David Criekemans: “Donald Trump a toujours déclaré vouloir éviter les guerres. Dimanche, il voulait rencontrer les Iraniens à Oman pour un accord sur le nucléaire, mais le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu l’a devancé. Israël y a vu une opportunité stratégique. Vendredi, Trump a commencé à changer d’avis.”
“En politique américaine, le lobby israélien est très influent, et Netanyahu a probablement réussi à séduire Trump avec l’idée que c’était aussi une opportunité pour les États-Unis de régler une bonne fois pour toutes son compte au régime des ayatollahs, faisant ainsi de Trump le président qui aura modifié l’ordre mondial.”
Koert Debeuf: “L’attaque de vendredi a torpillé ces négociations. Trump est imprévisible, et comme les émotions entrent aussi en jeu, il m’est impossible de dire ce qui va se passer à présent.”
David Criekemans: “Entre-temps, on a vu les Américains déplacer leurs B52 vers l’Europe et le Moyen-Orient. Ces bombardiers peuvent larguer des GBU-57 bunker busters, capables de détruire l’usine souterraine d’enrichissement d’uranium de Fordo.”
Si les États-Unis venaient à lancer une attaque, comment réagiraient les alliés de l’Iran?
Koert Debeuf: “Dans la région, l’Iran a plusieurs alliés comme le Hezbollah, le Hamas, certaines milices irakiennes et les Houthis. Seraient-ils toutefois capables d’intervenir? Il y a aussi le Pakistan, qui a averti qu’il réagirait si les États-Unis s’impliquent activement dans le conflit. Reste à voir comment, car le pays est déjà en conflit avec l’Inde. Et bien qu’il dispose de l’arme nucléaire, je ne vois pas clairement ce qu’il ferait dans ce cas.”
L’Iran a aidé la Russie avec des drones dans la guerre en Ukraine: la Russie lui rendrait-elle la pareille dans le conflit avec Israël?
Koert Debeuf: “La Russie a proposé de jouer les médiateurs, mais Trump a refusé.”
David Criekemans: “Il lui a littéralement dit: ‘Fais-moi une faveur, fais le médiateur pour toi-même.’ En janvier, Poutine a signé un partenariat stratégique de 20 ans avec l’Iran. Je pense qu’Israël a constaté que cet accord n’était qu’une coquille vide, et qu’ils peuvent attaquer l’Iran sans trop d’ingérence russe. Moscou n’a pas la capacité d’ouvrir un second front.”
Koert Debeuf: “La Russie manque elle-même d’armes. Elle pourrait fournir des drones, mais si elle veut aider l’Iran avec des armes de guerre plus lourdes, elle devra aussi fournir des plateformes de lancement, ce qui n’est pas si simple.”
David Criekemans : “Ces drones sont d’ailleurs désormais produits en sous-traitance sur le territoire russe. Les Russes ont la technologie, et ont probablement promis autre chose à l’Iran.”
Quelle est la position de la Chine sur ce conflit? Resterait-elle à l’écart, même si les États-Unis et éventuellement la Russie y prenaient part?
Koert Debeuf: “La Chine a rapidement condamné l’attaque israélienne et a proposé de jouer les médiateurs. Une proposition elle aussi rejetée. Je ne pense pas que la Chine s’impliquera dans ce conflit. Ce n’est pas dans sa tradition. Certes, plusieurs armes utilisées par l’Iran sont issues de technologies chinoises, mais ce n’est pas une raison pour intervenir. Pékin veut surtout éviter tout conflit avec Washington.”
David Criekemans: “La Chine recherche avant tout la stabilité. Elle importe une part substantielle du pétrole produit par l’Iran. L’Iran produit 3,3 millions de barils par jour, dont 2 millions sont destinés à l’exportation, et la Chine est son principal client. Cela signifie que l’Iran ne peut rien entreprendre dans le détroit d’Ormuz sans mettre en danger ses exportations vers la Chine.”
L’Iran a un programme nucléaire mais a signé le traité de non-prolifération, alors qu’Israël possède officieusement la bombe sans avoir signé le TNP: pourquoi l’Iran est-il considéré comme l’ennemi?
Koert Debeuf: “Bonne question. L’inimitié n’a en réalité rien à voir avec les armes nucléaires. Les États-Unis et l’Iran sont ennemis depuis 1979, et la haine réciproque est très profonde. Il va de soi que les États-Unis et l’Occident en général préfèrent éviter que d’autres pays se dotent de l’arme nucléaire, surtout des nations hostiles. Bien sûr, c’est du deux poids, deux mesures: pourquoi ce pays aurait-il le droit d’avoir la bombe, et un autre non?”
David Criekemans: “Parce que les États-Unis protègent Israël. Nous, Européens, regardons d’abord le droit international, mais en réalité, les règles sont faites par les pays les plus puissants. La politique internationale est pleine de paradoxes et de schizophrénie.”
Si l’Iran attaquait des bases militaires américaines dans la région, l’OTAN devrait-elle intervenir comme le stipule l’article 5 ? Autrement dit, l’Europe serait-elle impliquée dans cette guerre?
Koert Debeuf: “Non, l’article 5 de l’OTAN ne concerne que les attaques sur le territoire d’un pays membre. Sinon, nous aurions déjà mené de nombreuses guerres avec l’OTAN.”
Quel est le risque d’une Troisième Guerre mondiale ?
David Criekemans : “Cette question revient souvent lors de grandes crises. Je pense néanmoins que ce conflit restera limité à la scène du Moyen-Orient.”
Koert Debeuf : “Qu’est-ce qu’une guerre mondiale? Nous en avons connu deux à une époque où de nombreux pays avaient encore des colonies, ce qui a entraîné une implication globale. Aujourd’hui, la situation est totalement différente, et les chances que l’Europe soit impliquée dans ce conflit sont faibles. Sauf si l’Iran vise un objectif européen, ce que je ne vois pas du tout arriver. On constate que les foyers de conflit dans le monde s’étendent. Il y a actuellement 52 conflits en cours, mais même en les additionnant tous, on n’atteint pas une guerre mondiale.”
Source: https://www.7sur7.be/