Mamadou Ismaël Konaté, ex-ministre de la justice : “L’état dans lequel les juges travaillent est déplorable”

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Depuis son départ du gouvernement, l’ancien ministre de la Justice, avocat de son état, Mamadou Ismaël Konaté, ne se prive pas de  donner son point de vue sur certains sujets de la vie de la nation. Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’ex-garde des Sceaux nous parle de la grève illimitée des magistrats, la retenue de salaire, des assesseurs pour remplacer les magistrats grévistes et l’affaire de plus de 3 milliards de F CFA disparus dans les couloirs de l’hôtel de finance. Interview.

Quelle lecture faites-vous du bras de fer entre les magistrats et le gouvernement ?

Je pense que ce bras de fer n’a pas sa raison d’être pour la simple raison que les syndicats des magistrats ne peuvent pas être dans une situation de difficultés de ce niveau avec le gouvernement. Ce que je sais de cette situation, c’est  moi-même, j’ai pris mes fonctions le 7 juillet 2016, alors que le syndicat des magistrats, le syndicat de pénitentiaires, les syndicats des travailleurs de l’administration de justice étaient tous  en grève. Ils avaient déposé  un préavis de grève, j’ai dû les rencontrer après cette semaine pour engager des discussions avec eux.

Dès que j’ai trouvé des bases de discussion avec eux, j’ai pris le soin justement d’adresser au gouvernement un communiqué verbal qui lui a permis de me donner des indications très précises et ces discussions ont eu lieu non seulement  en présence de l’ensemble des ministres, mais aussi en présence du président de la République et du Premier ministre. Et tous les deux (le président de la République et le Premier ministre) ont eu des discussions très approfondies et le président de la République m’a fait part de ses instructions, de ses conseils et m’a demandé d’aller voir la mise en œuvre avec le Premier ministre.

Les discussions ont eu lieu en présence également du ministre de la Fonction publique et du ministre des Finances. L’ensemble des engagements qui sont revendiqués aujourd’hui par les syndicats des magistrats sont des engagements auxquels le gouvernement a pris part. Nous nous sommes engagés à revoir le statut de la magistrature, nous nous sommes engagés à revoir le statut de la Cour suprême, nous nous sommes engagés à revoir le plan de carrière de la magistrature, nous nous sommes engagés à revoir la rémunération des conditions de travail des magistrats, nous nous sommes engagés à revoir beaucoup de choses qui ont fait l’objet d’une convention qui ont été signées au-delà du ministère de la Justice par bien d’autres ministres.

Cet engagement n’a pas été pris par le seul ministre de la Justice, il a été pris par l’ensemble des membres du gouvernement sous la couverture du Premier ministre et du président de la République. C’est pour ça qu’il n’y a pas de raison qu’on puisse revenir sur ces engagements, d’autant plus que ces engagements ont été prévus  dans un agenda qui nous amène jusqu’en 2019. C’est pour ça que je comprends l’attitude aujourd’hui des syndicats des magistrats, je comprends la situation qui est là leur, je comprends aussi qu’ils revendiquent bec et ongle ces engagements qui ont été conclus.

Il est difficile de penser qu’un pays, une nation peut se passer d’une justice pendant deux mois. C’est une situation qui est tellement déplorable que beaucoup de gens se retrouvent à des situations d’arrestation, de garde à vue ou en détention préventive dans des commissariats de police, dans des conditions impossibles. J’ai entendu encore ce matin le président de la Commission nationale des droits de l’Homme, le juge Malick Coulibaly, se plaindre de la situation.

A ce niveau, le gouvernement doit être suffisamment conscient que l’Etat de droit, c’est lui, la démocratie, c’est lui, les  libertés, c’est lui et la sauvegarde de ces libertés c’est encore lui. Il y a quelque chose qu’il ne faut pas confondre c’est-à-dire la situation personnelle des juges n’a absolument rien à avoir avec la situation qu’ils revendiquent en tant que corporation. S’en prendre aux juges aujourd’hui, mettre leurs qualités en cause et leur intégrité et refuser de valider les engagements qui ont déjà été pris, il y a un souci à ce niveau-là.

Le gouvernement ne peut pas rester dans cette attitude sans amorcer un vrai dialogue avec les syndicats des magistrats qui ne demandent que des choses de base. Quand vous regardez aujourd’hui la situation des magistrats maliens, c’est une situation qui est aux antipodes de ce que l’on peut voir en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Niger pour ne prendre que des pays équivalents à ce niveau. Au niveau du salaire, le Burkinabé gagne quatre fois plus que le Malien, le Sénégalais gagne cinq fois plus que le Malien, l’Ivoirien la même chose. Or, on ne peut pas dire qu’aujourd’hui il y a une grande disparité entre le Mali et ces pays-là.

