Les femmes traumatisées (2) : Les nuits de la violence

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Des époux au départ normaux, mais qui de manière inexplicable se transforment en brutes, voilà le calvaire que doivent affronter les victimes de ces perversions masculines.

Des femmes traumatisées par le comportement brutal de leur conjoint, on en rencontre de plus en plus. Tout se passe dans de nombreux cas comme si le père de famille, l’époux ne se sent maître de sa compagne qu’en la dominant physiquement. Ce genre de situation ne se rencontre pas seulement dans les campagnes où la tradition excuse souvent le manque d’égards de l’homme. Il se produit aussi en ville, dans des milieux qu’on aurait cru “évolués”. Avec un groupe de femmes emmenées par notre amie Mâh, nous avons reçu des témoignages qui sont parfois poignants. Pourtant le Mahatma Ghandi, l’apôtre de la non violence, affirmait que : « appeler les femmes le sexe faible est une diffamation. C’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si l’on appelle force, la force brutale, alors, certes la femme est bien inférieure à l’homme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes. Qui peut faire appel au cœur des hommes avec plus d’efficacité que la femme ? » Le grand penseur avait raison, mais la parole de la femme n’arrive pas toujours à bout des coeurs les plus durs et c’est précisément le sujet de notre récit d’aujourd’hui. Nous allons surtout nous intéresser à un phénomène particulier, celui de la brutalité qui entre de manière inattendue dans la vie d’un couple et malheureusement n’en sort plus.

Le martyre d’Anna- Mâh nous raconta le premier cas. Celui de Anna, une dame que je connaissais bien et dont je n’étais pas arrivé à trouver l’explication de sa mine éternellement triste : “Tu as raison de trouver, que Anna a un air continuellement déprimé, me dit Mâh, mais ce qu’elle a subi permet de comprendre pourquoi elle est à ce point abattue. Elle a fait d’abord un premier mariage qui n’a pas duré. Après son divorce d’avec son premier mari, elle épousa en secondes noces un nommé Massa. Pour dire vrai, nous n’avions pas bien compris pas son choix, car l’homme n’était sympathique à aucun membre de notre groupe. On le sentait infatué de lui-même, irascible, vantard, buté et surtout mal éduqué. Des défauts qui auraient fait fuir toute femme moyennement prudente, mais Anna craignait de rester une divorcée de longue durée si bien qu’elle se précipita dans les bras du premier venu qui s’intéressait sérieusement à elle. Mais elle-même sentait que son choix n’était pas fameux et elle nous cacha au départ cette relation. Lorsque nous commençâmes à nous en douter, elle banalisa la liaison en nous faisant croire qu’elle avait besoin de quelqu’un pour apaiser ses sens. Massa ne s’y prenait pas mal, disait-elle. Néanmoins nous demandâmes à connaître l’élu, car c’était là la règle du groupe. Franchement le jour où nous nous trouvâmes en présence de Massa, aucune d’entre nous ne put se défendre de se sentir mal à l’aise. C’était un vrai goujat et il nous fit part de sa façon de dresser une femme (il en avait déjà deux). Nous pensions donc qu’Anna mettrait rapidement fin à leur aventure. Quelle ne fut notre surprise six mois plus tard d’apprendre que Massa avait avancé les kolas, et cela à la demande pressante de notre amie. Trois mois après il devenait “notre époux” comme nous avions coutume de le dire entre nous. Moins d’une année passa et nous parvenaient les échos de la première dispute en public du couple. Massa était quelqu’un de mesquin et il avait toujours un reproche à faire à notre copine, quand il était de nuitée chez elle. Lasse d’être traînée dans la boue, elle organisa sa résistance en le boudant au lit. Au départ il s’en ficha, mais une nuit il la brutalisa et l’obligea à accepter les rapports. Elle garda pendant plusieurs jours les marques des gifles sur ses joues, à la grande joie de ses coépouses. La fois suivante, elle eut une épaule démise, conséquence d’une lutte acharnée pour repousser les avances de son mari. Massa avait pris son refus pour une bouderie supplémentaire alors qu’en réalité elle était en proie à une violente migraine. Cette nuit là, il avait violé sans ménagement notre amie avant de lui lancer cruellement qu’il était l’homme et qu’elle passerait par ses volontés, quelque soit son humeur du moment. Ce fut seulement à la suite de cette bagarre que Anna nous expliqua enfin le calvaire qu’elle vivait. Il y a bien longtemps qu’elle n’opposait plus de résistance, mais même sa passivité ne lui évitait pas des gifles violemment appliquées, avec la secrète intention de la pousser à la révolte. Anna nous fit part surtout de la brutalité avec laquelle son mari la prenait et les grossièretés dont il accompagnait leurs rapports. Il n’était bien sûr plus question d’un plaisir quelconque, Anna se sentait complètement morte de l’intérieur. Une de ses belles-sœurs, qui se doutait de son calvaire l’emmena voir un gynécologue. Ce dernier fut indigné de l’état de sa patiente, mais ne put lui arracher la vérité. Il dut se résigner à lui prescrire un traitement et insister pour qu’elle le suive jusqu’au bout. Mais là aussi Massa après avoir au début accepté de payer les médicaments se ravisa bien vite et abandonna sa femme à ses douleurs. Le jour où Anna nous raconta par le menu son martyre, nous avons toutes versé des larmes. Notre amie avait dépéri au point qu’on aurait pu verser de l’eau dans le creux de ses clavicules. Notre premier mouvement de douleur passé, nous nous sommes mobilisées pour l’aider à obtenir son divorce. Cela nous coûta deux ans de lutte ininterrompue, mais chacune d’entre nous haïssait tellement Massa que nous aurions libéré Anna de ce monstre, même s’il avait fallu batailler dix ans. Mais si nous avons délivré notre amie, nous n’avons jamais pu la guérir complètement du souvenir de ses épreuves. »

