Sane Chirfi Alpha, auteur du livre ”la vie de tous les jours à Tombouctou suivi de Doodo” : “J’ai écrit cet ouvrage pour dire au monde que Tombouctou continue à exister”

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Sane Chirfi
Sane Chirfi Alpha

Professeur d’enseignement secondaire en lettres modernes et actuel délégué territorial du Médiateur de la République à Tombouctou, Sane Chirfi Alpha, fils de la ville des 333 Saints, vient de publier chez Innov Editions ” La vie de tous les jours à Tombouctou suivi de Doodo “, un ouvrage qui revèle au monde la culture historique et contemporaine de la mystérieuse ville du Mali, à travers les faits réels. La rédaction d’Aujourd’hui-Mali s’est entretenue avec l’auteur autour de son livre.

Aujourd’hui-Mali : Pouvez-vous nous présenter votre nouveau livre ” La vie de tous les jours à Bamako suivi Doodo ” ? 

Sane Chérif : Le livre “La vie de tous les jours à Tombouctou” est, comme son titre l’indique, un ensemble d’histoires, d’anecdotes, de faits et gestes au quotidien, des histoires vécues ou entendues de personnes dignes de foi. C’est aussi l’histoire de Tombouctou, sa culture, ses us et coutumes, tout ce qui fait la spécificité de cette ville des 333 saints, cette cité mystérieuse. J’y évoque des faits pour contribuer à rétablir la vérité historique, je mets l’éclairage sur des mythes et des légendes souvent déformés, ce qui n’est pas courant. J’y livre, à travers de la prose poétique, l’histoire de la fondation de la ville, son évolution, mais aussi les corporations et leurs rites, chants et danses, leurs pratiques.

Une présentation historico-culturelle de la ville précède une série d’anecdotes, d’histoires de personnes bien réelles qui, à travers un esprit exceptionnel, jouent des tours à leurs semblables et mettent du sel à la vie. Il y a certainement des enseignements à tirer, des exemples à méditer. Le lecteur y a ensuite droit à un poème Doodo qui est un répertoire des chants et danses des corporations de bouchers, de maçons, de mineurs.

La dernière partie est un poème dédié à une sœur que j’ai perdu trop tôt, c’est un hymne à la fraternité, une plongée dans le royaume d’enfance, un poème du souvenir, mais aussi de la fraternité, un poème de tous les frères à toutes les sœurs.

Votre livre touche plusieurs réalités du quotidien tombouctien. Est-ce une manière pour vous de faire découvrir la ville des 333 saints au monde curieux ?

Effectivement, le livre aborde plusieurs réalités du quotidien de Tombouctien et ce n’est pas fortuit. Il faut dire que le mythe de Tombouctou demeure et de par le monde plusieurs personnes continuent à douter de l’existence réelle de la ville.

Pour certains, Tombouctou est une ville qui a disparu. Aussi, en abordant le quotidien de Tombouctou, c’est une façon de dire à tous ceux-là qui sont habités par la curiosité ou le doute que Tombouctou continue à exister, à être convoitée et à vivre. Je crois en ce demi-tour et j’invite tous les autres à y croire.

Avec l’occupation, les mausolées de saints de Tombouctou classés au patrimoine mondial ont été détruits, la communauté internationale s’est mobilisée et à travers l’Unesco les mausolées ont été reconstruits. Les manuscrits de Tombouctou se trouvent au centre d’intérêt, sous les feux de l’actualité et de l’attention de milliers de chercheurs à travers le monde. Les différentes réalités que j’aborde, c’est bien une source, assez modeste, à laquelle j’invite à boire car comme le dit Sidi Yahia Al Andalousie, le saint patron de Tombouctou : “Souviens- toi car le souvenir est plein d’enseignement. Dans ses replis il y a de quoi désaltérer l’élite de ceux qui viennent boire”.

D’où vous sont venues la motivation et l’inspiration d’écrire ce livre ?

