Audit des comptes des partis politiques : Entre volonté de transparence et pression pour accepter leur sort

Quand l’État demande des comptes aux partis politiques après les avoir dissous ! Que faut-il comprendre ou lire entre les lignes ?

26 Juin 2025 - 01:54
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Audit des comptes des partis politiques : Entre volonté de transparence et pression pour accepter leur sort

Selon de nombreux observateurs, loin d’être une quête de transparence, cela peut être assimilé à une tentative d’intimidation pour contraindre les acteurs politiques à accepter non seulement leur sort, mais aussi la prolongation de la transition de 5 nouvelles années renouvelables. En tout cas, pour Me Mountaga Tall, une figure emblématique du mouvement démocratique, cela s’apparente à demander aux «morts d’assister à leurs funérailles».

Quand le gouvernement «demande aux morts d’assister à leurs funérailles» et à la cour des comptes d’auditer ses propres audits ! Telle est la conviction de Me Mountaga Tall, président du Cnid-Fyt et figure emblématique du mouvement démocratique, après la décision des autorités de la transition de demander des comptes aux partis politiques.

En effet, dans le cadre de l’audit des financements des partis politiques pour la période de juillet 2000 à mai 2025, le président de la section des comptes de la Cour suprême enjoint à leurs responsables à soumettre, au plus tard le 30 juin 2025, les documents comme les copies des états financiers, les justificatifs des dépenses, les journaux de banque et de caisse, les relevés bancaires et états de rapprochement, les rapports annuels détaillant l’état des ressources. «Toute tentative d’évitement ou de non-conformité pourrait entraîner des conséquences graves. Agissez promptement pour assurer la transparence», a-t-on menacé dans l’avis. Autant menacer une femme enceinte avec une banane ou un cabri mort avec un couteau.

Selon certaines sources, le Trésor public a octroyé aux chapelles politiques près de 25 milliards de FCFA durant la période évoquée. La redevabilité et la transparence sont des principes sacrés en démocratie. Mais, c’est le timing de cette requête qui suscite des interrogations. On demande des comptes à des organisations qui n’existent plus légalement après la dissolution par le président de la Transition par décret. Il est évident qu’auditer une organisation qui n’existe plus paraît plus que problématique. Comme le souligne un expert, «la logique voudrait que l’audit précède la dissolution». Il aurait d’ailleurs dû ou pu être un critère d’assainissement de la classe politique en lieu et place de la dissolution de l’ensemble des partis politiques. Sans compter que le délai légal de conservation obligatoire des documents comptables est de dix ans au Mali or cet audit couvre une période de 25 ans, soit 15 ans de trop !

Que faut-il comprendre par cette «décision téléguidée» ? Pour de nombreux observateurs, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Loin d’être une quête de transparence, cela peut être assimilé à une tentative d’intimidation pour contraindre les acteurs politiques à accepter non seulement leur sort, mais aussi la prolongation de la transition de 5 nouvelles années renouvelables. Difficile de leur donner tort dans la mesure où cette même section des comptes devait veiller annuellement à l’utilisation correcte de l’aide publique accordées aux chapelles politiques. En effet, selon nos recoupements, la Cour suprême a déjà contrôlé les comptes des partis politiques sur la période concernée hormis l’année 2025 en cours. Elle a déjà exprimé son opinion de certification ou refus de certification desdits comptes année après année.

Il est vrai que certaines formations ont toujours trouvé les moyens de se dérober à cet exercice. Mais, les gros bénéficiaires s’y sont toujours pliés. C’est comme si alors la Cour suprême remettait en cause les audits de sa section des comptes entre 2000 et 2025. «Avec de très bons avocats, les partis n’auront aucune difficulté à dénoncer cette requête puisqu’ils n’existent plus officiellement», nous a confié un juriste.

Des fantômes appelés à retirer des lettres au nom des partis dissous ?