La jalousie de l’enseignant – Mâh avait à peine conclu qu’une autre des dames présentes se porta volontaire pour parler de son expérience. Elle s’appelait Mariam. Son mari, Siné, l’appelait Maria. « Mais, précisa-t-elle avec un sourire amer, c’était au moment de notre idylle. J’ai connu mon mari très jeune. J’avais à peine vingt ans quand nous nous sommes rencontrés et lui quatre de plus. Il venait juste de commencer sa carrière d’enseignant et il me fit une cour assidue. Il savait trouver les mots justes pour m’atteindre et ce fut en toute confiance que j’acceptai sa proposition de mariage. Il se montra d’une telle délicatesse qu’il ne voulut pas que nous soyons amants, avant notre union “devant Dieu et les hommes” comme il aimait à le dire lui-même. Nos ennuis commencèrent quand il rejoignit son poste en 3è Région. Il s’était de manière inexplicable trouvé dans le collimateur d’un gouverneur militaire qui ne s’embarrassait d’aucun scrupule pour le martyriser et lui faire changer constamment d’affectation. Plus tard nous comprîmes que le potentat local avait des vues sur moi et qu’il cherchait à intimider mon mari. La stabilité de notre couple faillit en prendre un sacré coup. Mais avec l’aide d’un de mes oncles, mon époux obtint une mutation dans la capitale. Après cinq ans de tribulations, je pensais avoir accédé à la sérénité. L’enfant que je portais, notre troisième, devait être le dernier. Siné, conscient de la limite de ses moyens financiers, l’avait décidé en accord avec moi. Six années passèrent pendant lesquelles je m’épanouissais physiquement au point de soulever partout où je passais l’admiration des hommes. Quand je sentais leurs regards enfiévrés sur moi, j’avoue que j’étais flattée sans me rendre compte que mon époux prenait ombrage. Un jour il me trouva à la maison en conversation animée avec l’un de ses amis d’enfance. La nuit il m’en fit le reproche de façon verte. C’est en ce moment que je pris conscience qu’il devenait jaloux. Alors je le rassurai de ma fidélité et lui expliquai que je servais tout simplement d’intermédiaire entre son ami et la femme de celui-ci. J’avais cru le malentendu dissipé, mais à mon grand étonnement, une semaine après cette franche explication, il prit le prétexte d’un incident mineur pour me traiter de « fille de joie » et pour dire qu’il allait me remettre à ma place en m’administrant une sévère correction. Comme je m’étonnais de sa grossièreté et de sa rage, il me lança toujours très violemment de ne pas oublier que c’était lui qui m’avait faite telle que j’étais, et cela malgré qu’il ne soit qu’un « pauvre enseignant ». Donc, menaça-t-il, il n’accepterait pas que je roule des hanches devant les autres hommes. Je lui appartenais à lui et à lui seul. Le lendemain, je suis allée raconter l’incident à ma confidente, qui était aussi une grande sœur à moi. Cette dernière me conseilla de ne pas m’en plaindre. Ce regain d’intérêt de mon époux pour mon corps pouvait être interprété comme de nouvelles noces qui s’annonçaient. En fait de nouvelles noces j’eus droit à une descente aux enfers. Siné devenait de plus en plus insatiable. Cela commençait aux aurores, il profitait ensuite de moi à ses heures libres aux alentours de midi, sans compter qu’après le dîner nous ne nous attardions plus dans la cour. Ces sollicitations m’épuisaient et surtout ne me donnaient aucun plaisir. Vint une nuit où je me