Lancement officiel de l’ouvrage «Les blessures de l’art» : Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré trempe la plume dans les plaies

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Après ‘’Mamou épouse et mère d’Emigrés” et “Une femme presque parfaite”, Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré vient de s’illustrer sur le paysage littéraire à travers une nouvelle œuvre intitulée “Les blessures de l’Art”. Le lancement officiel de cet ouvrage a eu lieu le 06 octobre dernier, au Musée national sous la présidence du ministre de la culture, de l’artisanat, de l’industrie hôtelière et du tourisme, Andogoly Guindo, en présence de plusieurs anciens ministres, des éditrices, écrivaines et personnalités politiques.

Première personne à prendre la parole, l’auteure Cissé Oumou Ahmar Traoré a remercié toutes les personnes qui ont effectué le déplacement pour prendre part à cette cérémonie. Elle explique les raisons qui l’ont motivée dans l’écriture de cet ouvrage : « Vous avez sûrement vous poser la question, qui l’a motivée à écrire ce livre-là. Pourquoi l’a-t-elle écrit ? Eh bien, vous avez raison de poser cette question. Ce livre, c’est une date, un fait, une phrase ou deux phrases. Pourquoi une date ? L’année 2015, un des crimes les plus odieux, jamais commis sur un être humain, à plus forte raison une femme, s’est produit au Mali, plus précisément à Bamako. En 2015, une jeune dame a perdu la vie après avoir été poignardée 45 fois par son mari. L’histoire de cette femme allaitante m’a touchée, elle m’a hantée. En 2016, une autre femme a été abattue par son conjoint alors qu’elle attendait des jumeaux, d’après les témoignages. La même année, cette fois c’était un homme qui devait se marier pour la deuxième fois. Le jour de son mariage, celui-là va recevoir une marmite d’eau chaude sur la ceinture. C’était la troisième vie qui était perdue ainsi. J’ai continué la réflexion. En 2017, une jeune dame va être tuée par son fiancé dans son bureau. En l’espace de trois ans, on a perdu quatre âmes, suite à des violences conjugales. Donc, c’est à partir de ce quatrième assassinat que je vais commencer à avoir la lumière. Grâce à la presse, que je salue. Elle est souvent prise à partie mais elle rend d’énormes services. J’ai juste lu une phrase dans un article. Les journalistes ont cité le rapport 2005 de la Fédération internationale des Droits de l’Homme. Dans ce rapport, il est dit que la société malienne tolère les violences conjugales. Je me suis sentie interpellée. La piste que j’ai trouvée, c’est d’aller voir du côté de la culture », a-t-elle déclaré.

Un ouvrage qui interpelle

Elle a recensé des chansons, des récits en les catégorisant. Selon Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré, il y a « des drôles de chansons d’hommage à la femme », « les chansons et récits stigmatisant la femme », « les chansons et récits injuriant la femme », « les attaques gratuites contre la femme dans les chansons », « les chansons injuriant à la fois la femme et l’homme » et, « les chansons légitimant la violence physique en amour ».

« Nous avons des chansons qui appellent à la violence contre les femmes », a souligné l’écrivaine. Elle a aussi indiqué que ces chansons sont utilisées par des femmes pour combattre d’autres femmes sans oublier de mentionner les conséquences de ces pratiques sur la cohésion des foyers. « Ces chansons sont des armes entre les mains des femmes contre les femmes. Les femmes, nous nous combattons à coup de chansons », a-t-elle déclaré. Elle a rendu hommage à une personnalité qui a fait face à une douleur invisible. Il s’agit de la présidente de l’ONG WILDAF, Mme Bintou Founè Samaké, qui a été victime d’injures graves, pour avoir été invitée à participer à un atelier de réflexion sur l’avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre. Le représentant adjoint de l’Union Européenne au Mali, Pascal Père Rennec, dans son intervention, dit espérer que cet ouvrage sera une source d’inspiration pour les générations futures de jeunes femmes écrivaines du Mali et du monde. Selon lui, la problématique des VBG ne se pose pas qu’au Mali. Cet ouvrage permettra de relancer le débat et d’explorer une nouvelle piste en vue d’une société malienne plus égalitaire. « Le travail de Madame Ahmar Oumou Traoré, mérite d’être salué. J’invite tout le monde à lire et à faire lire cet ouvrage qui interpelle …. », a-t-il conclu.

