Instructions verbales dans l'administration malienne : Le piège silencieux de la hiérarchie publique ?

Au Mali, la gouvernance publique est souvent secouée par des affaires judiciaires impliquant des agents de l'État, notamment des administrateurs financiers et des responsables techniques. Nombre d’entre eux se retrouvent devant les tribunaux, non pas pour avoir agi de leur propre chef, mais pour avoir exécuté des instructions verbales venues de leur hiérarchie. Un phénomène aussi courant qu’inquiétant, devenu une brèche systémique dans la gestion des deniers publics.
La face cachée des instructions verbales
Dans les couloirs feutrés de l’administration, il n’est pas rare que des ordres soient donnés à voix basse. Qu’ils émanent d’un ministre, de son directeur de cabinet ou d’un proche collaborateur politique, ces ordres sont souvent pressants, non écrits, et pourtant impératifs. Leur exécution s’impose aux subalternes, pris au piège entre devoir de réserve et obéissance hiérarchique.
Des missions initialement destinées aux Secrétaires Généraux garants de la continuité administrative sont, aujourd’hui, régulièrement confiées à des membres de cabinet aux profils politiques, dans un flou administratif parfois volontaire. Le résultat à ce niveau, est la confusion des rôles, le désordre procédural, et surtout… porte ouverte aux fautes graves de gestion.
Quand l’exécution devient compromission
Les agents d’exécution, notamment les administrateurs financiers, sont les plus exposés. Placés sous pression, ils obéissent, souvent à contrecœur, pour ne pas risquer leur carrière. Pourtant, en cas de scandale ou de contrôle, ce sont eux qui font face à la justice. Et dans la majorité des cas, l’ordre hiérarchique, à l’origine des fautes, reste dans l’ombre.
Le procès retentissant autour de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires illustre tragiquement cette réalité. Plusieurs anciens hauts fonctionnaires s’y défendent, affirmant avoir agi sur instruction hiérarchique. Dans leurs dépositions et témoignages, on pourrait assimiler la bonne foi, la crainte de perdre leur poste. Mais face aux juges, l’argument ne suffit plus. La responsabilité pénale est individuelle, même dans le contexte d’instruction orale.
Une problématique d'éthique, juridique et politique
La pratique des instructions verbales soulève de graves questions : Où s’arrête la loyauté administrative et où commence la complicité ? Peut-on exiger l’exécution sans trace, et condamner sans preuve écrite ? Quel est le rôle réel de l’autorité politique dans la préservation des règles ?
Dans un État de droit, le respect des procédures n’est pas une option. Il est la garantie d’une gestion saine, traçable et transparente des ressources publiques.
Quelles solutions pour rompre le cercle vicieux ?
Pour endiguer cette pratique qui mine l’administration et expose les cadres à la justice, plusieurs mesures peuvent et doivent être envisagées notamment interdire formellement les instructions verbales ayant des incidences financières. Toute directive touchant aux finances publiques doit être consignée par écrit, signée et enregistrée. Mettre en place un registre des ordres dans chaque ministère. Il servira comme un outil de traçabilité administrative qui protège les agents et engage les donneurs d’ordre. Former les cadres à la responsabilité administrative et à l’éthique publique en renforçant leur capacité à demander des confirmations écrites sans craindre des représailles.
Renforcer le rôle des Secrétaires Généraux comme garde-fous procéduraux c'est à dire redonner à l’administration son pouvoir régulateur face aux injonctions politiques.
Créer une cellule d'alerte administrative indépendante pour recueillir les signalements anonymes d’abus hiérarchiques et instruire en amont les cas sensibles.
Gouverner, ce n’est pas ordonner dans le silence, c'est prévoir aussi.
L’administration publique ne peut pas continuer à fonctionner dans une zone grise entre ordre verbal et exécution aveugle. L’exemple du procès de l’avion présidentiel devrait faire école : il démontre à quel point les instructions non formalisées peuvent devenir des bombes judiciaires à retardement.
Sensibiliser, responsabiliser, et formaliser doivent être les piliers d’une réforme profonde. Car chaque ordre mal documenté peut un jour devenir une faute. Et chaque faute, un scandale de plus dans la longue liste de la mauvaise gouvernance au Mali.
Source : Mamadou Camara dit Madou’s Info360.info
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