Tribune : Communication de guerre : ne pas ajouter l’insulte à la dérobade
La propagande ne meurt jamais. Mais aujourd’hui, elle a changé de forme, et ses limites sont de plus en plus visibles à l’ère de l’hyper connectivité.

Autrefois toute-puissante lorsqu’un Etat contrôlait ses canaux d’information, elle devient contre-productive dès lors que la vérité peut émerger de multiples sources.
Vouloir nier l’évidence observable par tous, c’est prendre le risque de perdre à la fois la bataille de l’image et celle de la confiance.
Du monopole à l’éclatement de l’information
Jusqu’à la fin du XXe siècle, la propagande d'État prospérait sur un terreau favorable : un espace médiatique verrouillé, des médias publics au service du pouvoir, et une opinion publique largement dépendante de sources uniques. Le Troisième Reich, sous l’orchestration de Joseph Goebbels, en est un exemple tragique : jusqu’aux derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, une large partie des Allemands croyait encore en une victoire imminente. La maîtrise absolue de l’information permettait alors d’ignorer la réalité du front et d’entretenir l’illusion.
À l’inverse, la guerre du Vietnam a montré les premières fissures de ce modèle. Face à la multiplication des médias indépendants et au poids croissant de la liberté d’expression, les Etats-Unis ont été confrontés à une opinion publique de mieux en mieux informée — et donc de plus en plus critique. Les images et témoignages des exactions sur le terrain, relayés sans filtre, ont contribué à délégitimer le conflit et à précipiter le désengagement américain. Le mythe de l’État maître de la narration s’est alors effondré.
L’irréversible désordre informationnel
Depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, la maîtrise de l’information n’appartient plus à personne — et surtout plus aux seuls États. Tout soldat peut devenir cameraman ; tout civil, journaliste ; tout internaute, relais. Cette horizontalité de l’information transforme la communication de guerre en un champ de mines permanent. L’État n’a plus le monopole du récit. Il doit désormais rivaliser avec une infinité de sources — parfois authentiques, parfois manipulées, mais toujours disponibles, immédiates, et virales.
Dans ce contexte, tenter de nier une réalité visible sur les réseaux — par exemple des vidéos diffusées par l’ennemi — devient non seulement inutile, mais néfaste. Cela ne fait que saper la crédibilité de la parole publique. Si l’État ment ou minimise de façon flagrante, l’opinion se tourne vers d’autres sources… quitte à croire l’ennemi. Par défaut de confiance, ce dernier gagne alors un avantage stratégique : celui de la présomption de véracité.
De la dénégation à la stratégie de vérité relative
Plutôt que de s’enfermer dans une posture de dénégation ou de silence, les gouvernements doivent adopter une stratégie de mise en perspective informationnelle. Cela ne signifie pas révéler tous les détails, ni tout dire en temps réel, mais plutôt s’inscrire dans une dynamique de transparence contrôlée. Il ne s’agit plus de nier, mais d’expliquer, de relativiser, de contextualiser. Mieux vaut reconnaître une difficulté, en montrant qu’elle s’inscrit dans une séquence maîtrisée, que de la cacher… et la voir exposée ailleurs.
Cependant, aucune stratégie de communication, aussi habile soit-elle, ne tiendra longtemps sans réalité tangible. La crédibilité se nourrit de résultats. On ne peut pas maquiller indéfiniment une guerre perdue, ni habiller une série de défaites en victoires symboliques. La meilleure communication restera toujours celle qui s’appuie sur des succès concrets, des victoires assumées, ou à défaut, sur une capacité d’adaptation et de remise en question stratégique.
Le prix de la confiance
Il y a un temps pour tout : un temps pour convaincre, un temps pour reconnaître, et parfois un temps pour reconstruire. Si la guerre se perd sur le terrain, il faut au moins sauver la paix avec l’opinion publique, sans quoi l’État perd sur tous les fronts. Mieux vaut un changement de cap lucide qu’une fuite en avant dans le mensonge. Car lorsque la parole publique ne vaut plus rien, l’État n’a plus d’outil pour gouverner.
En résumé : M’entendre
• Nier l’évidence ne fonctionne plus à l’ère numérique.
• La stratégie doit passer de la dénégation à la mise en perspective.
• Une communication crédible repose sur des résultats réels, pas des récits fictifs.
• La vérité n’est pas une faiblesse : c’est un levier de confiance et de résilience.
9 septembre 2025
Dr. Mahamadou Konaté
Chercheur, analyse Gouvernance et Sécurité
CK-BGCP
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