100 exemplaires commandés par le MPFEF pour encourager l’auteure

L’honneur est revenu à Samuel Sidibé, ancien directeur du Musée national, de lire quelques extraits de l’ouvrage. « C’est un engagement militant que l’on retrouve chez Oumou….Oumou nous invite à réfléchir… », a lancé Samuel Sidibé.

L’ancienne ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, Mme Maïga Sina Damba, non moins Vice-présidente du Réseau des Femmes Africaines Ministres et Parlementaires, a salué la qualité de l’œuvre de Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré qui, selon elle, est une fierté.

A en croire le Secrétaire général du ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, Sayon Doumbia, l’inspiration de l’auteure interpelle tous. Le département, a-t-il promis, va accompagner l’écrivaine. Par la voix de son Secrétaire général, le ministère en charge de la promotion de la femme s’est engagé à acheter 100 exemplaires du livre dont 50 seront offerts aux femmes et les 50 autres aux hommes.

Le grand mérite de l’ouvrage, selon le ministre Guindo

Le ministre de la Culture, de l’artisanat, de l’industrie hôtelière et du tourisme Andogoly Guindo, a salué la patience de l’auteure mais aussi sa rigueur dans la rédaction de cet ouvrage. Il n’a pas caché son émotion face aux récits de l’auteure qui a rappelé les anecdotes les plus saisissantes des faits réels mais tragiques. « Je voudrais adresser mes chaleureuses félicitations à l’auteure pour son engagement et sa rigueur scientifique », a affirmé le ministre Guindo. Selon lui, le livre traite un thème d’actualité. Pour le ministre de la culture, l’ouvrage a sonné le gong pour l’éveil des consciences. « A travers votre ouvrage, vous avez sondé certains instruments de nos expressions culturelles », a-t-il laissé entendre. De l’avis du ministre Guindo, l’auteure estime que la culture malienne comporte certaines expressions qui encouragent les violences faites aux femmes. Pour le chef du département de la culture, le Mali est un vieux pays. « Nous sommes ce pays de culture où la culture magnifie la femme », a-t-il expliqué. « Comme dans toute civilisation, il y a des traditions positives mais aussi des aspects négatifs ». Le ministre Andogoly Guindo est persuadé que ces aspects sont des contre-valeurs en déphasage avec la société malienne.  « C’est un document scientifique qui mérite d’être salué », a-t-il lancé. Il est impressionné par la traduction fidèle en langue nationale bambara mais aussi par la qualité des recherches effectuées par l’auteure. Aux dires du ministre en charge de la culture, l’ouvrage édité par les éditions ASSELAR a le grand mérite d’avoir posé le problème.

La projection des chansons qui vilipendent, dénigrent la femme et les dédicaces du livre par Oumou Ahmar Traoré, ont été les temps forts de la cérémonie qui a pris fin avec un cocktail.

Bintou DIARRA

 Ils ont dit… Ils ont dit… Ils ont dit… Ils ont dit…

Lors de cette cérémonie de lancement, notre reporter a recueilli quelques réactions sur l’ouvrage « Les Blessures de l’art ». Mme Sy Kadiatou Sow est  ancienne ministre de la République mais aussi une figure emblématique du mouvement féminin. Ancienne ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, Mme Bouaré Bintou Founé Samaké est la Présidente de l’ONG Wildalf-Mali. Modibo Ibrahima Kanfo est écrivain et président des Jeunes Esprits de la Littérature Malienne (JELMA). Et Mme Fadimata Walett Oumar, est artiste ecrivaine. 

