Le directeur général de la CANAM, Luc Ankoudio Togo : “De la protestation, nous nous sommes rendu aujourd’hui que l’Amo est incontournable”

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Dans cet entretien exclusif, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam) Luc Ankoudio Togo, se dit satisfait du bilan enregistré dans le cadre de la campagne de la carte biométrique. En 2017, plus de 500 000 personnes ont été enrôlées sur plus d’un million d’assurés. Pour lui, 2018 est un tournant décisif pour réaliser de nombreux chantiers, notamment l’Assurance maladie universelle, qui permettra à beaucoup d’autres Maliens de bénéficier de soins à moindre coût.

Aujourd’hui : Monsieur le directeur Général, l’année 2017 a été particulièrement marquée à la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam) par des innovations, notamment en ce qui concerne le fichier biométrique des assurés. Pouvez-vous d’abord nous rappeler en quoi consiste la mise en place d’un fichier biométrique au niveau de la Canam ?

Luc Ankoudio Togo : Merci encore une fois de m’avoir offert cette opportunité pour échanger sur un certain nombre d’aspects concernant la gestion de l’Assurance maladie obligatoire (Amo). Je voulais tout simplement dire que la mise en place d’un système biométrique concernant l’immatriculation et la production des cartes au niveau de la Canam a pour objet principalement de moderniser l’ensemble de notre système et d’offrir une certaine garantie de lutter contre la fraude. Ce sont des outils modernes qui, aujourd’hui, sont de plus en plus de mise dans l’organisation  et la gestion d’un certain nombre de réformes majeures. Pour nous, c’est une démarche qui est incontournable surtout quand nous sommes dans un contexte de gestion d’un régime d’Assurance maladie publique et de masse. C’est un système public parce que procédant de politique publique dans laquelle le leadership  est assumé et le nombre de personnes affiliées est, ce faisant, assez élevé. Et la biométrie est certainement l’un des instruments permettant non seulement de moderniser tout court, mais également de lutter contre la fraude. C’est seulement le mobile de la mise en place de ce système biométrique.

Dans le même ordre d’idées, pouvez-vous rappeler les différentes mesures que vous avez eu à prendre pour rendre effective la campagne d’enrôlement biométrique sur l’ensemble du territoire national ?

Ce qui fait que cette initiative est novatrice, c’est que nous utilisons aujourd’hui des appareils pour gérer un certain nombre de processus sur le plan administratif et sur le plan technique. Je veux dire tout simplement les supports qui sont utilisés pour prendre les vues, pour imprimer les cartes en y intégrant les différentes informations concernant l’assuré.

Sur le plan technologique, ce système est assez sophistiqué. Peut-être que c’est à cause de cela qu’il est beaucoup plus fiable que les supports que nous produisions.

Dans ce processus, il faut reconnaitre que nous utilisons du matériel de haute technologie pour en même temps intégrer les informations concernant les assurés, mais également pour y introduire un certain nombre d’informations, notamment celles de type biométrique comme les empreintes digitales.

Sur le terrain, nous avons initié une campagne d’information pour que dans chaque commune du district de Bamako ou dans chaque région des points soient communiqués aux assurés afin de leur permettre de s’y rendre et de se soumettre aux opérations d’enrôlement.

A Bamako, les bureaux de l’Inps et de la Cmss abritent les équipes pour la bonne opération. Il suffit pour des gens qui ne se sont pas fait enrôler de se rendre dans ces centres. C’est pareil dans les chefs-lieux des régions. Les équipes sont présentes à Gao et Tombouctou.  Nous avons aussi une équipe mobile, notamment à Bamako. En cas de besoin spécifique, elle peut se déplacer pour effectuer les opérations d’enrôlement pour des gens, pour qui les déplacements sont assez difficiles en particulier.

C’est pour vous dire qu’à chaque point, il y a une équipe avec un kit d’enrôlement. Et ceux qui relèvent de la Caisse malienne de sécurité sociale (Cmss) se rendent au niveau de leurs bureaux et ceux de l’Institut national de prévoyance sociale (Inps) au niveau de différents centres de l’Institut pour être soumis à ces opérations.

Il faut préciser aussi qu’il y a une équipe à la Maison des Aînés. Tous ceux qui veulent se faire enrôler peuvent se présenter là-bas. Cela concerne surtout ceux qui ont déjà un numéro de matricule. Il s’agit donc pour eux d’une opération de renouvellement de l’enrôlement. Il y a ceux qui sont assujettis, mais qui n’ont jamais procédé à une opération d’enrôlement. En d’autres termes, ils n’ont pas de numéros. Ceux-ci aussi sont concernés. Après avoir été immatriculés et avoir leurs numéros, ils bénéficient de leur carte au même titre que ceux, auparavant, qui s’étaient déjà fait enrôler.

