Guinée-Conakry : le «takokelen» à la sauce guinéenne

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[Portrait] Guinée : un second mandat pour Alpha Condé
Le président de la Guinée, Alpha Condé, salue les militants de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), à Conakry, le 11 août 2015.
AFP PHOTO / CELLOU BINANI
Takokelen au Mali, un coup KO en Côte d’Ivoire, la victoire dès le premier tour, entendez bien. Chose qu’Alpha Condé a réalisée en Guinée Conakry lors de la présidentielle du 11 octobre 2015. C’est la voix des urnes. Ça nous rappelle ce que le père de Alfa Yaya Diallo disait au jeune prince et fougueux, futur roi et héros peulh de mère mandingue, dont l’hymne national guinéen chante les hauts faits : «Le pouvoir s’acquiert par les armes, mais s’exerce par la voix de Dieu». À notre temps, on ne changera qu’un seul mot de cette sagesse : armes en urnes.

À travers les urnes, selon la Cour constitutionnelle guinéenne, Alpha Condé est élu président de la République avec 57,84 % des voix au lieu des 87,85 % de la CENI. Sans surprise dans le classement. Puisque Cellou Dalein arrive deuxième avec 31, 45 % (il a eu  31, 44 %  selon la CENI). Le score du troisième, Sydia Touré, ne change pas : la Cour a confirmé ses 6,1 %. Il y a 5 ans, c’était le même tiercé gagnant. Dans un autre scénario, il y a eu un second tour, après celui du 27 juin 2010.

Alpha et la présidentielle de 2010 

Alpha Condé le président guinéen fait partie des chefs d’Etat de la sous-région les mieux informés. On se souvient qu’au lendemain de sa victoire en 2010, avant la cérémonie de prestation de serment à son domicile, dans le quartier populaire de Madina-marché, toutes les informations lui parvenaient. L’opposant devenu président, qui était à notre micro, nous a confié ceci : «Le pouvoir a ceci de particulier que, même quand vous ne demandez rien, vous êtes informé. Un tas d’informations que j’ai fini d’analyser. Mais le pouvoir reste le pouvoir, il faut faire avec et savoir se taire aussi».

Pour arriver à cette victoire, Dieu seul sait qu’Alpha a cravaché dur, car déjà au premier en 2010, il n’avait que 18% des voix contre 43% pour Mamadou Cellou Dalein Diallo. Il a fallu l’aide de beaucoup de gens, ses amis dont certains étaient président (Laurent Gbagbo), Bernard Kouchner, qui l’a aidé plus que tout le monde, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Sarkozy. Avec le soutien du groupe Bolloré.

Le temps aussi a joué en faveur du candidat du RPG Arc-ciel, lui qui ne vivait en Guinée que le temps des élections. Les 4 mois qui ont séparé les deux tours de la présidentielle de 2010 lui ont permis d’organiser le renversement de situation. Au cours d’une interview avec Cellou, dans son QG de campagne, il nous disait ceci : «Je perds cette élection, ça va marquer à vie, parce que j’ai tous les atouts nécessaires. Mon score est là aussi». Le directeur de campagne de Dalein Fodé Oussou est parti très loin : «Si mon candidat perd cette élection, je vais me retirer de la politique». Quelle assurance ! Mais au finish, en septembre 2010, c’est Alpha qui sortait vainqueur avec 52%, suivi de Cellou avec 47%. En plus de Kouchner, les partis amis étaient aussi venus porter main forte. C’est un cumul de soutiens qui a permis cette victoire.

Comment Alpha a réussi son Takokelen ?