sentais complètement épuisée. Je fis part de mon état à Siné et il entra dans tous ses états. Pour la première fois, il me battit à coups de ceinture pour me forcer à avoir des rapports avec lui. Depuis cela il n’arrêtait plus. Devant la fréquence des corrections, je me suis révoltée en faisant une fugue. Siné vint me chercher dans notre famille, pleura devant mes oncles qu’il réussit à émouvoir et leur fit même croire que j’étais un véritable crève-cœur pour lui, car il me soupçonnait d’avoir des amants. Je restais muette devant la monstruosité de ses accusations. J’étais obligée de regagner le domicile conjugal. Mais une fois dans notre chambre, je mis deux slips, une culotte moulante et des jeans. Je montrais à Siné que j’étais farouchement décidée à organiser ma résistance, comme je le pouvais. Il ne se laissa pas décourager, nous passâmes la moitié de la nuit à lutter, mais il n’obtint pas gain de cause. Le lendemain je lui posais comme condition à mon acceptation qu’il aille lui-même m’innocenter aux yeux de ma famille. Il n’en fit rien. Alors je me préparai à une seconde nuit de lutte que je pressentais encore plus féroce. Je fus soulagée quand je constatai qu’il ne tentait rien du tout. En fait peu enclin à une bagarre inutile il attendait son heure. Elle vint le lendemain matin, il me surprit alors que j’étais à la douche, me terrassa et me viola. Je n’osai crier de peur d’ameuter les voisins. J’étais morte de honte et de rage. Je vins trouver ma confidente qui accepta d’aller s’expliquer avec Siné. Ce dernier fit mine de s’amender pendant quelques jours avant de passer brutalement à l’attaque un soir au crépuscule alors que je m’enduisais de crème. Pour perpétrer tranquillement ses traquenards, il était allé jusqu’à faire déménager les enfants chez leur grand-mère. Alors je pris la résolution de trouver une solution définitive à ce brutal déchaînement de violence dont j’étais victime depuis pratiquement un an. Je payai au marché un couteau aussi tranchant que pointu. Je préparai mon coup en endormant la méfiance de Siné. Deux nuits durant, je le subis après une courte résistance. A la troisième nuit au moment où repu il était affalé de tout son long, je pris le couteau que j’avais caché sous l’oreiller et je le lui plantai dans les bourses. Son hurlement rameuta tout le voisinage. Je me précipitais dehors et comme mon visage portait la trace de coups, les gens me prirent en pitié. Siné n’osait sortir dans l’état où il se trouvait et de la chambre il lançait des insanités à l’adresse des gens qu’il traitait de voyeurs. Il avait finalement assez peu saigné, car j’avais pris soin de lui faire du mal sans l’endommager totalement. Mais le traumatisme était là, puisqu’il confia à des amis qu’il allait demander le divorce. Avant qu’il ne passe à l’action, je fis établir avec l’aide de ma confidente, un constat de coups et blessures et déposai une plainte. Devant le magistrat Siné parla de la cruauté dont je m’étais rendue coupable sur sa personne avant de refuser le divorce. Le temps qu’il mit à se soigner me donna du répit pour élaborer ma contre-attaque. Froidement j’allai tout raconter à mon oncle et laissai Siné affronter l’indignation de celui-ci. Je pus ramasser mes bagages et rejoindre ma famille. Mon mari passa quelques années à rôder autour de moi avant de consentir au divorce. Depuis je vis seule et je ne m’en plains pas.

