Parallèlement à cette crise se développait une autre. Des soulèvements se sont propagés dans d’autres communes pour demander l’abrogation du couvre-feu. Lors d’une manifestation dans la ville de Kayes, située à l’ouest du pays, un jeune de vingt ans a été tué par la police. La situation a alors dégénéré, les émeutes se sont amplifiées, trois protestataires ont été abattus, deux commissariats ont été brûlés. À l’heure actuelle, la ville est toujours en proie à une extrême tension.
Finalement, les événements de Kayes ont réussi à faire oublier la contestation électorale. Ils ont également permis de faire passer à l’arrière-plan
l’arrestation, aussi surprenante qu’inattendue, de Clément Dembélé, une figure de la lutte anticorruption. Officiellement, les autorités maliennes l’accusent de «sédition» pour s’être élevé contre l’ouverture du feu sur les manifestants désarmés de Sikasso. Officieusement, Clément Dembélé s’apprêtait à relancer des dossiers de corruption sur les contrats d’armement.
Au Mali, une crise vient toujours en cacher une autre. Pour autant, cela ne résout rien, l’Assemblée nationale restera entachée d’illégitimité jusqu’au prochain scrutin, ouvrant ainsi une crise postélectorale sur le long terme, à l’instar de la présidentielle contestée de 2018. Comme si le Mali avait besoin de renforcer ses fragilités…
«Un État Potemkine»
En 2018, deux chercheurs d’une université californienne ont publié une étude dans laquelle ils se demandaient si l’État malien n’était pas un «
État Potemkine», une construction fictive dans laquelle le conflit jouait un rôle crucial dans la mesure où il offrait à ce pays «
d'importantes opportunités de se mettre en scène, de développer et de multiplier les institutions, et d'obtenir un soutien extérieur».
Or, si ces soutiens extérieurs –Union européenne, Nations unies, France qui intervient militairement– contribuent à entretenir cette construction fictive, c’est à leur corps défendant. Ils ne cessent d’ailleurs de répéter à longueur de déclarations, de colloques que le terrorisme se nourrit de la déliquescence des États. Mais «en même temps», ils continuent à maintenir le Mali sous perfusion au nom d’arguments dignes du Café du commerce –«On sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on perd» «Qui pour remplacer le Président si le système s’écroule?»– qui leur tient lieu de politique. Le très noble principe de souveraineté est également rabâché pour justifier le silence devant les fraudes électorales, l’inaction de la Minusma lorsqu’il s’agit de protéger les populations, alors que c’est pourtant une des principales missions de son mandat, etc.
Oublient-ils tous, ou bien feignent-ils d’oublier, que si le Mali était vraiment souverain, aucun de ces acteurs extérieurs ne serait présent sur le terrain? C’est néanmoins au nom de cette sacro-sainte souveraineté nationale que les acteurs extérieurs se gardent de modifier d’un iota leur politique.Récemment, le commandant de la force Barkhane s’est félicité des «
victoires tactiques» remportées par l’armée française et des pressions mises sur un «ennemi aux abois». Le choix du vocabulaire n’est pas innocent, le général Pascal Facon n’ignore pas que la multiplication de «victoires tactiques» n’a jamais permis de victoire stratégique, en clair, de gagner la guerre. Quant à l’expression «l’ennemi aux abois», elle avait déjà été utilisée deux ans plus tôt par son prédécesseur, la suite est connue...
Le développement est l’autre cheval de bataille des acteurs extérieurs qui prônent tous cette devise: «Il n’y a pas de développement sans sécurité, ni de sécurité sans développement.» Cependant, la litanie de tous les maux vécus par les Maliens citée au début de cet article prouve l’inefficacité des efforts internationaux pour reconstruire le pays. Surtout, ne changeons rien. Et pourtant, comme l’écrit un journaliste malien avec sa plume trempée dans le vitriol, «
on ne cache pas la fumée d’une maison qui brûle».