Consommation de drogue au Mali: la jeunesse blanchie
Le Mali change, avec ses us, coutumes, sa foi et ses valeurs sociales. Il fut un temps où on ne demandait au jeune qui voulait se marier que s’il était musulman. Puis, on a commencé à lui demander s’il travaillait, ensuite s’il était de la Diaspora… Aujourd’hui, la question épineuse serait : prend-il de la drogue ?

Pour cause ! L’affirmation sans support selon laquelle 70% de nos enfants seraient des drogues a fait un électrochoc dans la société. Si elle a mis la jeunesse vertueuse de notre pays sur les bancs des accusés, la prise de conscience chez les parents a été immédiate. Au-delà des prêches dans les mosquées et dans les églises pour sensibiliser sur le phénomène, les autorités et les légitimités traditionnelles se seraient impliquées en prenant le taureau par cornes : nous ne donnerons nos filles à aucun garçon qui prend de la drogue. Comment surmonter l’obstacle quand on voit d’abord en chaque jeune un junkie ?
Face au scandale, les autorités en charge de la lutte contre le fléau, l’Office Central des Stupéfiants (OCS), dont la mission est de coordonner les actions de prévention, de contrôle et de répression du trafic illicite de stupéfiants à l’échelle nationale, sous-régionale et internationale, montent au créneau pour restituer à la jeunesse malienne son honneur et sa dignité. Chargé d’enquêter et réprimer les infractions liées au trafic de drogues ; de collaborer avec divers services (police, gendarmerie, douanes, justice, santé) pour une lutte efficace contre le narcotrafic en partenariat avec l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) ou Interpol, l’office central des stupéfiants (OCS) du Mali est bien la structure indiquée pour distinguer le vrai de l’ivrai. Et l’OCS a dit que 70% des jeunes du Mali ne sont pas drogués. Alors, question, d’où vient cette grave accusation ?
70% de jeunes exposés ou 70% de jeunes drogués ?
La statistique selon laquelle 70 % des jeunes Maliens consomment de la drogue est issue d’un rapport mentionné sur plusieurs sites d’informations qui citent le président du Réseau «Un Mali sans Drogue», Sidy Mohamed Samake. Selon ce rapport, environ 70 % de la jeunesse malienne (estimée à 11 millions sur une population totale de 22 millions de Maliens) serait exposée à la consommation de drogues, avec des estimations suggérant que 7,6 millions de jeunes pourraient être concernés. Quelle est la fiabilité de cette statistique ?
La statistique attribuée au Réseau «Un Mali sans Drogue», semble s’appuyer sur une interprétation du Rapport mondial 2020 de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime). Or, ce rapport ne fournit pas de données spécifiques aussi précises pour notre pays, et la mention de 70 % semble être une estimation locale plutôt qu’une donnée vérifiée par une étude rigoureuse. En effet, aucune méthodologie claire (taille de l’échantillon, méthode de collecte, définition de « consommation » ou « exposition ») n’est mentionnée, ce qui limite la robustesse de cette enquête. Par ailleurs, le terme « exposition » peut prêter à confusion. Il pourrait inclure non seulement les consommateurs réguliers, mais aussi ceux ayant expérimenté une drogue une fois ou ceux vivant dans un environnement où les drogues sont accessibles. Cela pourrait gonfler artificiellement le pourcentage. Enfin, les substances concernées par la statistique ne sont pas clairement définies (cannabis, opioïdes, drogues synthétiques, etc.), ce qui rend difficile une interprétation précise.
D’où viennent les 70% de drogués ?
C’est le Rapport mondial sur les drogues 2023 de l’ONUDC qui indique que 70 % des personnes en traitement pour des troubles liés à la drogue en Afrique ont moins de 35 ans. Mais cela ne signifie pas que 70 % des jeunes africains consomment des drogues. Cette donnée reflète plutôt la démographie des personnes en traitement, dans un contexte où l’accès aux soins est du reste très limité en Afrique : seulement 1 personne sur 5 en traitement pour usage de drogues en 2021. Aucune autre source fiable, comme des enquêtes épidémiologiques ou des études nationales dans notre pays, ne corrobore directement ce chiffre de 70 % pour la consommation chez les jeunes.
En effet, notre pays, à l’instar de beaucoup d’autres en Afrique, ne dispose pas de systèmes de collecte de données épidémiologiques aussi développés que ceux des pays occidentaux. Les estimations peuvent donc être basées sur des observations partielles ou des extrapolations. Aussi, le Réseau « Un Mali sans Drogue » a un objectif militant (sensibilisation et lutte contre la drogue), ce qui peut conduire à des estimations alarmistes pour mobiliser l’opinion publique.
Le pays d’Air-cocaïne est décrit comme un point de transit pour le trafic de drogues, notamment la cocaïne et le cannabis, avec une augmentation des saisies ces dernières années (toutes choses qui sont à l’actif de la douane). Cela suggère une disponibilité accrue des substances, mais pas nécessairement une consommation généralisée à 70 %.
Une fausse accusation réparée
Les rapports de l’ONUDC et d’organisations régionales comme la CEDEAO montrent une augmentation du trafic et de la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest, mais aucune donnée ne valide un pourcentage aussi élevé pour notre pays spécifiquement.
Pour couper court à la polémique, et aux scandales, dans un communiqué en date de ce mardi 15 juillet 2025, l’Office Central des Stupéfiants (OCS) a apporté un démenti catégorique à cette information sans aucun fondement. Selon l’OCS, elle proviendrait d’une erreur de formulation relevée dans certaines déclarations publiques et reprises dans les médias. Cette affirmation, selon laquelle « 70% des Jeunes Maliens seraient des consommateurs de drogues » est erronée et ne reflète en aucun cas les données officielles issues des opérations de lutte contre la drogue au Mali, précise-t-il.
Pour l’OCS, les données disponibles sont : ‘‘70% des personnes interpellées pour consommation de drogues sont des jeunes âgés de 15 à 45 ans ; 25% des consommateurs interpellés sont des femmes ; 5% sont des personnes âgées. Il ne s’agit donc nullement d’une proportion de la population malienne globale, mais bien d’une répartition démographique des consommateurs de drogues interpellés par les services compétents’’.
L’OCS appelle les médias, les partenaires et le grand public à plus de prudence dans l’usage des données sensibles liées à la lutte contre le trafic et la consommation de stupéfiants. Une communication rigoureuse est essentielle pour éviter toute confusion ou stigmatisation injustifiée.
Par El Hadj Sambi Touré
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