Les ongles comme arme – Certes, j’ai eu deux ou trois amants après mon divorce. Mais je ne peux supporter qu’un homme élève la voix sur moi. En tout cas, je peux vous garantir que plus personne n’exercera jamais de violence à mon égard. Je hais les hommes violents de toutes mes forces. Aujourd’hui je fais languir mes courtisans en soumettant leurs nerfs à rude épreuve afin de savoir jusqu’où ils pourraient aller sans craquer. Je n’ai aucune envie de me retrouver avec un autre Siné sur les bras. En fait ce n’est rien d’autre que la lâcheté qui pousse certains hommes à se montrer violents avec leurs femmes, leurs compagnes ou leurs épouses. Ces violents sont sûrs de l’impunité et c’est cela qui les déchaîne ». Mâh approuva vigoureusement et s’empressa de passer la parole à la seconde narratrice, Maï. Celle-ci était une belle jeune femme d’une taille imposante. Elle avait un maintien altier et ne devait pas dépasser la trentaine. Ce qui attirait surtout le regard, c’était ses ongles très longs, acérés et soigneusement vernis. Comme elle me sentait comme fasciné, elle eut un petit sourire en coin avant de confirmer ce que je pensais. « Ce sont de vrais, assura-t-elle, bien trempés pour être suffisamment durs. Au départ c’était une simple coquetterie pour moi. Ma tante m’a encouragé à les entretenir, car une femme qui prend soin de ses doigts est un modèle de propreté, ajoutait-elle pour m’encourager quand je n’avais que quinze ans. Une femme qui a de la classe se reconnaît à ses ongles, ajoutait ma mère. Chaque fois que j’en cassais un par accident, cela me plongeait dans la détresse. Je dois avouer que c’est un peu à cause des compliments que Moussa me faisait sur l’entretien de mes ongles que je l’ai choisi parmi les hommes qui me faisaient la cour. En outre il se montrait très doux avec moi. Mais deux ans après notre mariage, je dus réviser mon jugement sur lui en le voyant s’acharner avec violence sur un vendeur, qui le pressait pour une petite dette de quelques milliers de francs. Ce fut à partir de ce jour que je me suis mise à redouter ses colères. Après mars 1991, notre vie se trouva chamboulée. Sur l’instigation du comité syndical il perdit son poste de responsabilité dans l’entreprise qui l’employait. Il en conçut une énorme amertume car c’était un cadre très consciencieux. Comme pour compenser, il se lança à corps perdu dans la politique. Pendant huit ans nos rapports conjugaux avaient été des plus réguliers. Mais brusquement ils se trouvèrent perturbés à l’approche des élections. Moussa me délaissa pendant plusieurs jours, puis pendant plusieurs semaines. Je me gardais pourtant de lui adresser la moindre remarque. Un jour une fille du nom de Sada vint demander après lui à la maison pour, disait-elle, des réunions politiques. Moussa était en effet devenu un des animateurs les plus en vue du quartier. A son retour je lui fis part du message que la visiteuse avait laissé. A la réflexion je pense que ce fut de ce jour là que la violence s’introduisit dans notre couple. Pourtant cette nuit-là, Moussa se montra ardent dans nos ébats conjugaux, comme s’il voulait oublier quelque chose en se déchaînant. Il me réveilla encore en pleine nuit pour reprendre nos joutes, mais là je manifestais une petite contrariété vu mon état de fatigue. Ce fut l’étincelle qui déclencha le brasier. Il me cogna comme un boxeur enragé tape dans un sac de sable, me donna à peine le temps de sécher le sang qui dégoulinait de ma lèvre fendue et de ma pommette éclatée, se jeta à nouveau sur moi et me prit avec violence. Le lendemain je dus garder la chambre et faire appel à une de mes cousines pour aller chercher des médicaments. Ma mère vint le soir me voir et pleura à chaudes larmes. Cependant j’insistais pour que ma vieille s’en aille avant le retour de Moussa. Nous vécûmes pendant quelques jours comme étrangers l’un à l’autre. Depuis l’incident il avait d’ailleurs déménagé sur le divan du salon. Deux semaines passèrent et comme il me jugeait guérie, il revint se présenter. Je l’envoyais paître sèchement et il se déchaîna une nouvelle fois. Je dus me défendre et je suis fière des services que mes ongles m’ont rendus ce soir là. Moussa parvint à ses fins, mais il garda lui aussi la chambre quatre jours durant. Je l’avais pratiquement défiguré, même si ce fut au prix de quelques ongles cassés. A peine remis, il repartit à l’assaut.

