Guerre française au Mali: Perception de l’opinion malienne

© Reuters / Joe Penney[/caption] L’avancée des groupes jihadistes d’Aqmi, d’Ançar Dine et du Mujao, en janvier 2013, a vu se précipiter le déploiement et les opérations aériennes de l’armée française au Mali. Perçue d’abord comme une guerre de libération, l’intervention française s’est transformée, ensuite, aux yeux de beaucoup de Maliens en une guerre d’occupation. Etablie sur toute la zone sahélienne, l’action militaire française s’inscrit désormais dans la durée, après une phase dite d’urgence.
De serval à barkhane : de l’urgence à une présence durable
Entre janvier 2013 et mars 2015, une vingtaine d’attentats kamikazes furent recensésLa première phase de l’opération d’urgence consistait à sécuriser Bamako, la capitale malienne, en stoppant, à hauteur de Konna, l’avancée jihadiste vers le sud du pays. Si “la reprise” de Konna par les armées française et malienne était sujette à caution durant les premiers jours suivant les affrontements, le Ministre Français de la défense Jean-Yves Le Drian évoquera également un “point difficile” à l'ouest. Car les jihadistes feront une irruption “surprise” dans la localité de Diabali, située dans la région de Ségou, s’emparant de la ville et mettant en fuite l’armée malienne qui se refuge à Niono. Cette résistance, à l’occasion du coup d’arrêt infligé à l’avancée jihadiste vers Bamako, dénotait déjà de la coriacité et de la détermination de ces groupes, bien que leurs positions fussent détruites dans les grandes agglomérations de Gao, Tombouctou et près de Kidal. Ces frappes aériennes ciblaient des dépôts d’armement, de carburant, des bases logistiques de formation et de regroupement. Leur objectif était d’affaiblir l’imprévisible et terrible ennemi aguerri à la technique de la guérilla. Technique qui se révèlera plus tard redoutable pour l’armée française et les casques bleus de la Mission Intégrés des Nations Unies au Mali (Minusma) qui seront déployés dans toute la région septentrionale, à partir de juillet 2013. De lourdes pertes feront reculer les jihadistes. Certes ! Mais une partie de ce résidu se réfugie dans le très grand nord du Mali, notamment dans le massif des Ifoghas, au Nord-Est de Kidal, et au delà de la région de Tombouctou. La frange la plus importante “du reste jihadiste” s’exile cependant dans le sud libyen, pour y abriter un grand sanctuaire capable à n’importe quel moment de déstabiliser, de nouveau, toute la région sahélienne. En particulier le Nord-Mali et le Nord-Niger. Après la reconquête des villes de Gao et Tombouctou, les jihadistes n’étaient toujours pas anéantis car une vingtaine d’attentats kamikazes furent recensés entre janvier 2013 et mars 2015, orchestrés à partir de nouvelles bases ou de cellules dormantes, notamment dans la région de Gao. Ces attentats ciblent aussi bien les soldats français mais surtout les casques bleus onusiens, composés de troupes africaines et internationales.
L’opinion au sud du pays : entre ferveur et rejet de la France
La “lune de miel” ne perdurera pas longtempsLa reprise de Konna en janvier 2013 par les forces françaises et maliennes, marquera un coup d’arrêt dans l’avancée jihadiste vers le sud du pays. Cette opération fera grimper l’estime de l’opinion publique malienne vis-à-vis de l’armée française, en particulier, et de la France en général. Une attitude favorable qui s’illustrera particulièrement lors de la visite de François Hollande au Mali début février 2013, au cours d’une journée très forte en émotion. Le président français Hollande, encensé par une immense foule en liesse venue accueillir “le sauveur”, déclara alors, dans une verve pétrie d’émotion, “Je passe sans doute la journée la plus importante de ma vie politique”, sous l’acclamation euphorique de centaines de milliers de citoyens maliens au bord de l’extase. Mais “la lune de miel” ne perdurera pas longtemps. Car l’armée malienne est de retour dans toutes les grandes villes du nord-Mali, à l’exception de Kidal, bastion des groupes armés, notamment Touaregs. Ces derniers s’étaient démarqués des jihadistes tout en renonçant aux velléités sécessionnistes et avaient déclaré vouloir s’inscrire dans un dialogue politique avec Bamako, en signant “l’Accord de Ouagadougou”, en juin 2013, qui permettra l’organisation de l’élection présidentielle au Mali, fin juillet 2013. Ces groupes, avec à leur tête le Mouvement National de Libération de l’Azawad (Mnla) ont été quasiment “recyclés” par l’armée française. Ils avaient profité de la déroute des jihadistes pour se reconstituer. Dès l’arrivée de l’armée française, ces groupes rebelles avaient marqué leur retour à Kidal, regroupant l’ensemble de leurs effectifs. Auparavant, le Mnla avait été chassé des principales villes du Nord par les jihadistes d’Aqmi et leurs alliés d’Ançar Dine et du Mujao, qui occupaient les grandes agglomérations du nord et contrôlaient certains axes routiers, jusqu’à l’arrivée des Français, en janvier 2013. Avec la libération des villes du nord, le Mnla a été remis en scelle par l’armée française, comme supplétif pour traquer les jihadistes dans le massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas, mais surtout pour renseigner et mener aux otages français qui étaient détenus dans cette zone par les groupes jihadistes. Le Ministre de la défense déclara à ce sujet : “à Kidal nous avons eu des relations fonctionnelles avec le Mnla”.
