Drogue en Afrique : La production et la consommation explosent

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Pour de nombreux paysans, le cannabis devient une culture de rente. Chez les jeunes, la consommation de drogues douce et de psychotropes est en forte augmentation tandis que les drogues dures gagnent du terrain. Pour les trafiquants, il n’y a plus de petits profits : toutes les catégories sociales sont visées.

La consommation restant à peu près stable dans les pays riches, c’est dans tout le Tiers Monde et dans l’ex-URSS qu’elle a explosé en 1995 et 1996, années sur lesquelles porte le dernier rapport annuel de l’OGD. L’Afrique n’échappe en rien à cette évolution mondiale. On savait que le continent était devenu une plaque tournante du trafic pour les drogues produites en Amérique latine et en Asie destinées aux pays du nord. Désormais, c’est aussi un lieu de production et de consommation. Le cannabis (gué au Togo, guédji en Côte d’Ivoire, yamba au Sénégal et au Mali, riamba au Zaïre, bhangi au Congo…) est partout. Les cours du café et du cacao ayant chuté, on plante du cannabis, soit en association avec des cultures vivrières, soi sur de grandes étendues. Des milliers d’hectares dans chaque pays. C’est une culture facile qui rapporte très gros. Crise économique, corruption, conflits financés en bonne partie par l’argent de la drogue, dont le dernier en date, le Congo, sont les principales causes de cette évolution ; de même qu’une croissance de la demande au Japon, en Russie, en Afrique du Sud et dans le Tiers Monde en général. Sans oublier une réorganisation des réseaux : la répression internationale ayant porté des coups sévères aux cartels les plus en vue (Medellin, Cosa Nostra, etc.), les grandes mafias ont fait place à des organisations plus éclatées et à un plus grand nombre de trafiquants et de convoyeurs.

Le cannabis rapporte 100 fois plus que le café

En Afrique, l’OGD constate l’augmentation de la production de cannabis au Maroc, qui serait passée de 30 000 ha en 1988 à 70 000 ha en 1996 ; et le développement très important des cultures au sud du Sahara. Le Sénégal est sans doute le premier producteur parmi les pays francophones, et le troisième de l’Afrique de l’Ouest après le Nigeria et le Ghana. Le cannabis s’y substitue à l’arachide ou au coton. “Ces productions, peut-on lire dans le rapport, commencent à avoir un impact extrêmement négatif sur l’agriculture. En Côte d’Ivoire forestière par exemple, 1 ha de cannabis rapporte 55 fois plus qu’un ha de riz-manioc, 60 fois plus qu’un ha de cacao et 100 fois plus qu’un ha de café. Les cultures illicites ont donc tendance à se substituer aux cultures vivrières, ce qui devrait entraîner à terme des problèmes pour l’approvisionnement des populations, en particulier dans les centres urbains.” Au Congo, le manioc est désormais deux fois plus cher à Missafou, zone de forte production de cannabis, qu’à Brazzaville. Hormis le Burkina Faso et le Tchad, tous les pays d’Afrique francophone produisent aujourd’hui du cannabis. Si une partie croissante des récoltes est exporté, d’abord vers l’Europe, la consommation locale explose. Selon un informateur de l’OGD, en Côte d’Ivoire 25 % du cannabis produit dans le sud-ouest, soit 7 à 8 tonnes par semaine, serait destiné au marché local. Au Ghana, les services anti-drogue estiment à environ 3 millions les usagers de cannabis. Mais tous les produits sont désormais consommés : haschich, médicaments, solvants, drogues dures (héroïne, cocaïne, crack). A l’origine traditionnel, l’usage des drogues est devenu “utilitariste” : agriculteurs, ouvriers des grands chantiers, chauffeurs de taxi ou camionneurs y ont  recours “pour tenir le coup”, prostituées, policiers ou militaires “pour se donner du courage”. L’usage de la drogue s’est urbanisé et généralisé. Ici comme ailleurs, sous les effets conjugués du chômage. La crise de la famille et de l’école, le stress psychologique, les bas prix pratiqués par les trafiquants font que les jeunes consomment de plus en plus de drogues et de produits psychotropes : “pour avoir une meilleure mémoire”, “pour mieux travailler”, “pour surmonter les complexes”…