Un « bugunika » dans les bagages – Quand je le menaçai de me défendre, il eut un sourire méchant. Il me dit qu’il adorait dompter les filles sauvages et que c’était comme ça qu’il avait dressé Sada. Mon sang se glaça en entendant ces propos. Mes investigations m’apprirent que Moussa avait pris goût aux violences amoureuses avec cette femme, qui s’abandonnait à lui au bout d’une empoignade acharnée dans laquelle ni l’un ni l’autre ne se ménageait. Je maudirais toujours le jour où il a connu une telle psychopathe qui l’a initié à des jeux aussi pervers. Je tins pendant quelques mois avant de filer pour de bon. Rien, ni personne ne pourrait plus me ramener chez Moussa. Nous vivons séparés, mais pas divorcés. En effet je n’arrive pas à oublier qu’il reste tout de même le père de mes deux enfants. Jusqu’à présent je ne parviens pas à comprendre comment un homme peut à plus de trente ans changer de façon aussi brutale et personne n’a été capable de me fournir une explication qui tienne la route. Surtout que j’ai appris que Moussa change maintenant de femme comme de chemise, et qu’il se montre toujours aussi violent. Une de ses anciennes amantes racontait qu’il l’avait amenée un jour au bord du fleuve en pleine saison froide. Il l’avait fouettée avant de l’obliger à se baigner. De retour chez lui avait encore giflé plusieurs fois la jeune femme avant de la forcer à se coucher. Depuis, la traumatisée ne veut plus le voir malgré son insistance. Maï en conclut que Moussa était un caractériel, aux flambées de violence aussi imprévisibles que terribles. Mâh avait elle aussi sa théorie. Les hommes violents sont, disait-elle, obnubilés par un besoin d’affirmation. Et ils sont dans un sens encouragés en cela par certaines pratiques de nos sociétés traditionnelles. Celles-ci ont elles aussi contribué à étendre une culture de la domination de l’homme. Il y a des signes qui ne trompent pas, affirmait Mâh, car dans certaines localités on place dans les bagages de la nouvelle mariée une cravache (bugunika). Puis on prend le soin de dire au mari de continuer à parfaire l’éducation de la femme, comme si celle-ci était un enfant qui n’a pas fini de grandir. Certains adeptes de la violence, toujours selon Mâh, font fréquemment référence à un dicton qui dit : « Quand la femme commet un acte passible de la peine de mort, tu dois la frapper ; si elle commet un acte passible du fouet, tu dois l’insulter ; et si c’est l’insulte qu’elle mérite, alors ignore-la ». Les auteurs de cette sentence tentent d’en adoucir la signification, mais celle-ci dans son essence donne de la femme l’image d’un être inférieur et justifie d’avance le regard possessif que l’homme porte sur elle. Cette situation fait que l’époux transforme tout naturellement sa conjointe en bouc émissaire, dès qu’il se trouve dans une situation difficile. La femme devient celle qu’on supporte, mais qui multiplie les problèmes du ménage et qui est à la base des malheurs domestiques quotidiens.

