les sujets de contentieux soulevés par les jeunes : colonialisme, soutien à des dictatures, interventions militaires… Tout en reconnaissant « la responsabilité immense de la France dans le commerce triangulaire et la colonisation », le chef de l’État s’est de nouveau refusé à demander pardon, privilégiant « un travail de vérité » et non de « honte de soi et de repentance ». Répondant aux accusations de soutien à des tyrannies et aux critiques sur les interventions militaires, Emmanuel Macron est resté sur sa ligne : « La France est là militairement à la demande » des pays africains. Et a renvoyé ces derniers à leurs responsabilités : « C’est pas moi qui vais faire l’école, c’est pas moi qui vais faire la police… Jamais une intervention militaire ne remplace le travail d’un État », a-t-il lancé. Les jeunes et toute l’assemblée ont cité le Tchad, la Guinée et la Côte d'Ivoire. Dans chacun de ces pays, a-t-il dit, la France a réduit ses projets d’investissements de gouvernement à gouvernement pour passer davantage par des projets avec la société civile. Il a aussi expliqué que, dans chacun de ces cas, la France soutenait des projets de transition démocratique, comme au Tchad où le processus est guidé par l’Union africaine après la prise de pouvoir du fils du président défunt Idriss Déby Itno, Mahamat. « Mais j’ai dit transition, pas transmission », a insisté le président français. Sur le Mali, le ton est particulièrement monté alors que les rapports entre Paris et la junte militaire à Bamako se sont fortement dégradés ces dernières semaines, sur fond de concurrence avec la Russie. « Je pense que nous n’avons pas vocation à rester, c’est pour ça que nous sommes en train de fermer des bases. À Tessalit ou à Kidal (nord du Mali), notre travail n’est pas d’avoir des bases militaires. L’État malien doit avant tout revenir », a-t-il insisté. Paris a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire au Sahel en quittant notamment les bases le plus au nord du Mali (Kidal, Tombouctou et Tessalit) et en prévoyant de réduire ses effectifs dans la région d’ici à 2023 à 2 500-3 000 hommes, contre plus de 5 000 aujourd’hui. « Ce que je veux, c’est qu’on retire les bases militaires le plus vite possible, mais ça suppose un retour d’un État fort et des projets d’investissements pour que les jeunes ne se tournent pas, dès que les groupes terroristes reviennent, vers le pire. Mon objectif, c’est bien celui-là. Ça ne m’intéresse pas d’avoir des bases de toute éternité sur le sol africain. Ce n’est pas la vocation de la France », a-t-il assuré.Le changement va devoir attendre
Pourtant, au sortir de cette franche explication, c’est la déception pour ceux que nous croisons. Ils confient d’emblée ne pas vouloir être cités. Au bout du compte, le panel de jeunes Africains sélectionné à l’issue des dialogues menés pendant des mois à travers le continent par l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, chargé de piloter le sommet, n’a pas convaincu, c’est ce qui ressort des premières remarques. Certains ont noté le manque de profondeur et de rigueur dans l’analyse de certains sujets. D’autres ont trouvé l’exercice un peu caricatural, avec une mise en avant d’une Afrique francophone toujours prompte à demander des comptes à la France. Un fin observateur de ces questions s’étonne d’assister à une telle scène en France, du jamais-vu à Londres ou dans les autres pays colonisateurs ! Les critiques ne manquent pas non plus au sujet des propositions avancées pour rebâtir les relations entre l’Afrique et la France. Durant cette journée, le président de la République a fait plusieurs annonces. En fin de matinée, il a d’abord annoncé que la France restituerait fin octobre au Bénin 26 œuvres d’art provenant du « trésor de Béhanzin », pillé au palais d’Abomey en 1892 pendant les guerres coloniales. Il met ainsi en œuvre un engagement pris en novembre 2018, dans le cadre de cette « nouvelle relation » que la France entend nouer avec le continent et dont les restitutions constituent un des points saillants. Il a également annoncé la création d’un fond d’innovation pour la démocratie en Afrique, avec une « gouvernance indépendante », une des principales propositions d’Achille Mbembe. Ce dernier s’est par ailleurs vu confier une mission en vue de la création d’une Maison des mondes africains et des diasporas. Pour certains participants, c’est là que le bat blesse. « C’est bien beau de proposer un fonds, mais concrètement, ce n’est ni réaliste ni faisable », réagit un interlocuteur. « Ces propositions ne sont pas réalisables chez nous. Ça veut dire que les activistes devront encore passer par la France pour s’organiser, se financer, exister et combattre des régimes dont la France est officiellement partenaire ? À quoi va servir cet argent ? Qui pourra être financé ? Est-ce qu’il n’y a pas de risque de voir ces financements servir à soutenir des coups d’État militaires ? » Des réactions révélatrices des limites de cet exercice, certes original sur la forme et sur le moment, mais qui ne débouchent pas vraiment sur des propositions qui seront demain applicables sur le plan légal ou juridique sur le continent et surtout pas sans les politiques.Quelle est votre réaction ?