Héroïne cocaïne et crack

Il n’y a plus, loin s’en faut, que les enfants des rues qui se droguent (en l’essence). L’usager moyen est un homme (87 %), jeune (11-35 ans), célibataire (70 %), alphabétisé à 90 %, membre d’une famille élargie et hébergé des proches. Mais, socialement, il est souvent en situation précaire : soit chômeur (27 %), soit “bricolant” dans le secteur informel (57 %). C’est ce qui ressort d’une étude épidémiologique portant sur quatre pays (Bénin, Sénégal, Côte d’Ivoire et Madagascar), encore limitée quant au nombre des sondés mais déjà fort instructive, réalisée par l’Institut international de formation et de lutte contre les drogues, basé à Paris, en collaboration avec l’INDSERM. On y apprend aussi que le cannabis est consommé par 67 % des drogués, mais que l’héroïne concerne déjà 8,7 % d’entre eux, et la cocaïne 3 %. Au Bénin, un drogué sur trois en a goûté, un sur cinq en Côte d’Ivoire. Rencontré par une enquêtrice de l’OGD, un Kinois de 22 ans est accroc à l’héroïne depuis 5 ans, après avoir fumé du cannabis. Sa famille ne pouvait lui payer des études, il s’est drogué “pour s’évader”. Il vole pour payer sa dose quotidienne. “La consommation d’héroïne et de cocaïne est sans conteste le secteur le plus préoccupant, note l’étude de l’IFLD”. Si jusqu’à une époque récente elle était limitée aux expatriés, aux commerçants libanais et aux enfants des classes moyennes et supérieures, on note une extension auprès des ouvriers dans les pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Sierra Léone, le Togo, le Tchad, le Ghana et le Nigeria. Une ingénierie stratégique est mise en place par les trafiquants pour fidéliser une clientèle on commence par offrir des prix très bas pour ensuite les élever progressivement du moment qu’on est assuré d’avoir accroché des clients. “Au Sénégal, le crack a fait une percée depuis 1993 et il est très facile de s’y procurer de l’héroïne. A Maurice, on compterait déjà 10 000 héroïnomanes pour 1 million d’habitants. Situation également préoccupante au Cameroun où ; d’après un rapport présenté par le Dr Emmanuel Wansi au colloque OGD d’avril dernier, les utilisateurs appartiennent à toutes les catégories sociales ; un drogué sur cinq a commencé bien avant l’âge de 15 ans, en fait à partir de 7 ans. Un usager sur dix devient aussi dealer. Parmi les motivations, certains justifient l’usage de drogue pour avoir le courage d’exprimer des opinions politiques”…

La polytoxicomanie devient courante

Autre consommation préoccupante, celle des médicaments détournés de leur usage (calmants comme le Valium ou autres, excitants, sirop à la codéine, etc.) et les psychotropes (amphétamines et barbituriques) qui augmente surtout parmi les étudiants et les travailleurs qui les utilisent pour mieux supporter la fatigue. C’est devenu courant au Ghana, au Sénégal, au Mali, au Congo… Dans ce pays, “en milieu scolaire, lit-on dans le rapport de l’OGD, des enfants déambulent avec des bouteilles de whisky, du val avala nom donné au Valium) et du Mandrax un excitant), quand ce n’est pas des bombes lacrymogènes ou des pistolets mitrailleurs Uzi”. Les jeunes aisés procurent de la drogue aux pauvres “qu’ils recrutent pour commettre des braquages dont ils partagent le butin”. Des adolescents leurs complexes et font consommer du Valium aux filles pour les rendre consentantes ! Les analgésiques-hypnotiques sont aussi à la mode. Toutes sortes de médicaments sont achetées sur les marchés ou dérobés dans des hôpitaux. La polytoxicomanie devient courante. A signaler enfin, le narcotourisme, dont on devrait parler de plus en plus. Il est déjà important au Kenua, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. Ici, “des circuits courts approvisionnent les hôtels de la cote. Ces circuits sont dirigés par les propriétaires ou les gérants des hôtels qui sont parfois eux-mêmes d’anciens producteurs.”

Une consommation qui relance aussi l’usage local. Retombées d’un trafic qui ne cesse d’augmenter, nouveaux réseaux et forte augmentation du nombre des dealers, politique de bas prix, crise du monde paysan et besoins de nouveaux consommateurs tout, hélas. Concourt à une “démocratisation” de la drogue en Afrique.

 

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