Sénégal: le camp antisystème sort renforcé de son bras de fer avec Macky Sall

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Les opposants antisystème, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle au Sénégal, sortent renforcés de leur bras de fer de trois ans avec le pouvoir, s’accordent analystes et observateurs après la libération des deux hommes.

Tous se félicitent du dénouement de ce feuilleton politico-judiciaire qui tient le pays en haleine depuis trois ans, et de la libération d’un des favoris de la présidentielle du 24 mars, après une des plus graves crises politiques connues par le pays depuis son indépendance, liée au report du scrutin.

“On est en train de vivre un tournant décisif”, estime le politologue Maurice Dione. Pour lui, la libération des deux hommes, à dix jours du scrutin, renforce indéniablement l’opposition antisystème.

Le président Macky Sall a cherché “à réduire l’opposition à la plus simple expression”. Ce fut “contre-productif” et “une erreur politique grave” car “les Sénégalais ont une culture démocratique forte” et les institutions ont prouvé leur capacité de résilience, estime-t-il.

“Au Sénégal, les hommes politiques qui ont subi beaucoup d’injustices se trouvent plébiscités”, affirme-t-il, évoquant “une rente victimaire” qui pourrait changer la donne de l’élection.

– “Résilience politique” –

Alassane Beye, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université de Saint-Louis, relève “l’ingéniosité” et la “capacité de résilience politique” de la galaxie Sonko, qui a su “diversifier les options” pour présenter un candidat à la présidentielle.

Depuis 2021, Ousmane Sonko a été mis en cause dans plusieurs affaires judiciaires qu’il a toujours dénoncées comme des complots du pouvoir pour l’éliminer de la course électorale.

Ses procès ont donné lieu à des troubles qui ont fait des dizaines de morts, conduit à des restrictions de liberté et des centaines d’arrestations de ses militants.

Il a finalement été placé en détention en juillet 2023 pour “appel à l’insurrection” et vu sa candidature à la présidentielle rejetée par le Conseil constitutionnel en janvier. Il a alors donné son soutien à son numéro deux, Bassirou Diomaye Faye, lui-même détenu depuis avril 2023 pour “outrage à magistrat”.

Les deux hommes sont sortis de prison jeudi soir à la faveur d’une loi d’amnistie controversée, proposée par Macky Sall pour “apaiser” et “réconcilier” les Sénégalais. Des milliers de Dakarois ont fêté leur libération.

“Ils sortent au milieu de la campagne électorale et ça les renforce”, estime Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi, d’autant que Bassirou Diomaye Faye “sort sans condamnation”.

Quant à Ousmane Sonko, une remise en liberté dans ces conditions “laisse penser que ses condamnations (dans une affaire de mœurs et pour diffamation) relevaient d’une sorte d’acharnement politique”, ajoute M. Yabi.

– “Tout ça pour ça” –

Capable de rallier des foules massives et très populaire auprès de la jeunesse citadine, M. Sonko va désormais pouvoir peser sur la campagne, pense le chercheur.

Autre atout pour son camp, la fin des inégalités de traitement pour M. Faye, qui pourra par exemple retrouver le temps d’antenne qui lui avait été retiré à la télévision nationale.

Bénéficiant de l’effet Sonko, bien que beaucoup moins populaire, M. Faye passe pour l’un des favoris de la présidentielle, la plus ouverte depuis l’Indépendance en 1960.

Pour Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, “ces libérations vont contribuer à décrisper la situation politique” et doivent “permettre d’aller de façon plus sereine vers le scrutin”.

“Les budgets de la défense et de la sécurité ont été gonflés uniquement pour faire la guerre au Pastef (le parti dissous de MM. Sonko et Faye) et cette guerre nous a coûté des pertes de vies humaines”, des restrictions de liberté et d’importants préjudices économiques, estime-t-il, évoquant “un très grand gâchis”.

“Ce que nous avons vécu, les dizaines de morts, le développement de la haine entre Sénégalais, les traumatismes… on ne peut pas faire comme si cela n’avait pas existé”, souligne à l’AFP Elimane Kane, membre du collectif de la société civile Aar Sunu Election (“Préservons notre élection”), qui s’est élevé contre le report du scrutin, initialement prévu le 25 février.

“C’est ça qui fait très mal, quand on se rend compte que c’était tout ça pour ça”, déclare-t-il.

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