Sur les réseaux sociaux, on retrouvait partout des déclarations du genre “Tout sauf le Mnla”C’est précisément ces rapports entre la rébellion, d’une partie touarègue, au sien du Mnla avec les forces françaises à Kidal qui ne sont pas du goût de Bamako et surtout des opinions publiques maliennes, particulièrement dans le sud du pays. Ces dernières estiment que la France, par cette action, est en train de prendre position en faveur de la rébellion. En outre, l’impossibilité du retour de l’armée malienne à Kidal est perçue, par la rue de Bamako, les opinions intellectuelles et les mouvements sociaux, comme “une amputation de Kidal du reste du Mali”. La rébellion du Mnla est en effet considérée par une grande majorité de maliens comme l’acte qui a précipité la descente aux enfers du Mali depuis janvier 2012. Jadis “Indépendantiste” dans son discours, ce mouvement s’attirera une image très négative, au point que la rue lui préfère les jihadistes, malgré leurs crimes et exactions à l’égard des populations des villes de Tombouctou et Gao. Sur les réseaux sociaux, déchaînés, en permanence, on pouvait lire sans cesse : “Tout sauf le Mnla” et d’autres messages de même nature. C’est ainsi que la grande ferveur dans laquelle avait été accueilli Hollande au Mali, début février 2013, après les premières heures de la libération des principales villes du Nord, notamment Tombouctou et Gao, va s’inverser pour donner naissance à une attitude totalement défavorable à la présence française, notamment à Kidal. C’est cette présence française, désormais perçue comme une occupation, qui empêcherait, aux yeux de beaucoup de Maliens, le retour de l’armée malienne à Kidal. Suite à une visite compromettante de l’ex-premier Ministre Moussa Mara, en tournée dans tout le nord du pays, une tentative de l’armée malienne visant à récupérer Kidal se soldera par une cuisante défaite, en mai 2014, face à la présence particulièrement massive des trois principales branches armées rebelles de la région, qui tenaient alors des meetings politiques au sein de la ville. Toutes leurs bases y étaient présentes. La présence à Kidal des forces françaises et étrangères, puis du Mnla, le tout sans l’armée malienne, s’avère inacceptable pour Bamako et son opinion publique. Elle illustre selon eux le traitement spécial réservé à cette partie nord du pays, qui n’est pour l’heure, quasiment plus administrée par le pouvoir central de Bamako. Toutefois, l’argument avancé par la rébellion à Kidal pouvait dans un sens se justifier, pour certaines populations du nord, car le retour de l’armée malienne dès janvier 2013, notamment à Tombouctou et dans le sillage de serval, est perçu par les populations “teint clairs”, en l’occurrence les Touaregs et Maures, comme une porte ouverte aux exactions rapportées.
Au nord du pays : des exactions à l’ombre de serval
D’après les réfugiés, l’intervention française est “bienvenue” en même tant qu’elle éveille des inquiétudes très fortes. Dès les premiers jours de la guerre au Nord-Mali contre les salafistes, plusieurs milliers de personnes se sont enfuies vers la Mauritanie, s’ajoutant à ceux qui étaient déjà enregistrés au camp de M’béra, le plus grand camp de réfugiés maliens à l’extérieur. L’intervention française au Mali avait alors été systématiquement saluée par tous dans le pays, y compris par ces exilés maliens en majorité Touaregs et Maures, issus notamment de la région de Tombouctou. La responsabilité de la France dans le retour et les agissements de l’armée malienne est néanmoins jugée considérable parmi les opinions touarègues.Dans la ville de Tombouctou et sa région, de nombreux témoignages rapportent des pertes de vies humaines, et ce en pointant explicitement la responsabilité de l’armée malienne.Même si pour beaucoup de réfugiés l’intervention militaire a été décidée tardivement, et ce malgré les souffrances des populations du Nord-Mali, sous le joug d’Aqmi qui appliquait durement sa loi. Il n’en demeure pas moins qu’elle sera vécue comme un soulagement pour les victimes à l’intérieur comme à l’extérieur de cette occupation salafiste. Ces réfugiés s’interrogèrent par ailleurs sur le déroulement des opérations et se demandèrent “comment prévenir les risques des dérapages de cette intervention pouvant affecter la population civile?” Pour ces réfugiés, il n’y avait que deux solutions : soit les extrémistes sont extirpés de force ; soit ils restent sur place et la mauvaise graine s’implanterait alors davantage et la communauté internationale aurait du mal à trouver une solution à un tel fléau sur le long terme. Ce que les populations du nord, Touaregs et Maures en tête, redoutent le plus, encore aujourd’hui, bien que la situation ait évoluée, c’est aussi le retour de l’armée malienne dont les exactions avaient étés signalées, plusieurs fois, par des organisations telles que la Fédération International des Droits de l’Homme (Fidh), Human Right Watch (Hrw) et Amnesty International. Ces associations avaient même demandé l’ouverture d’une enquête pour «une série d’exécutions sommaires perpétrées par l’armée malienne» dans le centre et le nord du pays depuis le 10 janvier 2013, lors du retour de l’armée malienne dans le sillage de serval.
La guerre et les intérêts d’État
S’il est naturellement juste et bon de chasser le mal qui sévit depuis trois ans au Nord-Mali, voire de l’anéantir pour que les populations renouent avec leur sécurité, leur dignité et leur liberté d’antan, on est cependant tenté de s’interroger sur cette guerre menée par la France au Mali. Il est important de se poser cette question, d’autant plus que la principale force combattue dans cette région émane de la Lybie, une conséquence directe, comme l’affirment de nombreux observateurs, de l’intervention française. Celle-ci, en visant le régime de Khadafi en 2011, a ouvert les portes des casernes et laissé certains groupes récupérer un véritable arsenal de guerre; ces mêmes groupes perturberont dès la fin 2011 l’équilibre des forces au Nord-Mali, avant d’installer un chaos permanent, à partir de janvier 2012, dont les civils sont les principales victimes.Une fois l'intervention française terminée, les Maliens devront eux aussi mener un combat, mais d'une tout autre nature.
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