Googan Tan : Djihadistes au Mali : le chaos n'a pas eu lieu, mais... changeons notre fusil d'épaule !
Alors que les Forces armées maliennes (FAMa) poursuivent une contre-offensive vigoureuse contre les groupes armés terroristes (GAT), une vérité s'impose : les victoires tactiques, si importantes soient-elles, ne suffisent plus.

Pour espérer une stabilité durable, il est impératif de changer notre fusil d'épaule, de repenser en profondeur nos méthodes, nos alliances, et même nos tabous diplomatiques.
a guerre asymétrique actuelle, marquée par des assauts répétés et une violence tactique et ciblée, montre un adversaire mobile et technologiquement mieux équipé qu'hier. En une semaine seulement, selon certaines sources, "douze attaques ont été recensées dans l'espace AÉS, dont six sur le territoire malien". Cette pression soutenue atteste d'un réseau terroriste capable de manœuvrer et de se régénérer dans des zones refuges connues, mais peu inquiétées, à mon sens, si l'on s'en tient à l'information officielle qui l'évoque peu !
Face à cette réalité, l'urgence n'est plus de répondre, mais d'anticiper. Cela commence par une enquête rigoureuse, multidimensionnelle, visant à décrypter les structures des GAT, à localiser leurs bases arrière, à tracer les provenances de leurs armes et carburants, et à identifier leurs nouveaux modes d'action.
L'interception d'un véhicule piégé près de Ballé, entre Nara et Nioro, le 8 juin dernier, bien que salutaire, illustre moins une victoire qu'un signal d'alerte : l'ennemi expérimente, innove et s'adapte.
Mais au-delà de la nécessité d'un renseignement accru et peaufiné, c'est toute la doctrine sécuritaire qu'il faut revisiter. Depuis des années, la stratégie dominante repose sur la neutralisation physique des ennemis et le rejet catégorique de tout dialogue avec les ex-rebelles ou les djihadistes repentis. Ce choix, rigide, a montré ses limites. Il est temps d'ouvrir des canaux de discussion avec les éléments prêts à la reddition. De bâtir un processus d'intégration contrôlé et sécurisé, à l'image de certaines expériences africaines (Nigeria, Rwanda), au-delà en Bolivie, ayant su transformer des combattants en relais communautaires de la paix. Cette ouverture ne doit évidemment pas signifier impunité. Mais ignorer les dynamiques internes aux groupes armés, leurs luttes intestines, les désillusions de certains jeunes enrôlés, c'est se priver d'outils de fragmentation efficaces des groupes terroristes.
Autre nécessité : revoir nos partenariats régionaux à l'aune de la réalité du terrain. Trop souvent, les complicités ou les complaisances de certains États voisins ont permis aux GAT de bénéficier de sanctuaires sûrs et de circuits logistiques opaques. L'Algérie, par son double jeu diplomatique, et la Mauritanie, par ses silences coupables sur les mouvements des combattants civils étrangers dans les zones frontalières, posent de sérieuses interrogations.
Il est temps de cesser d'idéaliser ces partenariats qui n'en sont pas et de rediriger notre coopération sécuritaire vers des acteurs sincères et opérationnels.
Je pense ici au Maroc, par exemple, qui dispose d'une expertise éprouvée dans le renseignement et la lutte contre les réseaux transnationaux et qui nous tend la main.
Le Ghana, le Sénégal et le Togo, moins exposés et outillés, mais plus stables politiquement, ont démontré leur disponibilité à renforcer la coopération sous-régionale avec nous. Avec eux, il est possible de bâtir des synergies pragmatiques, basées sur l'échange de renseignements, la formation conjointe et la sécurisation des flux transfrontaliers.
Il s'agit enfin de repenser l'emplacement des bases militaires. Trop souvent concentrées sur des zones symboliques ou à forte visibilité médiatique, les opérations doivent désormais viser les zones refuges connues. Ces espaces, longtemps tolérés, doivent devenir des cibles prioritaires. Il est question ici de poser clairement les responsabilités, de dénoncer les laissez-faire, et de s'autoriser à frapper là où les groupes armés se restaurent et s'équipent.
Signalons qu'une communication sécuritaire ne se construit pas uniquement sur des ruines de pick-up calcinés et des bilans hebdomadaires d'ennemis "neutralisés". Il se construira sur une consultation des expertises locales avérées et repensées parmi nos communicants et sur une diplomatie offensive capables d'accompagner l'intelligence stratégique actuelle.
C'est dire que cette nouvelle phase impose une double mutation : technique (via la cartographie balistique, la traque des flux financiers) et politique (via l'ouverture sélective au dialogue, la refondation des partenariats et la concentration des moyens sur les zones névralgiques).
La guerre au Sahel n'est plus une guerre de frontières, elle est devenue une guerre de réseaux. La gagner exige de nouveaux outils, de nouvelles voix, de nouvelles volontés. En somme, la paix se gagne autant par la force que par l'intelligence.
Seidina Oumar GUINDO
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