Désinformation et loi : Entre nécessité sécuritaire et dérives liberticides en Afrique de l’Ouest
Face à la prolifération des fausses informations sur les réseaux sociaux, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont adopté des lois pour encadrer la communication numérique. Mais dans la pratique, ces textes soulèvent des inquiétudes quant à leur usage contre la liberté d’expression.

Dakar, Bamako, Cotonou ou Ouagadougou. Partout, la lutte contre la désinformation est devenue une priorité. Le déferlement d’informations non vérifiées, amplifiées par les réseaux sociaux, peut semer la panique, nuire à la cohésion sociale, ou compromettre des opérations sécuritaires. Pour y faire face, les gouvernements ont réagi avec un outil de plus en plus courant : la loi.
Au Bénin, le Code du numérique (2018) sanctionne toute publication de fausses nouvelles « de nature à troubler l’ordre public ». Une disposition similaire existe au Sénégal, où le Code pénal prévoit des peines de prison pour les auteurs de fausses nouvelles. Au Mali et au Burkina Faso, le contexte sécuritaire a accéléré l’adoption de lois réprimant sévèrement les publications jugées nuisibles à la stabilité nationale.
« La désinformation n’est pas seulement un problème de vérité, mais aussi de sécurité », explique un haut fonctionnaire malien, sous couvert d’anonymat. « Il est crucial de contrôler ce qui circule, surtout en temps de guerre. »
Au Sénégal, il existe un arsenal qui comprend la loi n° 2016-29 du 08 novembre 2016 sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, le code pénal modifié par la loi n°2021-35 relative à la répression de la cybercriminalité.
Pour le Mali, le secteur est régulé par la loi n°2019-056 du 5 décembre 2019 relative à la cybercriminalité et le projet de loi sur la désinformation en discussion depuis 2023 (non encore adopté à la date limite de mes données en 2024).
Pour ce qui concerne le Bénin, il existe une loi unique, le Code du numérique (Loi n°2017-20 du 20 avril 2018), pendant qu’au Burkina-Faso, la loi n°010-2021/AN du 10 mai 2021 portant répression de la cybercriminalité et les modifications du Code pénal pour lutter contre la désinformation en période de crise sécuritaire font autorité.
« Ces lois ont pour objectifs de lutter contre la fraude informatique, l’usurpation d’identité, l’escroquerie en ligne, la diffusion de fausses nouvelles et les atteintes à la vie privée via internet. Elles permettent, dans certains pays cités, de réprimer les crimes liés aux technologies de l’information (TIC), notamment les fraudes, l’usurpation, l’incitation à la haine en ligne », souligne Ousmane Bamba spécialiste en cybersécurité.
Ousmane Ba, agent du think-thank whati met un bémol à la lutte contre la cybercriminalité par la législation. « La lutte contre la désinformation est une exigence légitime dans nos sociétés numériques. Mais lorsqu’elle s’effectue au détriment des libertés fondamentales, elle devient une autre forme de dérive. Entre la peur du chaos informationnel et le risque d’autoritarisme numérique, l’Afrique de l’Ouest doit inventer une voie médiane : celle d’un droit qui protège sans censurer, qui régule sans opprimer », dit-il.
Dans la plupart des lois, l’un des principaux problèmes reste la définition floue de ce qu’est une fausse information. Qui décide qu’une information est fausse ? Sur quelle base ? Et quelle marge d’erreur est tolérable dans un contexte où l’information évolue rapidement ?
« On confond souvent la désinformation intentionnelle avec l’erreur de jugement ou même l’opinion divergente », estime Agapite Manforikan, journaliste Togolais, pour qui « dans un État de droit, c’est à la justice indépendante de trancher, pas au pouvoir exécutif. »
Des experts en cybersécurité appellent à des textes plus clairs, mieux encadrés et assortis de garanties judiciaires solides. D’autres préconisent une réponse plus éducative et citoyenne : développer l’esprit critique à travers l’éducation aux médias, renforcer la transparence de l’information publique, et promouvoir la vérification participative des faits.
Pour Bandiougou Danté, président de la Maison de la presse du Mali, Le Mali a adopté des lois spécifiques. Maintenant, nous constatons qu'il y a une certaine mauvaise compréhension de cette loi sur la cybercriminalité. C'est vrai que c'est une loi aux contours flous qui est extrêmement compliquée. Mais quand c'est utilisé de manière parfois orientée pour empêcher même les professionnels de l'information de faire leur travail, alors au lieu que la loi représente une force, ça devient vraiment une faiblesse.
Aminata Yattara
Cet article a été publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains- JDH Mali
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