Le mauvais exemple du père – Sanata, un bout de femme rondouillette, avait écouté avec un sourire approbateur la sortie de Mâh. Elle se jeta à l’eau encouragée par ses amies : « Moi, soupira-t-elle en guise d’introduction, j’estime avoir été victime de l’étroitesse d’esprit d’un homme qui possède un solide sens des affaires, mais guère de subtilité. Demba, mon mari, ne manque pas de caractère. Il m’a épousée contre l’avis de bien de gens de sa famille. Je lui étais reconnaissante de cela et je m’efforçais de lui faciliter les choses en montrant de la gentillesse envers ceux qui ne m’aimaient pas. Pendant quatre ans tout alla pour le mieux entre nous. Notre premier enfant, un garçon, nous rapprocha encore plus, les affaires de Demba prospéraient à une allure fulgurante. Cependant, comme tout jeune opérateur en réussite il devenait de plus en plus voyant. Ce contre quoi je le mettais en garde, mais sans qu’il ne daigne m’écouter. Pour lui c’est “avec l’argent qu’on cherche l’argent”. Au milieu des années 90 les choses commencèrent à mal tourner. Demba devenait alors plus hargneux, n’admettait plus la contestation. Ses parents qui ne m’aimaient pas en profitaient pour creuser chaque jour davantage le fossé qui se créait entre nous. Un jour j’eus droit après minuit à la lanière de sa ceinture pour une faute que j’étais censée avoir commis la veille. Je lui jurais alors que je plierais bagage s’il remettait ça encore. La menace le stimula puisqu’il continua à me battre et m’obligeait à me soumettre à lui tout de suite après. Je voulus me rebeller, mais je me heurtais à l’opprobre de ma famille. Mon père avait pris le parti de mon mari. Mais cela était facile à comprendre. A plus de soixante-dix ans, il se défoulait encore sur ma mère et ses coépouses quand il était d’humeur massacrante. J’acceptais donc de me taire. Mais même quand mon époux retrouva une prospérité relative, il continuait à me battre. Il justifiait cela par une multitude de peccadilles : je n’avais pas brûlé le bon encens, ou je n’avais pas mis le meilleur sous-pagne, ou encore je lui avais tourné le dos au lit. Il avait abandonné la lanière, mais les gifles qu’il me balançait étaient aussi humiliantes pour moi que le fouet. J’avais fini par prendre l’habitude de la douleur. En tous cas, Demba n’est pas du genre coureur ou grossier. Je me dis cela pour me réconforter, car aujourd’hui encore je vis ce calvaire, en espérant toujours que mon mari redeviendra un jour raisonnable. Quand je pense à mon propre père qui lui aussi était sans ménagement pour ses femmes, je me dis parfois que mon sort était inéluctable. Un moment j’ai eu la tentation de mobiliser mes amies autour de mon cas, mais j’ai préféré m’abstenir, de crainte des représailles de Demba s’il était mis au courant. Et puis je ne trouve pas très sain d’aller m’épancher au-dehors. Cependant je dois reconnaître que je me sens soulagée d’avoir raconté ici mes malheurs. Le plus dur pour moi était de soutenir les quolibets de mes belles sœurs qui en voyant les traces sur mon corps ne se privaient pas de dire des méchancetés. Là aussi, Dieu merci, ça va mieux depuis que j’ai répliqué une fois devant tout le monde à ces vieilles filles. Je leur ai dit que mieux valait avoir un mari pour vous frapper que de n’avoir pas de mari du tout. La flèche a fait mouche et elles ne sont plus aussi moqueuses. En plus je voulais vous préciser que Demba manifeste toujours de l’ardeur à mon endroit et je le sens même habité par la fougue à certains moments. Dommage que ses envies ne soient plus les miennes ». Sanata a un peu de chance dans son malheur. Son mari continue à l’honorer, et pas de manière routinière. Cette attitude entretient dans certaines familles un semblant de vie de ménage et rend un tout petit moins pénible aux épouses les manières brusques de leur mari. Mais toutes les femmes n’ont pas la chance de Sanata. Certaines sont entièrement délaissées et leur vie conjugale est un vrai champ de ruines. Ces femmes vivent dans l’indifférence totale de leurs hommes qui se sont détournés d’elles sans qu’elles ne sachent pourquoi. La répulsion physique ainsi exprimée est peut-être pour une femme, qui est faite pour l’affection, la pire des choses à supporter. Nous intéresserons à ces délaissées dans un autre dossier.

(à suivre)

vendredi 30 septembre 2011

 

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