  1. le Directeur, il serait bon de rappeler les avantages liés à l’usage de cette carte biométrique pour les assurés de la Canam ?

Quand cette carte biométrique va être opérationnalisée, cela nous permettra véritablement de moderniser le système d’ouverture des droits. Par exemple, vous avez une carte biométrique, vous vous rendez au niveau d’un établissement sanitaire, sur place on vérifie si vous êtes dans les conditions d’accéder aux prestataires de soins, c’est-à-dire les médecins. Cela en faisant quoi ? Les gens qui s’occupent des assurés vous prendront la carte et vont l’introduire dans un lecteur. En fonction de votre situation, il imprimera ou pas un ticket pour que vous puissiez accéder aux soins. A supposer par exemple que dans le lecteur la carte est introduite et qui s’avère que l’empreinte que vous allez apposer n’est pas reconnue par la machine, cela veut dire que vous avez peut-être subtilisé la carte de quelqu’un d’autre.  Là, vous n’aurez pas le ticket vous permettant d’accéder aux prestations.

Une autre information, si vous n’êtes pas à jour de cotisation. Les renseignements vous concernant sont dans la puce. Vous ne pourrez pas accéder aux soins parce que vous n’êtes pas en situation régulière. C’est pourquoi, la machine n’acceptera pas que vous ayez le petit ticket vous permettant d’accéder aux prestations. C’est donc un filtre qui pourra être fait et qui contribuera à la lutte contre la fraude. Nous sommes en train d’équiper progressivement les différents prestataires. Il s’agit de les équiper en lecteur pour qu’en un certain moment de l’année, nous puissions informer les gens du retrait des anciennes cartes. En ce moment, cela veut dire que ces cartes ne pourront pas être utilisées puisque c’est la nouvelle carte qui va être généralisée.

Pour le moment, nous continuons les enrôlements. Quand nous estimons que le maximum de gens a été enrôlé, en ce moment, nous pourrons édicter le principe de faire sortir les anciennes cartes, qui ne seront plus utilisables. Du coup, les cartes biométriques vont les remplacer. Nous n’avons pas encore fixé cette date. Ce qui fait que les deux cartes coexistent. En d’autres termes, on peut bel et bien utiliser ces deux cartes.

Quel bilan chiffré au 31 décembre 2017 pouvez-vous tirer de cette campagne biométrique ? 

Sur les éléments quantitatifs, nous sommes à près de 500 000 personnes qui sont déjà enrôlées. Il s’agit de gens dont leurs cartes biométriques ont été produites. Cela n’est pas suffisant puisqu’il reste beaucoup à faire. Cela veut dire que nous allons mettre à profit pour que le reste des gens puissent être enrôlés. Nous avons aujourd’hui plus de 1 200 000 numéros d’immatriculés. C’est à partir de là que nous pourrons être amenés à retirer les anciennes cartes.

Sur le plan de la démarche, nous estimons que de plus en plus le rodage est fait. Beaucoup de gens savent déjà où on peut procéder aux enrôlements. Cela est très important.

Et en matière de prestations aux assurés, quelles ont été les grandes innovations de l’année 2017 ?

Vous savez, il y a des pays où les gens n’ont pas pris en compte le secteur privé dans le système d’assurance. C’est seulement les établissements publics. Nous avons donc opté d’offrir le maximum de choix aux assurés quand ils décident pour solliciter une prise en charge médicale. C’est pour cela que nous avons entrepris d’intégrer le système privé. Les pharmacies, les laboratoires…au niveau des cliniques et des cabinets médicaux. C’est une initiative qui est salutaire parce que nous avons aujourd’hui des dizaines de cliniques qui ont une convention avec la Canam et qui, à l’instar des établissements publics de santé, offrent des prestations pour le compte de l’Assurance maladie obligatoire (Amo). Cette tendance a été maintenue en 2017. Je pense que c’est heureux parce que les assurés ont plus de choix d’aller dans un établissement privé. Ils ne sont pas obligés forcément d’aller dans un établissement public. Cela correspond un peu à la recherche de confort.

A Bamako, les plus grandes cliniques comme Pasteur sont désormais conventionnées à la Canam. C’est pour vous dire que les malades peuvent aller aussi dans ces cliniques. Les modalités sont ce qu’elles sont en termes de tarification. Mais le choix est donné aux gens d’aller où ils veulent pour se faire prendre en charge.

Aujourd’hui, il y a combien de pharmacies conventionnées à la Canam ?

Nous sommes à plus de 700 pharmacies conventionnées.

Et quelles sont les grandes perspectives 2018 pour la Canam ?

Nous sommes aujourd’hui à un grand tournant en ce qui concerne la gestion de l’Assurance maladie obligatoire. Le système d’information est en train de se renforcer. Nous allons consacrer quasiment le passage définitif à la nouvelle version.  Le passage du premier logiciel jusqu’au dernier qui a été acquis. Cet exercice de migration a commencé depuis 2 ans. Nous pensons parachever cet exercice cette année pour ne gérer qu’avec le nouveau système.

