Culture malienne et réseaux sociaux : la ligne rouge franchie ?
Trois des voix les plus reconnues de la musique malienne, Babani Koné, Mariam Bah et Binguini Bagaga, sont aujourd’hui derrière les barreaux à la suite d’un mandat de dépôt rendu le 22 juillet par le Procureur du Pôle national de lutte contre la cybercriminalité.

Poursuivies pour injures réciproques et atteinte à la moralité publique via des échanges jugés offensants en ligne, leur procès est fixé au 4 septembre 2025.
Babani Koné, née en 1968 à Ségou, est une figure traditionnelle de la musique malienne connue et respectée au sein de la diaspora. Mariam Bah et Binguini Bagaga incarnent une génération plus jeune, fortement présente dans les débats numériques contemporains.
Le rappel de leur statut culturel est essentiel dans la mesure où ces artistes ne sont pas que de simples voix publiques, mais des griots contemporains, porteurs de l’image du Mali au-delà des frontières. Dans ce contexte, beaucoup attendent d’eux une retenue, une voix au-dessus de la mêlée, un exemple structurant pour la jeunesse.
Le cas de Mariam Bah et Binguini Bagaga peut être compris sous l’angle de la jeunesse, de l’expérience limitée et de l’exposition amplifiée dans un univers où les réseaux sociaux façonnent l’identité publique. Cela n’exonère aucun comportement, mais permet un éclairage nuancé sur leurs réactions.
Le cas de Babani Koné, à l’inverse, surprend. À l’âge où l’on attend solennité et sagesse, son implication dans ce conflit numérique interroge. Son enracinement culturel devrait inspirer équilibre et vigilance. Que ce soit au Mali ou dans d’autres pays ouest-africains, les artistes de sa stature bénéficient souvent d’une médiation étatique en cas de crise.
En Guinée, lorsque l’artiste Azaya a frappé sa femme, le ministère de la Culture s’est activement mobilisé pour favoriser une réconciliation. Au Mali, aucun cadre institutionnel similaire ne semble exister pour accompagner des personnalités placées sous mandat de dépôt alors qu’elles représentent le pays au-delà de ses frontières.
Il reste essentiel que les artistes maliens se perçoivent avant tout comme des Ambassadeurs culturels, notamment lorsqu’ils se produisent à l’extérieur. C’est l’image du pays qui est en jeu, souvent réduite à celle de l’artiste. Leur trajectoire inspire des milliers de jeunes et leurs paroles peuvent façonner les normes sociales.
Aucun détail des échanges incriminés n’a été rendu public pour éviter une circulation incontrôlée des propos litigieux. La justice malienne s’appuie sur la loi 2019 056 sur la cybercriminalité, plus précisément les articles réprimant la diffusion numérique de contenus contraires aux mœurs publiques (article 20) et les injures en ligne (article 23).
Ce dossier pose une question majeure, celle de la forme de responsabilisation, de médiation ou de défense accordées à des voix qui incarnent l’identité culturelle du pays dans des contextes fragiles politiquement et socialement. Ces artistes étaient-elles laissées à elles-mêmes sur un terrain judiciaire qui s’est mué en arène publique sans filet ?
Le Mali gagnerait à envisager des mécanismes de cadrage pour ses figures culturelles, afin que leur voix reste une fenêtre sur l’âme du pays, en particulier pour les plus jeunes qui les voient comme modèles.
Cette affaire n’est pas seulement une chronique judiciaire. Elle est le reflet d’un moment où culture, expression et responsabilité publique convergent. Et rappelle que la posture d’un artiste dépasse l’art, elle est affaire d’influence collective et de confiance sociale.
Cheick B. CISSE
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