La situation du magistrat aujourd’hui doit nous permettre de prendre suffisamment conscience. L’état dans lequel ils travaillent est déplorable, la rémunération est indécente, les conditions dans lesquelles la carrière d’un magistrat est gérée sont des conditions inacceptables. On ne peut pas laisser aujourd’hui des magistrats dans des conditions de végétation sans prendre conscience qu’ils sont essentiels et utiles pour la construction d’un Etat de droit. Pour être exigeant vis-à-vis des magistrats, on ne peut l’être qu’en ayant rempli des conditions qui sont les leurs. Et les conditions qui sont les leurs sont des conditions de travail, des conditions de rémunération, des conditions de gestion de leurs carrières.

Je vous donne juste un exemple aujourd’hui, des  magistrats de gauche qui sont souvent exposés à des situations d’insécurité absolue, ils ne sont même pas gardés ni chez eux ni au bureau. Et vous savez qu’un magistrat a fait l’objet d’un enlèvement et jusqu’à présent on ne connaît pas son sort. Voilà des situations qui doivent amener à prendre conscience d’une situation pour trouver des solutions pour permettre à un Etat de préserver la notion d’Etat de droit et de démocratie.

Je peux comprendre que tout ne soit pas possible pour un gouvernement immédiatement, ce qui est le plus important c’est la bonne volonté du gouvernement qui doit être systématiquement affichée pour affirmer aujourd’hui  l’adhésion à un Etat de droit, pour affirmer son engagement vis-à-vis de la justice et pour exprimer une volonté claire et nette d’être là pour la justice et les juges.

Pensez-vous que la retenue des salaires par le gouvernement va apaiser la situation ?

Je ne suis pas sûr, même s’il faut rappeler que la retenue sur salaires des grévistes est un droit. Ils doivent savoir qu’on n’a un salaire que lorsqu’on a travaillé. C’est un droit d’aller en grève mais c’est aussi en contrepartie la retenue de ce salaire pour le gouvernement est un droit à ce niveau. Sauf que des mesures comme celles-ci peuvent radicaliser les positions, ce sont des mesures dont on n’a point besoin aujourd’hui. Je pense que c’est une situation qui est très difficile et qui est rapide. Il faut que des médiateurs soient désignés le plus rapidement possible qui puissent faire le lien entre le gouvernement et les syndicats de manière à ce que le dialogue soit pris, de manière que des mesures soient prises de part et d’autre, de manière à ce aujourd’hui la volonté et du gouvernement et des syndicats de magistrats puisse bâtir un Etat de droit, un cadre de justice qui soit acceptable.

Quand vous étiez à la tête du département, vous proposiez la mise en place des auxiliaires de justice pour remplacer les grévistes. Vous pensez aujourd’hui que c’est la solution ?

Ce n’est pas la solution, tout comme la solution, c’est n’est pas la retenue sur le salaire même si cela est un droit à ce niveau. Je pense tout simplement qu’aujourd’hui il faut reprendre le dialogue avec le syndicat des magistrats, il faut encore les écouter davantage, il faut échanger avec eux pour leur ouvrir des perspectives qui puissent les mettre en situation de confiance.

Rien ne vaut d’envenimer cette situation, un pays sans droit, sans justice, sans juge est un pays qui est sans contrôle et ça ne peut pas continuer. Bien évidemment, dans des situations où on peut rien on n’est obligé de prendre des mesures à ce niveau-là. C’est pour ça que, moi j’avais envisagé de prendre des auxiliaires qui puissent remplacer les juges mais ce n’est jamais pour longtemps, vous savez pour remplacer un juge même le remplaçant d’un juge n’est toujours pas le juge. Il faut tout faire pour que la relation de confiance soit rétablie, elle était établie de mon temps et il n’y a pas de raison qu’elle ne soit rétablie aujourd’hui.

M. le  ministre après votre passage au ministère de la Justice, quels sont vos regrets aujourd’hui ?

Le regret c’est qu’on soit encore loin de l’Etat de droit, le regret c’est qu’on soit encore loin d’une justice indépendante, le regret est qu’on soit encore incapable de préserver le bien public et l’intérêt public. Juste un exemple, l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite a été installé ici de très haute lutte, quand on voit ce que devient l’Oclei dans le cadre de la lutte contre la corruption, le président n’avait cesser de rappeler à tout-va qu’il va mener une lutte farouche contre la corruption, cette lutte farouche s’est traduite par des mois de grèves des magistrats, par la suspension des activités de l’Oclei, et désormais l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite, une autorité indépendante, est désormais rattaché à un ministre.

Plus de 3 milliards de F CFA auraient disparu entre les couloirs de l’hôtel des finances selon les magistrats grévistes, quel est votre commentaire ?

C’est la rumeur et une rumeur est trop difficile à commenter. La rumeur ne vous donne pas assez d’occasion d’avoir une idée de ce qui est dit ou qui n’est pas dit et c’est des choses qu’on ne peut pas analyser. Or aujourd’hui il faut être extrêmement prudent dans ce pays-là, seulement il ne faut pas taire les situations qui doivent être connues du grand public pour ça il faut savoir la réalité.