Nous avons aussi en chantier le processus de lancement de la dématérialisation des opérations. Cela consistera à sortir petit à petit de la formule de soins classiques et de faire aussi bien les prescriptions que les opérations de liquidation et de payement sous la forme dématérialisée. Cela est une avance sur le plan de la modernisation. Ce chantier sera conduit cette année.

Je disais que nous sommes à un tournoi décisif parce qu’au niveau du gouvernement, il y a une réforme majeure qui est engagée depuis deux ans. C’est le passage de l’Amo et du Ramed à un système d’Assurance maladie universelle. Au lieu de continuer à prendre en charge que les fonctionnaires, les travailleurs et les retraités, il s’agira d’étendre ce système aux autres catégories de la population, qui sont d’ailleurs les plus nombreuses. Il s’agit du secteur informel et agricole. Donc, le système d’assurance doit être étendu à ces catégories de gens. C’est vraiment un chantier colossal. Mais nous sommes en train de produire tous les instruments permettant de passer à cela. D’ores et déjà, l’avant-projet de loi sera bientôt validé de manière que le gouvernement l’adopte prochainement et que l’Assemblée nationale l’adopte.

Le processus est enclenché. On peut dire qu’en 2018, ce système aura été mis en place. Et il va se consolider petit-à-petit.

En tant que directeur général de la Canam, quelles sont vos ambitions ?

Nous savons bien d’où nous venons. Je suis convaincu qu’une réforme d’assurance maladie dans notre pays est plus que bienvenue. Pour la simple raison que le payement direct des frais de santé coûte cher. Et le système d’assurance permet de cotiser modestement. Chez nous, on dit que vous cotisez selon vos moyens et vous êtes pris en charge selon vos besoins. C’est strictement la réalité. Il n’y a pas meilleure solidarité dans le système d’assurance que celui que nous avons en pratique au niveau de l’Amo.   Vous pouvez avoir une personne qui cotise seulement 100 Fcfa et une autre qui cotise 60 000 Fcfa, mais ils ont droit aux mêmes prestations. C’est ça qu’on appelle solidarité.

Pour moi, convaincu que la mise en place d’un système d’assurance et sa maturation c’est de plus en plus incontournable dans nos pays, fort de cela, je pense véritablement que le défi est grand. Et nous ne pouvons plus faire marche arrière. De la protestation, nous nous sommes rendu compte aujourd’hui à considérer que l’Amo est incontournable. C’est pour cela que, dans la perspective de la mise en place de l’Assurance maladie universelle, nous devons toujours préconiser la démarche partenariale, participative et concertée. Parce que les réformes sociales sont extrêmement complexes.

Pour la couverture maladie universelle, notre devoir est de développer la démarche partenariale, participative et concertée. C’est à ces démarches que nous allons aboutir au raffermissement de cette réforme.

Au vu de ce bilan, quel appel avez-vous à lancer aux prestataires et assurés de la Canam ?

D’une manière générale, concernant l’Amo, tout le monde sait d’où on vient. Cela n’a pas été facile. Nous nous réjouissons bien sûr que de plus en plus les gens comprennent. Sur le front social, je pense que tout est apaisé.  Au niveau de la Canam, nous sommes conscients qu’il y a toujours des efforts à faire par rapport à la maitrise des effectifs, à la qualité des prestations, à la célérité des disponibilités des cartes… Nous sommes donc interpellés à l’interne.

Ce que je voulais lancer comme appel aux employeurs, aux assurés et à toute la population, c’est de dire que nous sommes désormais dans un système dont les avantages sont vécus aujourd’hui. Je crois qu’il n’y a pas de doute que les avantages sont indéniables. Et nous sommes tous interpellés pour enraciner davantage cette réforme.

Pour les employeurs, ce serait d’immatriculer systématiquement parce que c’est eux qui doivent déclarer leur personnel. Donc, de le faire avec la plus grande sérénité parce qu’il y va de l’intérêt de l’entreprise. Il n’est jamais bon d’avoir un personnel malade. Si la personne est assurée, elle est prise en charge par l’Amo. Cela fait toujours du bien pour l’entreprise.  Que les employeurs publics ou privés aillent systématiquement faire affilier leur personnel et conséquemment à verser les cotisations.

S’agissant de l’immatriculation, je voulais inviter les uns et les autres, ceux-là qui aujourd’hui, pour une raison ou une autre, n’ont pas eu à faire le pas, d’aller à l’enrôlement. Qu’ils emboitent vraiment le pas et qu’ils puissent aller dans les centres déjà connus. Qu’ils puissent faire immatriculer leurs ayants-droits. C’est-à-dire leur famille   

              Réalisé par A.B. HAÏDARA

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