La preuve de l’incongruité de cette requête, c’est que la Section des comptes de la Cour suprême ne s’est adressée aux «présidents des anciens partis politiques» qu’à travers une correspondance nominative qui n’a pu être déposée à leurs sièges, tous fermés. Finalement, c’est une invitation à les retirer qui aurait été finalement diffusée par l’ORTM. Et personne n’est contraint à le faire puisqu'aucun parti politique ou organisation à caractère politique n’existe aujourd’hui au Mali.

En tout cas, pour Me Mountaga Tall, la demande de la Section des comptes s’apparente à demander aux «morts d’assister à leurs funérailles». Même si, a souligné cette figure emblématique du mouvement démocratique, «à l’annonce de l’audit du financement des partis politiques, j’ai eu un soulagement indescriptible : enfin, j’allais pouvoir prouver aux Maliennes et Maliens que les comptes du Cnid-Faso Yiriwa Ton étaient sincères, clairs et nets et que moi-même était blanc comme du lait de chamelle». Et d’ajouter, «je suis sûr que je n’étais pas seul dans ce cas». Mais, a déploré le juriste chevronné, «ma joie a été de courte durée, avec la dissolution des partis politiques avant l’audit annoncé».

Et, la lettre de la section des comptes a fini par le convaincre «qu’il ne s’agit pas de faire un audit pour connaître la vérité sur les comptes des partis politiques, mais simplement d’une opération en vue de les salir et de les discréditer». Pour le brillant avocat et leader politique, cette lettre n’est qu’une «tentative puérile» de leur «tendre un piège grossier» en les incitant à «violer les interdits posés par la loi de leur dissolution».

«Très pertinent et percutant texte de Me Mountaga», ont analysé plusieurs consultants politiques interrogés sur la question, comme Fousseyni Camara, intellectuel et syndicaliste à la retraite. Ce dernier se dit surpris par «la posture de la classe politique à vouloir toujours boire le calice jusqu'à qu'à la lie, en se soumettant docilement à toutes les lois qui sont piétinées par ceux-là mêmes qui ont fait le serment de les appliquer et de les faire appliquer». Et d’enfoncer le clou, «malgré le mépris total de nos lois de la part de nos autorités de Transition, c'est assez touchant que la classe politique persiste à se conformer à des lois qui n'existent presque plus que sur le papier».

A propos d'audit, a souligné M. Camara, «je pense que la classe politique aussi est en droit de dresser une liste de toutes les violations de nos lois fondamentales dont la transition s'est rendue coupable depuis août 2020 et de transmettre cet audit à la Cour constitutionnelle car, apparemment, les sages ne réagissent aux violations répétées des lois que lorsqu'ils sont saisis».

Pour cette personnalité influente au sein de la diaspora malienne en France, les choses sont très claires. «Les autorités de la transition savent que la décision d'auditer les partis politiques n'est pas applicable, car l'accès à leurs sièges est interdit. Mais, qu'à cela ne tienne ! Il leur faut absolument un prétexte pour arrêter les rescapés, c'est-à-dire ceux qui ne sont ni en prison ni en exil». Et, comme beaucoup d’autres de nos interlocuteurs, il est convaincu «qu’elles le feront sans conséquences car, il faut le dire, la communauté internationale est fatiguée de la versatilité et de l'inconsistance des Maliens qui veulent une chose et son contraire».

Selon un juriste, il ne saurait être question pour les partis qui se respectent de retirer la lettre, ni à fortiori d’y répondre. Et cela, ironise Me Tall, par «respect de la loi. Même si nous la désapprouvons. Même si nous l’avons attaqué. Il en va ainsi de la République, de la démocratie, des Républicains et des démocrates». Comme le dit si bien le président du Cnid-Fyt, dans sa publication sur les réseaux sociaux, «pour obtenir satisfaction sur les états financiers des partis, la Section des comptes doit demander leur rétablissement» ! Donc désavouer les autorités de la transition. Ce qui ne peut pas être assimilé à un crime de lèse-majesté de la part d’une institution judiciaire crédible, car indépendante !

Hamady Tamba

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