Dans un mémorandum dont une copie a été envoyée à notre rédaction, l’Adema Pasj fait une analyse de la forme et du fond du projet de feuille de route du Premier ministre Cheick Modibo Diarra. Comme remarques, le parti de l’abeille trouve que cette feuille de route ne correspond pas à ce qui est attendu, que le document vient à un moment inopportun, qu’il est incomplet, et comporte de graves omissions. Signé du Premier Vice-président du parti de l’abeille, Iba N’Diaye, le document conclut que «Cette feuille de route n'est acceptable ni dans sa forme, ni dans son fond. C'est la raison pour laquelle elle doit être refusée par toutes les forces politiques et sociales du pays». Nous vous le proposons en intégralité.
1. NOS REMARQUES SUR LA FORME
a) le document ne correspond pas à ce qui est attendu
b) le document vient à un moment inopportun
c) le document est incomplet
2. NOS REMARQUES SUR LE FOND
a) Le document manque de précision
b) le document comporte de graves omissions
NOTRE CONCLUSION
Le Gouvernement du Premier Ministre Cheick Modibo Diarra a publié sur le site de la Primature, le lundi 16 juillet 2012, le projet de feuille de route du Gouvernement de transition. Vu l'importance du sujet, la Direction du Parti ADEMA PASJ a demandé au Secrétariat politique de prendre en charge la production d'une note d'analyse et d'observations.
3. NOS REMARQUES SUR LA FORME :
Pour rappel, en temps normal, selon la pratique instaurée, le Président de la République adresse au Premier Ministre-Chef du Gouvernement une lettre de cadrage (une vision et des orientations) qui s'en inspire pour proposer une déclaration de politique générale (DPG) soumise à la validation de l'Assemblée Nationale. Le Gouvernement élabore ensuite en interne un programme de travail gouvernemental (PTG) avec un mécanisme de suivi évaluation interne. Nous sommes tous d'accord que nous ne sommes pas dans ce contexte normal et qu'un Gouvernement de transition comme son nom l'indique par vocation gère une situation de crise et dans l'urgence.
D'où l'exigence d'une feuille de route qui, après une analyse succincte du contexte, fixe le ou les objectifs précis et claires pour la sortie de crise, les principales priorités qui en découlent, la stratégie arrêtée, les actions à entreprendre, le chronogramme et les moyens qu'il faut pour la réalisation des objectifs (le budget et les sources de financement). Force est de reconnaître que le document du Gouvernement ne respecte complètement aucune de ces exigences.
a) le document ne correspond pas à ce qui est attendu.
Tous les protagonistes nationaux et internationaux de la crise s'attendent à une feuille de route pour une sortie de crise et non à un programme de travail gouvernemental. Le contenu du document est une compilation simple de l'ensemble des plans d'action des différents départements ministériels sans aucun effort de mise en cohérence. A sa lecture, on a l'impression d'avoir affaire à un gouvernement d'une période normale et non d'un gouvernement de sortie de crise.
b) le document vient à un moment inopportun.
Cette feuille de route est venue quelque peu en retard et à un moment non opportun car tout le monde demande et attend un gouvernement d'union nationale plus consensuel qui est en gestation. Le Premier Ministre qui devrait attendre la mise en place de ce gouvernement est dans son habituele "
fuite en avant" qui peut nous mener à une nouvelle crise.
La feuille de route a été présentée aux partenaires extérieurs avant la moindre concertation avec les forces politiques et sociales internes du pays. Cette pratique est aussi devenue une habitude chez un Premier Ministre qui aime bien mettre ses interlocuteurs devant les faits. Cette attitude ne facilite pas la recherche du consensus si utile dans cette situation de crise que nous vivons.
c) le document est incomplet
On ne retrouve pas dans le document l'ordre des priorités. On a l'impression que toutes les actions se valent. Le chronogramme des actions est vague. Pour une période de transition qui doit être courte et vu l'urgence de certaines actions, ce point doit être un élément fondamental d'appréciation. La feuille de route ne dit aucun mot sur certaines questions majeures de l'heure comme le respect des libertés publiques et de l'Etat de droit. Les idéaux du 26 mars 1991 ne sauraient être passés sous silence même en situation de crise.
