Politique comparée : La charte de la Transition du Mali à l’aune de celle du Burkina Faso

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Il y a presque six (06) ans entre les transitions des deux pays voisins, pourtant leurs chartes ont énormément de points en commun, même si elles gardent leurs originalités sous certains aspects contextuels et stratégiques. Je les ai lues et comparées pour vous.

Les similitudes

D’abord, les deux chartes ont presque le même nombre d’articles : 25 pour le Burkina et 26 pour le Mali. Ensuite, dans leurs préambules, elles mettent en avant une légitimité tirée d’une lutte populaire et patriotique ayant conduit aux démissions de leurs Présidents de la République respectifs – Blaise COMPAORE pour le Burkina et Ibrahim Boubacar KEITA pour le Mali, quoique l’introduction de la charte malienne insiste sur le caractère « libre et volontaire » de cette démission, tandis que celle du Burkina parle de « démission » tout court.

Les deux chartes retiennent encore « le lourd tribut payé par les filles et les fils » de leurs pays respectifs. Cependant, là où le texte burkinabé, adopté le 13 novembre 2014, met en évidence le caractère exclusif de « l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 », celui du Mali élargit les causes de l’action du 18 août 2020 aux milliers de victimes des conflits au nord et au centre du Pays, au « sacrifice ultime de nos forces armées mal équipées et livrées à l’ennemi », avant même d’évoquer « les martyrs de juillet 2020 », pourtant essentiellement mis en avant par les responsables du Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP).

Identiquement, les deux chartes visent à doter leurs pays d’émission de trois (03) organes de transition pour « combler le vide institutionnel » : le Président de la Transition ; le Conseil National de Transition et le Gouvernement de la Transition. Puis, les deux pays sont engagés, par leurs chartes, à respecter les « principes démocratiques inscrits dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et dans le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance ».

Une étrange coïncidence a fait que les deux chartes évoquent, dans leur article 10, la prestation de serment du Président de la Transition avec quasiment les mêmes mots. Parallèlement, nous avons les mêmes critères de sélection du Président de la Transition et de son Premier ministre. Par exemple, dans les deux textes, l’âge du Président est compris entre 35 et 75 ans, et le nombre de portefeuilles ministériels du Gouvernement de la Transition est également limité à 25.

Un autre point important de convergence : ni le Président ni les membres du gouvernement de la transition ne sont éligibles aux élections présidentielle et législatives organisées pour mettre fin à la transition. Dans un élan réciproque de transparence, les deux chartes de Transition exhortent les dirigeants et les membres des trois (03) organes de la Transition à déclarer publiquement leurs biens à l’entrée et à la fin de leurs fonctions. Aussi, Maliens comme Burkinabé accordent un intérêt singulier à la promotion des femmes et des jeunes aux postes nominatifs et électifs lors de leurs Transitions.

Enfin, les deux chartes ont vocation à compléter les constitutions en vigueur : celle du 2 juin 1991 pour le Burkina et celle du 25 février 1992 dans le cas du Mali. En plus, dans les deux textes, il est souligné qu’en cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution, ce sont les dispositions de la charte qui s’appliquent. Néanmoins, la Cour (Mali) ou le Conseil (Burkina) constitutionnel tranche en cas de conflit. Aussi bien dans la charte malienne que burkinabé, l’initiative de la révision de la charte appartient concurremment au Président de la Transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil National de Transition.

Les différences

Le premier point divergent des deux chartes concerne la durée de la transition : douze (12) mois pour le Burkina contre dix-huit (18) mois pour le Mali. Ensuite, la charte malienne définit formellement les missions de la Transition dans son article 2, quand bien même celle du Burkina les sous-tendent dans les missions dévolues aux sous-commissions de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes.

Là où les Maliens esquivent la question du « civil » et/ou du « militaire » dans les critères de désignation des dirigeants des organes de la Transition, les Burkinabé exigent que le Président de la Transition et celui du Conseil National de la Transition soient non seulement des personnalités civiles, mais qu’ils ne soient pas de ceux qui ont soutenu le projet de révision de l’article 37 de la Constitution (qui devait permettre à Blaise COMPAORE de briguer un nouveau mandat). Surtout, le cas malien, c’est-à-dire un Président militaire à la retraite aurait été impossible avec la charte burkinabé, qui précise que le Président de la Transition ne peut être « une personne des forces de défense et de sécurité en activité, en disponibilité ou à la retraite ». Toutefois, au Burkina, le Président de la Transition occupait d’emblée les fonctions de Président de la République et de Chef de l’Etat ; contrairement au Mali, où il remplit seulement les fonctions de Chef de l’Etat.

Aussi, le texte malien se distingue par l’apparition du poste de Vice-Président (chargé des questions de défense et de sécurité), sans indiquer clairement qui du Vice-président ou du Premier ministre remplace le Président de la Transition en cas d’empêchement temporaire ou définitif. Une question explicitement tranchée par le texte burkinabé dans son article 11 : « Lorsque le Président de la transition est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre. En cas de vacance de la Présidence de la transition pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement, le Premier ministre assure l’intérim en attendant la désignation d’un nouveau Président de la transition conformément aux dispositions de la présente Charte ».

Une autre dissemblance de taille entre les deux chartes, c’est que celle du Burkina Faso accorde beaucoup d’importance à la procédure de désignation du Président de la Transition. Au total, cinq (05) articles de la charte burkinabé sont ainsi consacrés aux critères de sélection du candidat et à la définition des missions du collège de désignation. Le texte malien en parle furtivement dans le second paragraphe de l’article 4.

La répartition des quatre-vingt-dix (90) sièges du Conseil National de la Transition burkinabé est nettement fixée dans leur charte, tandis que celle du Mali se contente de fournir l’effectif global, soit 121 députés attendus, sans citer les quotas de sièges distribuables entre les membres du CNSP, le M5, les organisations de la société civile, les Mouvements signataires de l’Accord issu du processus d’Alger, les partis politiques, etc. Le texte malien promet tout de même qu’un acte fixera la clé de répartition entre ces différents acteurs de la Transition.

Encore, la charte malienne accorde une immunité aux « membres du Comité national pour le Salut du Peuple et tous les acteurs ayant participé aux évènements allant du 18 août 2020 », au moment où celle du Burkina est muette sur le sujet.

Enfin, si les deux textes sont issus de concertations nationales, celui du Mali est signé par le seul Président du Comité National pour le Salut du Peuple, le Colonel Assimi GOITA ; tandis que les signataires de celui du Burkina sont nombreux : les partis politiques affiliés au CFOP, les autres partis politiques, les organisations de la société civile, les forces de défense et de sécurité, ainsi que les autorités religieuses et coutumières.

Dr Aboubacar Abdoulwahidou MAIGA

Enseignant-chercheur à l’ULSHB.

 

 

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