Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) fait face à une fracture inédite avec le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger – désormais réunis au sein de la Confédération des États du Sahel (AES) – le Sénégal adopte une posture diplomatique de rééquilibrage, misant sur une coopération bilatérale renforcée avec ces pays tout en appelant à une issue inclusive à la crise régionale.
À Bamako, renforcement de la coopération sécuritaire
Le ministre sénégalais des Forces armées, le général Birame Diop, a été reçu le lundi 19 mai 2025 par le président de la Transition malienne, le général Assimi Goïta, au palais de Koulouba. Cette visite s’inscrit dans le cadre d’une relance des échanges diplomatiques entre Dakar et Bamako, dans un contexte sécuritaire tendu marqué par une recrudescence des violences dans l’ouest du Mali, notamment l’attaque du poste de Sandaré, situé à moins de 300 km de la frontière sénégalaise.
Cette coopération militaire bilatérale, déjà illustrée par le lancement de patrouilles conjointes en février à Diboli, mobilise la Zone militaire N°4 et le Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention (GARSI) côté sénégalais. Le général Diop a transmis un message officiel du président Bassirou Diomaye Faye, réaffirmant l’engagement de Dakar à travailler de manière constructive avec le Mali, malgré les reconfigurations institutionnelles.
Depuis la signature d’un accord militaire technique en 2021, les deux pays entretiennent des échanges soutenus, notamment dans la formation des personnels militaires. Des opérations conjointes avec la Mauritanie ont également été menées, dans un effort élargi de stabilisation transfrontalière.
À Ouagadougou, plaidoyer pour une approche inclusive
En visite officielle de 48 heures au Burkina Faso, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a tenu plusieurs rencontres, notamment avec son homologue Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo et le président Ibrahim Traoré. Il a plaidé, le 19 mai, pour une approche inclusive face à la crise entre la Cédéao et l’AES, tout en appelant à tirer les leçons des erreurs passées.
Interrogé par la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), M. Sonko a exprimé ses regrets quant à la rupture entre les deux blocs, tout en soulignant que « les peuples de la région continueront à être des peuples de la Cédéao, quoi qu’on veuille », mettant en avant la réalité persistante des liens économiques, sociaux et culturels.
Il a par ailleurs critiqué certaines décisions de la Cédéao dans la gestion des transitions politiques, notamment les sanctions contre le Mali et la menace d’intervention militaire au Niger. « Un pays comme le Sénégal n’aurait jamais dû accepter l’embargo contre le Mali. Si nous étions au pouvoir, cela n’aurait pas eu lieu », a-t-il affirmé.
Malgré ces divergences, M. Sonko s’est voulu rassurant sur les relations bilatérales, soulignant l’existence de 20 accords ratifiés et 23 autres en discussion avec le Burkina Faso, indépendamment de l’évolution des appartenances institutionnelles. Il a également assisté à l’inauguration du Mausolée Thomas Sankara, en présence de plusieurs ministres sénégalais, et salué l’engagement panafricaniste du leader burkinabè disparu.
À Niamey, normalisation des relations
La diplomatie sénégalaise s’est aussi manifestée au Niger, avec la visite du général Birame Diop, accompagné d’Amadou Hott, candidat du Sénégal à la présidence de la Banque africaine de développement. Reçu par le président Abdourahmane Tiani, le ministre a souligné l’importance de relancer les coopérations dans les domaines de la défense, de la sécurité, du commerce et de la connectivité.
Les deux parties ont évoqué la possibilité d’établir une liaison aérienne directe via Air Sénégal, afin de faciliter les échanges, ainsi que le renforcement du partage d’informations sécuritaires. Le général Diop a également souligné la nécessité d’une action conjointe sur les questions migratoires et au sein d’organisations telles que l’UEMOA, l’Union africaine ou l’ASECNA.
Un repositionnement diplomatique assumé
L’ensemble de ces démarches s’inscrit dans une offensive diplomatique plus large de la part du Sénégal, visant à maintenir sa position d’acteur central dans une région en recomposition. Tout en reconnaissant les dynamiques de rupture initiées par les pays de l’AES, Dakar affirme une volonté de préserver les ponts politiques, sécuritaires et économiques.
Cette approche pragmatique, articulée autour de coopérations concrètes, permet au Sénégal de se positionner comme un intermédiaire crédible, capable de dialoguer avec toutes les parties et de favoriser une sortie de crise négociée à l’échelle ouest-africaine.
Face à une Cédéao fragilisée et une AES en construction, le Sénégal choisit ainsi de maintenir une posture d’équilibre : critique à l’égard des erreurs passées, favorable à une réintégration inclusive, mais résolument engagé dans une diplomatie bilatérale de proximité. Cette stratégie pourrait faire du pays un pivot régional dans la redéfinition des cadres de coopération et de sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
AC/APA
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