Bintou Founé Samaké, Présidente de l’ONG Wildalf-Mali : « Le livre est une recherche pour sonder la culture malienne »

Il n’y a pas de doute que la violence basée sur le genre est un fait courant au Mali tout comme dans le monde. On constate de plus en plus que le Mali est en train de devenir une société violente. Le livre dont nous venons d’assister au lancement, est une recherche pour sonder la culture malienne. Des questions que l’auteure s’est posées. Qu’est-ce qui fait qu’actuellement nous avons une société violente ?

L’auteure est allée chercher dans la culture et dans ce livre elle a spécifiquement cherché dans les chansons,  pourquoi la femme est souvent insultée de façon codée dans les chansons et souvent dans les chansons populaires? Qu’est-ce qui a amené cela et comment les gens comprennent cette situation aujourd’hui et surtout, notre jeunesse ? Parce que ce n’est plus des violences codées, mais ce sont des insultes très spécifiques qu’on entend dans nos chansons. Est-ce que c’est le fruit de notre culture, qu’est-ce qui est à la base ?

Elle voudrait vraiment que nous puissions lire son livre et réfléchir avec elle sur  comment nous pouvons vraiment peaufiner nos stratégies pour faire face à cette situation. Je pense que la meilleure stratégie, c’est l’éducation.  Lorsque les gens se sentent responsables et qu’il il y a ce respect mutuel, il y aura très peu de violences surtout dans les couples.

Je pense que la violence a été tout le temps réprimée quel que soit sa forme par les dispositions juridiques. Et le nouveau code en cours d’élaboration va vraiment conserver les dispositions qui existent.

Mme Sy Kadiatou Sow, ancienne ministre de la République : « Il faut acheter et lire le livre pour un éveil de conscience.»

J’espère que vous avez été aussi touchés autant que nous autres. Je pense que ce livre va contribuer, je l’espère vraiment, à une bonne sensibilisation des hommes et des femmes. Les femmes ont beau se plaindre des violences, dont elles sont victimes, si les hommes ne comprennent pas qu’une société qui veut progresser est une société qui tient à préserver la paix et la cohésion sociale et cette société ne peut pas continuer à tolérer ces genres de comportement d’où qu’ils viennent. L’auteure l’a dit. Les femmes ne sont pas seulement les victimes. Il y a aussi les hommes qui peuvent être victimes de violence. Il est inadmissible que nous fermions tous les yeux sur ce genre de violence qui se passe dans notre société. Quand ce n’est pas dans votre famille, chez les amis ou chez un proche, vous considérez que c’est un fait divers. Et c’est très révoltant, très choquant et très dangereux pour la société. Ce qu’elle a fait ressortir, je suis profondément touchée par le fait que ce sont les chansons que nous aimons écouter, surtout les jeunes aiment de plus en plus écouter, danser au cours de la journée. Partout, les chansons qui véhiculent ces genres de messages codés, quelque fois même pas codés. Ces drôles de chansons qui rabaissent la femme et font d’elle une chose, dont on peut user et abuser quand on veut.

Si ce genre d’ouvrage peut contribuer à faire comprendre aux uns et aux autres, en particulier à la jeune génération qu’elle ne peut pas vivre en paix dans les quartiers, le pays tant qu’une partie, pas la moindre de la société, c’est-à-dire la femme continue à être victime de ce genre de violence. Il faut absolument qu’on se mobilise tous (leaders religieux, coutumiers, traditionnels, citoyens). Cette mobilisation doit commencer  par nous-mêmes. Que nous comprenions que nous ne devons pas faire acte de violence sur nos épouses, sœurs, maris, frères, etc. Cela commence d’abord par l’éducation dans la famille, à l’école.

Je salue l’auteure. Je la connais personnellement. Elle est prolifique. Elle a produit d’autres ouvrages, d’autres romans que j’ai beaucoup appréciés. Elle se bat et c’est sa façon de contribuer à la lutte contre les violences basées sur le genre. Il faut que nous acceptions que ce n’est pas une affaire que les occidentaux veulent nous imposer. J’entends beaucoup cela. Quand il y a de tels combats qu’on mène, certains diront que ce sont les étrangers qui veulent nous imposer leur culture.

