Chronique : Sait-on réellement se parler ?
Sigui ka fô yé damou yé, a-t-on coutume de dire chez nous. Autrement dit, le dialogue est l’arme absolue pour prévenir la mésentente.

Nous parlons donc pour communiquer, pour échanger, pour dire, pour bavarder, pour exister, pour séduire, pour rigoler, pour demander, pour manipuler... Nous avons appris à nous affirmer, à dépasser notre peur et notre timidité. Chemin faisant, notre tête est aussi remplie de notre brouhaha intérieur. Nous commentons, jugeons ou critiquons en permanence au risque de ne pas être dans notre vie, mais juste en train de la regarder, de l’évaluer ou de la commenter.
Pour mieux se comprendre, en parlant de dialogue, disons qu’il s’agit d’un échange verbal où l’on met en commun des idées pour en faire un examen contradictoire. Le plaisir de la discussion est dans le résultat, mais aussi dans le plaisir de débattre. Il s’agit d’un jeu de la parole et non d’une bataille pour gagner sur l’autre ni pour séparer un gagnant d’un perdant. À travers la parole, nous ne partageons pas qu’un contenu, mais aussi le fait d’être là, ensemble, à cet instant. La parole participe à la construction d’une appartenance en mettant en lumière ce qu’il y a de commun entre chaque individualité.
Dans nos sociétés, où l’on est censé pouvoir « tout se dire » en toute franchise et dans la courtoisie, on devrait donc en profiter et multiplier les occasions de dialoguer. Il n’en est rien. Trop souvent, la peur de blesser ou de paraitre idiot nous inhibe. Parfois aussi, la sincérité nous manque. Et des fois, l’on se demande à quoi bon parler ? Nous voudrions trouver les mots, mais ceux-ci nous échappent. Nous aimerions dénouer un conflit, éclaircir une situation trouble, et c’est le non-dit qui s’installe dans nos familles, nos cercles d’amis ou nos bureaux.
Il est bon de savoir que parler c'est prendre un risque d'entendre quelque chose qui peut ne pas vous convenir, qui peut nous faire du mal. Cette blessure doit nous interroger, pourquoi ce sujet-là est trop difficile à aborder ? Identifier ce qui touche va nous permettre de panser cette blessure. Nos sages disent régulièrement que ce n’est pas la parole qui blesse, mais que c’est la manière de dire et les mots que l’on choisit qui font le plus mal.
Il y a des personnes qui ont tendance à utiliser la parole comme une arme de déstabilisation massive. A travers des invectives, des dénigrements, des insinuations, des mauvaises interprétations…, elles arrivent à entrer dans votre tête soit pour vous tétaniser, soit pour vous pousser à la faute. Dans de telle situation, l’on se parle sans s’entendre ou sans s’écouter.
Aujourd’hui, entre les innombrables messages vocaux et la dictature des réseaux sociaux, on est comme happés par ce tourbillon compulsif et communicationnel. Et on en arrive à un stade où nous devons réapprendre à nous taire pour redevenir conscients de ce que nous ressentons avant de le dire, pour redonner du poids et de la bienveillance à notre communication, pour ne pas regretter d’avoir parlé. Savoir se taire est la force cachée de la personne qui agit en pleine conscience et sait s’exprimer à bon escient et avec les mots justes.
Salif SANOGO
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