Le document n'évoque même pas l'indispensable interaction du gouvernement avec les autres institutions de la République et les différents corps intermédiaires (politiques et sociaux). Or, plus que jamais le gouvernement doit montrer sa volonté de rassembler autour de lui toutes les forces vives dans le but de travailler ensemble pour restaurer les valeurs de la République et de la démocratie pour redresser le pays.
4. NOS REMARQUES SUR LE FOND
La description du contexte est incomplète. Mieux, ce contexte n'est même pas analysé. L'occupation d'environ 2/3 du territoire national est évoquée sans en mentionner les raisons. L'impasse est faite sur le coup d'Etat du 21 mars 2012 (réduit à une simple mutinerie au sein de l'armée) et ses conséquences sur l'Etat et la Nation. Les raisons et les éléments constitutifs de la crise sont occultés. Les grands défis que le pays en entier doit relever, la vision proposée par les autorités de la transition et la stratégie arrêtée pour la sortie de crise, tout ce qui justifie une transition et donc la mise en place du gouvernement de transition n'est pas affiché.
a) Le document manque de précision
Ce dont notre pays a besoin en ce moment de son histoire c'est un Gouvernement de mission pour la sortie de crise et non d'un Gouvernement réformateur ou refondateur qui viendra après la transition.
La lecture de cette feuille de route laisse l'impression que le gouvernement est la seule institution qui existe. Les autres institutions de la République, notamment la Présidence de la transition, les acteurs politiques, économiques et sociaux et les attentes en leur direction et leur rôle pour la réalisation des objectifs de la feuille de route sont ignorés. C'est comme si le gouvernement seul suffit pour sortir le pays de la crise. Cela dénote d'un esprit de suffisance assez mal à propos pour cette période qui a plutôt besoin de mobilisation.
Les objectifs liés à la gestion de la crise dans le Nord et à l'organisation des élections, sont indissociables des objectifs listés au point 11.2 intitulé "
Autres objectifs". En y regardant de près, on se rend compte que plusieurs des "
autres objections" sont des conditions et parfois des étapes à franchir pour arriver à certains objectifs de la gestion de la crise du nord et aux élections. Par exemple "
- appuyer le redéploiement de l'Administration dans les Régions du Nord-Mali ; " (point 11.2) est indissociable de "
assurer le retour de l'Administration dans les zones reconquises ; " (Point 1.1.1). C'est même une répétition qui n'a pas lieu d'être dans un document simple qui va droit au but.
Aucun lien n'est fait entre les deux missions principales du gouvernement de la transition. On a l'impression que la gestion de la crise dans le Nord et l'organisation des élections n'ont aucun lien, ni interaction.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, le document dans ses 9 premières pages occulte un pan entier de la mission du gouvernement de transition : l'organisation des élections législatives, présidentielles et communales et même les communales parce qu'en 2013, nous serons à la veille des élections communales (mars 2014). Le document n'y consacre que 2 lignes (une longue phrase). Il n'y a aucune clarté sur la nature du fichier électoral choisi (biométrique ou mise à jour du RACE). Cette remarque est essentielle car c'est un choix qui détermine bon nombre de choses par la suite.
Une feuille de route pour cette période doit s'articuler autour de :
i) la reconquête de l'intégrité territoriale, la restauration des administrations (centrales et décentralisées) et la sécurisation des personnes et des biens sur toute l'étendue du territoire national ;
ii) la préparation, l'organisation et la gestion des différents scrutins électoraux libres, démocratique et transparents, la certification du vote par les instances internationales.
Tous les autres objectifs identifiés dans les 9 premières pages peuvent valablement trouver leur place dans ces deux objectifs majeurs. Et celles qui n'auront pas leur place doivent être élaguées de la feuille de route. Ce n'est pas parce que je dois faire quelque chose qui entre dans mes attributions et objectifs que cela doit nécessairement paraître dans mes priorités. Et ce n'est pas parce que j'ai des priorités que je vais oublier mes attributions normales. Il y a là une confusion entre ce qui doit être fait et ce qui est prioritaire, ce qui donne, à la lecture de cette feuille de route, un sentiment de fourre-tout.
b)
le document comporte de graves omissions
II ne dit rien sur l'état des comptes publics et comment le Gouvernement entend financer toutes les actions citées. Les financements sont-ils disponibles ou il faut aller les chercher ? Les prévisions sont bâties sur des espérances ou des certitudes de rentrée de fonds.