Seyni Touré

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10 COMMENTAIRES

  1. Tout simplement, nous voulons une justice indépendante pour traquer les Ministres, les Présidents , les directeurs , et tous ceux qui sont chargés de gérer les deniers publics . Les fonctionnaires sont les commerçants d’aujourd’hui et ceux qui gèrent les boutiques sont des figurants. Il faut que le peuple malien sache que ceux qui ont volé ont remboursé en vendant leurs biens sous l’œil vigilant des journalistes et des caméras pour que ce phénomène puisse prendre fin . Il faut que la justice arrête d’être complice des politiques ou de ceux qui sont le premiers responsables du Mali. Respect à l’ex Ministre de la Justice , vous avez beaucoup à faire pour que les choses changent positivement au Mali

  2. Me Mamadou Ismael KONATE , durant son sejour a la tete du departement de la Justice , a fait tout ce qui etait son possible. Tous les acteurs , les justifiables et les partenaires du Mali, sont unanim sur ca . Il a rapporte ce dont il a ete temion. Maintenant il etait le Ministre de la Justice, mais les differentes greves des magistrats en son temps, ont ete gere par le Gouvernement en impliquant tous les Ministres concernes, le Premier Ministre et le President de la Republique. Un consensus a ete trouve, a la suite d’un engagement pris par l’ensemble du gvt, qui n’a honore. C’est ce qui explique la presente greve illimitee. Les magistrats ont parfaitement raison. Me KONATE ne s’est pas desolidarise du Gvt dont il etait membre, mais a dit comment les greves ont ete gere.

  3. La situation des juges n’a pas été la cause de votre démission ,mais pour votre amour propre.
    Dépuis l’avenement de la démocratie ,les fonctionnaires se sont adonnés à l’affairisme et ont oublié l’évolution salariale.On voit des foctionnaires millardaires et tout a été abandoné au prix de l’interêt personnel,les budgets sont détournés et le pays se trouve actuellement dans un état de délabrement total.Les juges sont normalement les garants de la démocratie et des libertés,mais après un oubli total de la politique salariale dépuis plus de vingt ans,puisque tout le monde se plaisait dans dans un système qui a volé en éclat.Les juges doivent accepter une révalorisation de leurs salaires ,sans forcément tout avoir tout d’un coup pour le Mali.Le gouvernement se doit d’ouvrir un dialogue ,le plus rapidement possible,pour satisfaire une partie des problème, selon les moyens du pays.

  4. Souroukou et Malien on dirait que vous n’avez pas lu l’interview du minister.tiens toi il dit qu’il a signe avec son homologue du travail sur instruction du president et du minister du travail des engagements en faveur des magistrats et qui n’ont pas ete honores aujourd’hui.voila tout le probleme.Donc ce minister a fait quelque chose mon cher Souroukou.Seulement cette greve devoile un peu le manqué de serieux au sommet de l’etat.

  5. Souroukou on dirait que tu n’as pas lu l’interview du minister.tiens toi il dit qu’il a signe avec son homologue du travail sur instruction du president et du minister du travail des engagements en faveur des magistrats et qui n’ont pas ete honores aujourd’hui.voila tout le probleme.Donc ce minister a fait quelque chose mon cher Souroukou.Seulement cette greve devoile un peu le manqué de serieux au sommet de l’etat.

  6. Oui que les magistrats travaillent dans des conditions déplorables, mais force est de reconnaitre qu’ils sont les cadres les plus payés de la République aujourd’hui, en outre, quelle corporation peut se targuer d’être dans de bonnes conditions de travail? Nous restions certains que ce n’est aucune corporation dans ce Mali actuel, pour pouvoir souffler actuellement dans ce régime d’IBK, il faut au moins être directeur ou ministre c’est tout. Avec ça ceux qui mangent à la soupe autour d’IBK trouvent que tout est bon et qu’il doit encore rester au pouvoir, j’ai peur du lendemain de ce pays avec les mensonges qui le dirigent, nous allions inéluctablement vers la destruction totale. Comment peur-on s’unir dans le mensonge et le vol de la part des uns par les autres? Non, non, non l’union est impossible dans de pareils cas.

    • Sitting-Bull n’avait pas tord

      Ces Atlantistes font de la géométrie variable, ne se gènent pas pour clamer haut et fort que l’Europe est le plus grand espace économique devant tout le monde!

      Mais quand Greta Thunberg annonce qu’elle accuse 5 pays la France, la Turquie, le Brésil, l’Argentine et l’Allemagne.

      Ils se mettent à faire les grincheux et

      Là ils font les enfants gatés refusent d’admettre en rejettant la résponsabilité sur les autres
      “les Etats-Unis ou la Chine” se sont les plus gros pollu€urs ?”
      délaissant ainsi la taille de l’Europe pour dispatcher la responsabilité entre plusieurs petits états (qu’ils vont prétendre “souverains” !

      Ces Atlantistes detestent les asiat sauf quand il s’agit de profiter de leurs femmes

      Ces Atlantistes font les girouettes et de la géométrie variable comme toujours
      Sitting-Bull avait donc raison quand il disait « la parole du blanc est écrite sur l’eau »

  7. C’est maintenant que l’ancien ministre fait ce constat. Il fut ministre du même département et n’a pas signalé cela pendant qu’il y était.

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