En fait d’inspiration, il faut dire que j’écris au gré de l’inspiration, une inspiration fondée sur une atmosphère familiale favorable. La famille Lemtouni dont je suis originaire, ce sont les Sanhadja, famille d’Ahmed Baba Al Soudani qui s’installa au nord de Tombouctou au 15e siècle et c’est suite à cela que l’endroit prit le nom de Sankoré qui veut dire, dans la langue locale, le quartier des maîtres blancs. Cette famille d’intellectuels était au centre des activités culturelles et cultuelles au moment de la splendeur de l’université de Sankoré qui, au 16e siècle, totalisait 25 000 étudiants pour une population de 100 000 habitants. Ahmed Baba, il faut le rappeler, a organisé la résistance intellectuelle lors de la conquête marocaine en 1591. Il a été déporté au Maroc où il a passé 14 années d’exil. J’ai grandi dans une atmosphère familiale de livres. Quant à la motivation, elle relève de cette volonté de contribuer à faire connaitre cette culture exceptionnelle, cette histoire extraordinaire. J’ai surtout aussi été motivé par une peur, celle de voir disparaitre certains pans de ce patrimoine en ne les fixant pas par écrit.

Tombouctou n’est pas la seule ville évoquée dans le livre, vous avez parlé aussi de la ville des balanzans…

Effectivement, au fil de l’histoire, d’autres villes sont évoquées dont la ville des 4444 balanzans, mais aussi la ville de Diré, la ville de Macina, parce que comme notifié dans l’introduction, ce sont des histoires souvent communes à plusieurs villes. En fait, nous avons des bases culturelles communes et de fortes imbrications et pour cette raison, même si le livre a comme titre “La vie de tous les jours à Tombouctou”, au-delà de la ville mythique de Tombouctou, il y a le cercle de Tombouctou et la région. Une culture forte, une histoire grande sont faites de contributions diverses. Ahmed Baba Aboul Abbas qui a été nommé cadi supérieur de la ville après la conquête coloniale est née d’une femme peule du Macina.

Vous évoquez des faits historiques mais aussi récents, notamment l’occupation de Tombouctou et le Drame de Konna, pourquoi ?

C’est parce que l’histoire ne s’arrête pas. Un moment historique dont on a eu le privilège d’être témoin, il faut l’évoquer, par devoir, par obligation. Konna est liée à notre histoire et de façon non souhaitée, à l’occupation djihadiste. Au début de l’ouvrage, je disais que ces histoires, faits et autres, peuvent se passer dans n’importe quel endroit du monde.

Vous avez raconté une anecdote de Guidjio Almamy, un message à faire passer ?

L’anecdote à propos d’Almamy Guidio relève d’un témoignage. Il vise surtout à magnifier nos guides spirituels qui sont nos éclaireurs et que nous devons connaitre. Il y a des comportements qui payent, une vie consacrée à l’adoration se solde toujours par la sagesse et nous devons tirer grand enseignement du comportement de nos illustres hommes de foi. Le monde est source d’énigmes et nous devons tirer parti de témoignages fiables pour être bien guidés.

Votre ouvrage se boucle par un poème intitulé Doodo. Pouvez-vous nous en parler ?

Doodo qui boucle la première édition du livre est tout un symbole. Le doodo, c’est le bouffon principal des chants des nuits blanches du mois de Ramadan et par-delà ces chants, nous avons élargi la notion à tous les chants et danses de Tombouctou, notamment les danses des corporations (le Barbarba des bouchers, le hala des cultivateurs, le Dimba des maçons,  le Diaba des paysans, le Belleïdjé, le Djindjé).  Au cours des nuits blanches du mois de Ramadan, les jeunes gens et les jeunes filles, avec des instruments improvisés, font du porte à porte pour souhaiter la bonne année, exprimer des vœux de santé, bonheur, prospérité et bénéficier de générosité.

Le Doodo évoque le chant des circoncis, les chansons amoureuses, les airs pour louer la bravoure, le courage ou fustiger tout comportement préjudiciable à la société. Le chant est expression, exorcisme, il est révélateur de l’état d’une société donnée, aussi il peut donner la mesure de l’évolution.

 Réalisé par Youssouf Koné

 

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