Tribune : Sahel – et si l’on écoutait enfin les populations ? : Quel avenir pour les populations du Sahel ?

8 Sep 2025 - 13:46
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Tribune : Sahel – et si l’on écoutait enfin les populations ? : Quel avenir pour les populations du Sahel ?

La question revient souvent dans les conférences internationales, les rapports d’experts ou les discours diplomatiques. Mais derrière cette interrogation presque routinière se cache une urgence bien réelle, une souffrance palpable et une inquiétude croissante, partagée par des millions d’hommes, de femmes et de jeunes confrontés à l’insécurité, à la pauvreté, et à une invisibilité institutionnalisée.

Le Sahel, longtemps traité comme un simple théâtre d’opérations militaires ou un bastion avancé de la lutte contre le terrorisme, est aujourd’hui à la croisée des chemins. Entre l’enlisement sécuritaire, l’échec des stratégies classiques, et l’explosion des vulnérabilités sociales, il devient impératif de changer de cap.

Une militarisation sans vision

Depuis plus d’une décennie, des coalitions internationales ont été déployées dans la région avec pour objectif déclaré de stabiliser le Sahel. Barkhane, MINUSMA, EUTM, G5 Sahel… les acronymes se sont multipliés, les millions d’euros ont afflué, et pourtant, la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer. Les groupes armés se sont enracinés, les violences intercommunautaires se sont intensifiées, et les États ont perdu le contrôle de vastes portions de leur territoire. En réaction, certains régimes politiques ont basculé, des soldats se sont emparés du pouvoir, mais la situation n’a guère évolué.

Ce constat d’échec n’est pas qu’une donnée géopolitique : c’est une réalité vécue, endurée, parfois désespérée, pour celles et ceux qui voient leur quotidien rythmé par les déplacements forcés, l’absence de services publics, ou la peur constante.

Loin de résoudre les conflits, la logique militariste adoptée par de nombreux partenaires, et maintenant par les nouveaux gouvernements locaux, a souvent aggravé les fractures existantes, en négligeant les causes profondes des crises : la marginalisation des territoires ruraux, l’exclusion des jeunes, les rivalités foncières non résolues, ou encore l’effondrement du lien entre citoyens et institutions.

Et si la véritable urgence était sociale, politique, humaine ?

Il est temps de reconnaître que l’ennemi du Sahel ne se limite pas aux groupes terroristes. L’ennemi, c’est aussi l’indifférence, la pauvreté extrême, l’absence d’éducation, le manque de perspectives. C’est cette génération sacrifiée, née après les indépendances, qui grandit sans emploi, sans sécurité, sans espoir. C’est cette jeunesse qui n’a jamais vu un médecin dans son village, ni un enseignant dans sa langue maternelle ou adoptée, et qui peine à croire que l’État existe pour elle.

La sécurité sans justice, sans développement, c’est une illusion. C’est un vernis fragile qui craque dès que le dernier soldat s’en va. À l’inverse, un investissement massif dans l’éducation, la santé, les infrastructures locales, la gouvernance de crise et participative, est le seul rempart crédible contre la radicalisation violente, l’exode rural et les conflits communautaires. Des projets existent, des initiatives locales montrent la voie, mais elles manquent cruellement de soutien politique et de vision stratégique.

Un nouveau contrat social à construire

La stabilisation durable du Sahel ne viendra ni d’un blindé, ni d’un sommet à huis clos. Elle viendra d’un nouveau contrat social entre les États et leurs citoyens, ancré dans le retour à l’ordre constitutionnel normal, la justice sociale, l’équité territoriale et la redevabilité politique. Elle viendra de la reconnaissance des savoirs et des identités locales, du respect des équilibres sociaux traditionnels, et surtout, de l’écoute réelle des communautés, trop longtemps exclues des décisions qui les concernent.

Cela exige un engagement sincère de la part des gouvernements sahéliens, qui doivent rompre avec les logiques clientélistes et centralisatrices, mais aussi une transformation profonde des approches internationales, encore trop marquées par l’urgence sécuritaire, les cycles de financement court terme, et l’obsession des indicateurs quantitatifs.

La responsabilité est collective. L’action doit l’être aussi.

Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre un énième plan d’urgence, une énième mission d’observation ou un énième discours bien rédigé. Le Sahel n’a pas besoin de compassion ponctuelle, mais de solidarité durable. Il n’a pas besoin d’une paix de façade, mais d’une transformation en profondeur.

Il n’est pas trop tard. Les forces vives de la région existent, même sans grande cohérence. Si, d’un côté, elles innovent, elles résistent, elles bâtissent, de l’autre, elles flanchent, elles hésitent, elles attendent. Mais gardons espoir. Célébrons les réussites : il n’y a pas de force plus contagieuse. Regardons, partout au Sahel, ces femmes qui maintiennent l’économie informelle debout, ces jeunes qui créent des start-ups agricoles malgré l’insécurité, ces chefs coutumiers qui négocient des trêves pour leurs communautés, là où il n’y avait plus d’espoir de sécurité, et ces enseignants qui, sans salaire décent, continuent à transmettre le savoir.

À condition de les écouter, de les soutenir, et de leur faire confiance, le Sahel peut encore écrire une autre histoire : celle de la résilience, du sursaut et de la paix.

Par Dr. Mahamadou KONATE

Chercheur, Analyste Gouvernance et sécurité

Président du Centre Kurukanfuga- Bonne gouvernance et Consolidation de la Paix

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