La Guinée est divisée en 4 régions naturelles : une zone côtière, la Basse-Guinée, la Moyenne-Guinée, la Haute-Guinée, la Guinée forestière. En politique, cela est très important. Alpha Condé est de la Haute Guinée, alors que Cellou est de la Moyenne Guinée, dominée par les peuls. Après sa débâcle de 2010, Alpha Condé a compris qu’il lui faut des électeurs dans toutes les régions du pays, sans oublier chez lui-même, où il devait se battre contre Lansana Kouyaté qui est aussi de la haute Guinée, la zone malinké. Alpha Condé a joué de la tête, des bras et des pieds dans la préparation de cette victoire pendant cinq ans. Il s’est fait voir et entendre, il a écouté le maximum de Guinéens, s’est enquis de leurs misères, les a touchés de la main, a pris leurs enfants et a rendu visite aux sages de nombre de localités avec des colas et des «nèm-nèm » (sauce de Piné). Ils ont fait des prières et bénédictions pour lui… Les réalisations inattendues et surtout les projets et promesses mirobolantes n’ont pas laissé tout le monde indifférent dans tous les fiefs de ses adversaires. Et  cela lui a permis de grappiller, de grignoter, de rogner des voix déterminantes. À chaque sortie, le président guinéen prenait lui-même les contacts des leaders religieux, coutumiers, les jeunes et femmes dans son propre carnet. Une fois arrivée à Conakry, après ses tournées, il prenait le temps chaque matin avant d’aller au bureau pour échanger avec des leaders. Cette constance a fait tache d’huile. Beaucoup de personnes visitées sont restées fidèles et indéfectibles à leur leader. À cela il faut ajouter l’appui de tous ces techniciens, spécialistes des élections des partis amis venus du Mali,  du Niger, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, de la Guinée Bissau, et même de la France. Ils ont mis en place une machine électorale plus sûre que celle du RPG Arc-ciel. Car le président Alpha Condé lui-même était devenu un spécialiste du fichier électoral. L’aspect ethnique a beaucoup joué, son origine malinké, comme Sékou Touré, le premier président de la Guinée. Alors qu’il lui était souvent reproché sa constante absence du pays, Alpha Condé est resté au contact de ses compatriotes pendant ces 5 dernières années. Mais les gens n’avaient pas oublié qu’il a longtemps vécu en exil pour passer être l’homme de l’étranger. Condé en a tiré des leçons.

C’est vrai que les observateurs parlent de bourrage d’urnes, de fichier électoral qui n’était pas dans l’ordre alphabétique. Faut-il reconnaître aussi que les opposants ont été gourmands, et ont du coup facilité cette victoire. Car Cellou s’est retiré bien avant la fermeture des bureaux de vote. Il avait informé tout son entourage le 11 octobre 2015 à 16 heures, quand il a eu des échos. Aujourd’hui, on peut dire que cela a aussi permis de faciliter les choses pour le RPG et alliés.

À la cour constitutionnelle, le reste est connu

Selon la Cour constitutionnelle guinéenne, Alpha Condé est élu président de la République avec 57,84 % des voix au lieu des 87,85 % de la CENI. Sans surprise dans le classement. Puisque Cellou Dalein arrive deuxième  avec 31, 45 % (il a eu  31, 44 %  selon la CENI). Le score du troisième, Sydia Touré, ne change pas : la Cour a confirmé ses 6,1 %. Il y a 5 ans, c’était le même tiercé gagnant mais pas de la même façon. Malgré son faible score du premier tour (18 %), Alpha Condé remporte l’élection présidentielle en Guinée avec 52,5% des voix contre 47,4 %% à son adversaire Cellou Dallein Diallo.

En 2010, Alpha Condé avait gagné les élections, même si certains disaient que le Premier ministre de l’époque jean Marié Doré est son ami et compagnon politique. Après le scrutin de 2010, allongé dans un fauteuil, chez lui à Madina marché, Alpha était au téléphone avec Jean Marie Doré : «Bien fait,  grand-frère. Vraiment tu es un bon forestier. En  guise de récompense, je te promets une cargaison de chimpanzés». Donné ou pas, ce jour, c’était l’ambiance à la résidence d’Alpha Condé qui accueillait son épouse venue de la France Hadja Djéné. Alpha Condé et les femmes, c’est une autre histoire. Car, c’était à chaque élection présidentielle, une nouvelle femme. En 2010, l’Onu ainsi que l’Organisation internationale de la francophonie (O.I.F.) ont  appelé  les Guinéens à accepter les “résultats de l’élection”. Cette année, personne n’a fait signe. C’est dire que le second tour tenu le 7 novembre 2010 est différent de l’unique tour du 11 octobre 2015. Alpha Condé aura-t-il les moyens nécessaires pour convaincre les Guinéens après son Takokelen ?

Kassim TRAORE

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