« Les casques bleus n’ont pas vocation à être éternellement présents au Mali »

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Minusma

Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux opérations de la paix des Nations unies, tire le bilan de la mission onusienne.

Déployée au Mali en juin 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) doit faire face à un environnement de plus en plus hostile. Formatée comme une opération de maintien – et non d’imposition – de la paix, elle détient le triste record du nombre de morts (146 au 30 juin 2018) parmi toutes les missions onusiennes actuellement déployées dans le monde.
La mise en œuvre de l’accord de paix de 2015 signé avec les groupes rebelles du Nord patine. Parallèlement, la sécurité dans le centre du pays ne cesse de se dégrader. Au retour d’une visite de quelques jours au Mali, Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux opérations de la paix des Nations unies, tire le bilan de la Minusma.

Quels enseignements avez-vous tirés de votre séjour au Mali ?

Jean-Pierre Lacroix Une page importante a été tournée avec l’élection présidentielle [remportée le 12 août par le chef de l’Etat sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK »] qui, globalement, s’est déroulée dans le calme, malgré les craintes. Le Mali peut dorénavant entamer une nouvelle phase.

Une deuxième page a été tournée avec le renouvellement, fin juin, du mandat de la Minusma par le Conseil de sécurité. Un renouvellement accompagné d’un message d’urgence sur la nécessité de faire progresser l’accord de paix et d’une demande du secrétaire général de remettre un rapport d’ici à six mois sur l’avancement de la mise en œuvre de cet accord.

En fonction des progrès rapportés, le Conseil de sécurité déterminera et réévaluera le mandat et les modalités de la présence de la Minusma. Le message implicite, c’est que la Minusma – comme les autres missions de maintien de la paix déployées ailleurs dans le monde – n’a pas vocation à être éternellement présente au Mali s’il n’y a pas de progrès dans la mise en œuvre des accords. Notre vocation est d’aider à faire avancer un processus de paix. On attend donc des progrès de la part des parties prenantes. La communauté internationale et le conseil de sécurité en particulier ont exprimé une certaine impatience.

Le sentiment d’urgence exprimé par l’ONU est partagé par les Maliens eux-mêmes : la société civile, la population, les parties signataires de l’accord de paix et aussi les autorités maliennes. Le président l’a répété dans son discours d’investiture. Ce qui compte, ce sont les progrès concrets. Et concrètement, la population attend le retour de la sécurité et de la puissance publique malienne.

Le bilan du premier quinquennat d’IBK est mitigé en matière de sécurité. Les groupes rebelles n’ont pas désarmé. Pourquoi cela changerait-il ?

Ne minimisons pas les progrès réalisés ces derniers mois, notamment depuis la nomination [le 31 décembre 2017] du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et l’adoption, en mars, d’une feuille de route. Nous sommes conscients des débats existant sur le désarmement des groupes armés, la reconstitution des forces maliennes, la réforme constitutionnelle… Mais il y a aussi un certain nombre d’acquis. La période électorale a provoqué un flottement, le bilan n’est pas « top », mais il y a des leçons à tirer.

Et puis, par le biais du rapport du groupe d’experts auprès du comité des sanctions, la communauté internationale a aussi envoyé un signal fort à ceux qui entraveraient les accords de paix. Ils auront à en payer le prix. Le système des sanctions n’est pas la panacée, mais c’est un élément nouveau par rapport aux moyens de pression qui existent déjà. Ça peut marcher.

La situation ne cesse de se dégrader dans le centre du pays. Comment la Minusma entend-elle répondre à ce nouveau défi ?

Jusqu’à récemment, notre mandat portait essentiellement sur le nord du pays. Le Conseil de sécurité vient de nous donner un mandat explicite pour aider les Maliens à rétablir la sécurité dans le centre. Il y a là des dynamiques locales sur fond de conflits et d’antagonismes anciens, pas seulement la problématique agriculteurs/cultivateurs. La situation dans le nord a exacerbé les sentiments de frustration dans le centre.

Nous devons évoluer. La Minusma a déjà renforcé sa présence, notamment avec le déploiement d’éléments sénégalais. Il faut faire davantage, renforcer les présences policière et civile pour aider au règlement des conflits locaux. Mais notre action doit reposer sur une stratégie malienne, sinon elle est vouée à l’échec. Les autorités ont adopté en 2017 un Plan de sécurisation intégré des régions du centre. Sa mise en œuvre n’est pas exactement au niveau attendu, mais la volonté du gouvernement de revoir son approche existe.

Mais il y a urgence, non ?

Oui. Nous sommes prêts à faire plus. Le centre est une zone où l’Etat malien est visé, parfois chassé, mais où il était davantage présent que dans le nord. Nous devons tendre à rétablir l’Etat de droit et la stabilité.

La Minusma n’échappe pas non plus aux critiques…

Elle joue un rôle essentiel dans la stabilisation du Mali. Mais dans ce genre d’opération dotée d’un mandat très ambitieux, les attentes sont très fortes, voire au-delà de nos capacités. On connaît nos limites. On ne peut pas être tout à la fois d’un côté et de l’autre.

Comment s’articulent la force régionale du G5 Sahel, l’opération française « Barkhane » et la Minusma ? N’y a-t-il pas un risque de confusion ?

Non, nous sommes différents, complémentaires et au service d’un objectif commun : le retour de la paix. La Minusma a un mandat de sécurisation et de soutien aux efforts politiques et de protection de la population. Ce mandat, relativement robuste, n’est pas destiné à imposer la paix. Nous ne sommes pas là pour combattre les groupes terroristes. « Barkhane » a une mission de lutte contre les groupes terroristes, le G5 Sahel également. Nous soutenons fermement le G5 sur les plans logistique et politique, parce que cela exprime la volonté des pays du Sahel de prendre en main leurs défis de sécurité.

Propos recueillis par Christophe Châtelot

LE MONDE Le 10.09.2018 à 17h37

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