Dans toutes nos cultures à travers le Mali, on ne peut pas dire que ce sont nos coutumes qui nous demandent de faire des actes de violence les uns sur les autres. Je ne vois pas de religions ni de valeurs sociétales qui acceptent ce genre d’acte.

Contribuons tous ensemble. Ne nous limitons pas à de telle cérémonie, il faut qu’on en parle autour de nous, il faut acheter et lire le livre pour un éveil de conscience.

Modibo Ibrahima Kanfo, écrivain et président des Jeunes Esprits de la Littérature Malienne (JELMA) : « Elle a innové en traduisant les chansons »

Je trouve le livre très intéressant. Je suis un critique en herbe. Je vois plus l’aspect littéraire que l’aspect sociologique. Déjà le titre « les blessures de l’art », je m’attendais à un recueil de poèmes, mais quand je suis venu, je trouve que c’est un essai. Quand on entend blessure de l’art, c’est comme si on considère l’art déjà comme une chose physique, comme un être humain, tout ce qu’on peut appeler la personnification de l’art. J’ai déjà lu cette dame dans les romans, son premier et son deuxième romans parlent tous de femme. Voir qu’elle continue toujours sur cette thématique, c’est à encourager, c’est intéressant. Dans « Les blessures de l’art », ce qui est intéressant, c’est qu’elle a innové parce qu’elle essayé de traduire les chansons, de faire son interprétation et de donner son avis sur différentes chansons de chez nous. Ça rend l’œuvre vraiment hybride. C’est cela que moi j’apprécie beaucoup.

L’image de la femme est traitée par beaucoup de jeunes auteurs. Personnellement j’ai beaucoup travaillé sur l’image de la femme mais pas dans la violence. Je célèbre beaucoup la femme, la preuve est que mon premier recueil de poèmes a été préfacé par une femme et ça été dédié à une femme, ma mère. Il y a des jeunes parmi nous qui sont intéressés par ce thème. Un exemple frappant c’est Modibo Touré qui a écrit Sira. Aussi, il ne faut pas taire les violences faites aux hommes.

J’invite surtout les uns et les autres à acheter les livres, à les lire. J’invite les critiques à écrire les articles sur les livres. C’est ce qui manque aujourd’hui. Nous avons tendance à avoir plus d’écrivains que de critiques. J’invite également les journalistes à écrire des articles pour que l’œuvre puisse être connue.

Fadimata Walett Oumar, artiste écrivaine : « C’est un livre extraordinaire fait par une dame extraordinaire »

C’est un livre extraordinaire fait par une dame extraordinaire. En tant qu’artiste, j’ai pu comprendre en réalité comment certaines chansons parlent mal de la femme et que ce sont des chansons que nous les femmes avons produites parce que ces chansons ont de belles tonalités, font danser les gens mais en réalité, ce sont des choses qui touchent à la femme.

Nous les femmes, nous devons lutter contre toutes ces chansons qui parlent mal de la femme. Nous sommes là pour l’image de la femme parce que la femme, chez nous, est le pilier du temple. Quand elle tombe, c’est tout le temple qui tombe. On ne doit pas manquer de respect aux femmes. On doit les écouter.

Le message que je lance à l’ensemble des femmes du Mali, c’est leur dire qu’elles sont importantes.  Le Mali est un grand pays, un pays de cohésion sociale.

Notre message, c’est d’être ensemble pour préserver la cohésion sociale pour parler de la beauté de la femme et de la grandeur de la femme malienne. Nous, en tant que femmes artistes, toutes celles qui vont lire ce livre vont comprendre qu’elles doivent changer les thématiques de leurs chansons, elles doivent modérer leurs chansons, elles doivent comprendre qu’est ce qu’il faut mettre ou pas dans les chansons.

Propos recueillis par Moussa Diarra

 

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