Cette question devient stratégique quand on sait qu'au titre de l'exercice 2012, l'Etat a un manque à gagner au trésor de 600 milliards de F CFA (source Banque mondiale) soit 1/3 du budget. A cela s'ajoute la suspension de la quasi-totalité des aides bilatérales ou multilatérales. Il aurait été plus cohérent de faire ressortir le budget disponible, l'allouer aux priorités de la transition et prévoir les fonds supplémentaires (pour le financement non disponible) pour les actions secondaires.
Une des grandes faiblesses de ce document est le traitement qu'il fait de l'économie. Sans une relance économique les objectifs ne seront pas atteints. Une bonne partie du budget national est mobilisée sur les recettes intérieures (fiscalité de porte et fiscalité intérieure). Sur le sujet, nous préférons évoquer les questions suivantes :
* Quelles sont les mesures pour l'indemnisation des opérateurs économiques ayant subi des dégâts pendant les événements du 22 mars ?
* Quel est le plan de sauvegarde des secteurs économiques aujourd'hui en danger ? Tourisme, restauration, le secteur financier en général, BTP, industrie, etc. Ces secteurs ont engagé un plan de licenciement massif de leur personnel pour faire face à la crise.
* Quelles sont les dispositions prises pour la relance des grands projets "
structurants" qui sont aujourd'hui suspendus : Aéroports du Mali, Projet sucrier de
Markala, aménagements agricoles en zone office (Malibya, MCCA) Barrage de Taoussa, Chemins de fer Bamako-Dakar, etc.
* Que compte faire le Gouvernement de transition au sujet de la dette intérieure qui occasionne de gros problèmes de trésorerie au niveau des opérateurs privés ?
* Quelle initiative pour la relance des investissements directs étrangers (IDE) ?
* Quelles sont les mesures pour la relance du financement bancaire ? Les banques ont fermé leurs agences dans les régions ou ne les alimentent quasiment pas.
A toutes ces questions fondamentales pour stabiliser le cadre macro économique, préserver les recettes intérieures et éviter un chômage massif, la feuille de route ne donne pas de réponse.
5. NOTRE CONCLUSION :
Cette feuille de route n'est acceptable ni dans sa forme, ni dans son fond. C'est la raison pour laquelle elle doit être refusée par toutes les forces politiques et sociales du pays. On ne peut même pas l'améliorer, donc il faut la repenser. La vision, les objectifs et la méthode d'approche (stratégie) sont insuffisants et inadaptés au contexte du pays et aux vrais enjeux.
On peut affirmer (avec peu de risque de se tromper) au sujet de l'actuel Premier Ministre que nous sommes en face d'une "
erreur de casting". Logiquement sa non reconduction à ce poste est la décision qui s'impose, s'il ne démissionne pas. Car, il n'a ni les qualités humaines, ni les compétences techniques, ni l'expérience de gestion des affaires publiques qu'il faut pour conduire un gouvernement dans cette période de crise que vit notre pays. Il est disqualifié d'office, car le gouvernement actuel qui est son produit a montré toutes ses limites. Au Mali aujourd'hui, l'essentiel est dans la détermination d'agir pour sortir notre pays de ce bourbier en assumant avec courage ses responsabilités et en prenant les décisions qu'il faut, rapidement. Car chaque jour qui passe nous enfonce d'avantage. L'histoire fera son jugement. Nous sommes tous comptables et notre responsabilité individuelle et collective est engagée. Pour nos enfants, pour notre propre dignité et celle de la patrie, l'union sacrée est plus que jamais une exigence pour réussir le sursaut général qu'exige la reconquête de l'unité et la restauration des valeurs fondamentales, comme la laïcité qui fondent notre nation.
Bamako, le 25 juillet 2012
Pour l'Adema PASJ
Le Premier Vice-Président
Ibrahima N'Diaye
ADEMA-PASJ