EPILOGUE:La terre pour tous

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« La terre ne ment pas », dit un adage commun à tous les peuples et les exégètes pensent que cela est vrai quel que soit le milieu où on se trouve, autrement dit que l’on soit en zone d’agriculture ou en zone d’élevage. La même sagesse populaire énonce que la plupart des conflits sociaux sont d’origine foncière et qu’il n’y a pas de désordre là où les terres sont plus ou moins équitablement distribuées ou mises à la disposition de la population.
Partout dans le monde, la terre est âprement convoitée à cause non seulement de ses richesses de surface, mais également de celles du sous-sol et, entre ces deux richesses, il est difficile de dire laquelle est la plus précieuse. Dans le même temps, ce sont toutes les couches sociales qui sont concernées par la problématique foncière.
Les paysans et tous les agriculteurs ont besoin de grandes superficies pour leurs cultures, les éleveurs d’herbages pour leurs troupeaux et les autres de parcelles et d’espaces pour se construire des maisons d’habitation ou pour implanter des usines et des entreprises. On peut considérer que c’est la première richesse au monde parce qu’avec elle, il est possible d’avoir les autres : les biens matériels, l’argent, la considération sociale, le prestige, etc.
Au début pourtant, les terres n’appartinrent à personne et furent vacantes et sans maître, mais les premiers occupants, dans bien des cas, s’octroyèrent des droits de conquête et se recréèrent propriétaires fonciers. Cela fut le cas en Europe occidentale où à la fin de l’Antiquité (chute de l’empire romain) des hordes sauvages venues d’Europe du Nord, se rendirent maîtres de presque toutes les terres cultivables au détriment des populations locales. Cela fut aussi le cas en Amérique où les Anglais, les Portugais et les Espagnols volèrent aux populations précolombiennes toutes leurs terres avant de les réduire en esclavage entre le XVIe et le XIXe siècles. Toutes ces occupations territoriales furent violentes et aboutirent au génocide des populations locales comme il en fut de même en Afrique au XIXe siècle quand les mêmes Européens entreprirent la colonisation du continent.
Dans le cas de l’Europe envahie par les barbares, on assista à la division de la société en deux classes : la noblesse et l’aristocratie d’un côté, les rôturâs (non nobles) de l’autre. La présence des Européens en Amérique conduisit à la colonisation précoce de ce continent par ceux-ci.
Au Mali, où l’occupation du sol se fit sans violence dans presque toutes les zones, les problèmes fonciers n’eurent pas la même acuité jusqu’à l’arrivée des Européens au XIXe siècle.
Dans quelques zones, des chroniques villageoises font état de vente de terres entre le fama de Ségou et certains chefs de lignage ou de village à des montants évalués en cauris ou en nombre de chevaux, mais ces cas sont plutôt rarissimes et la règle générale semble avoir été l’établissement sur la base de la confiance réciproque.
Dans beaucoup de zones, la coutume faisait du chef de village (dugutigi), le chef de terre (dugukolo tigi), mais le deuxième titre l’était de façon honorifique seulement puisqu’il lui était interdit de vendre la terre. Comme prérogative, la coutume ne lui reconnaissait que le droit de louer les terres aux particuliers moyennant une infime partie sur les récoltes.
La moralité dominante était que la terre appartenait à tout le monde en général, à ceux qui la travaillaient en particulier. Cette philosophie était largement développée dans les zones rurales où pratiquement la vente de la terre était prohibée. Les conflits fonciers étaient toujours regardés d’un mauvais œil ; malgré tout lorsque cela arrivait, le petit trou de six pieds représentant le tombeau était montré aux protagonistes pour leur dire qu’en fait de titre foncier ou de terre, c’était cela qui leur appartenait, on profane et qu’il était proprement ridicule de se chamailler à cause de la terre.
Avec l’aval du chef de village et des chefs de famille, qui connaissaient les limites entre les parcelles, les villageois occupaient l’espace sans grand problème et naturellement sans rien débourser. Même l’étranger qui venait s’établir dans un village était accueilli et pourvu en terres en ce qui concernait la construction des maisons et l’ouverture des champs, mais cela à des conditions précisées par le chef de village dès le départ.
Entre villageois, le système de la jachère et la rotation qui en découlait permettait à tous d’avoir leurs superficies cultivables.
La société traditionnelle a su bien gérer ses terres même pendant la période coloniale, aussi bien en zones agricoles qu’en zones pastorales, la différence n’était pas d’ailleurs nette entre les deux dans beaucoup de régions au Mali.
L’idée d’acheter la terre et de la mettre en valeur date de la colonisation. Les administrations civiles et les colons commencèrent les premiers à se lancer dans des transactions immobilières, les chefs traditionnels les imitèrent en leur emboîtant les pas.
La terre ayant été progressivement reconnue comme une valeur marchande sûre, sa vente s’organise dans les grandes villes provoquant des conflits multiples, anéantissant parfois des fortunes et occasionnant aussi des procès retentissants.

Facoh Donki Diarra

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