Professeur de Marketing à l'université, Directeur d'une entreprise, Aboubacar Touré est le président du club des supporters du Djoliba AC, membre du Bureau exécutif et représentant du club à la Ligue de football du District. Dans cette interview exclusive qu'il a bien voulu nous accorder, M. Touré accuse, à demi-mot, les pratiques de certains membres du club qui ont largement contribué, ces deux dernières années, à la descente aux enfers de Rouges. Il menace, d'ailleurs, de les dénoncer très prochainement.
Le Quotidien des Sports : Malgré qu'il soit mieux loti que plusieurs clubs de la capitale, le Djoliba est en panne de résultats ces deux dernières années. Qu'est-ce qui explique cette contre-performance?
Aboubacar Touré : Je vous remercie pour l'intérêt que vous accordez au football malien, en général et au Djoliba, en particulier. Je suis arrivé à la tête de ce club à la mi-saison. Il y a des gens qui m'ont approché dans ce sens et j'ai accepté. Notre mauvaise performance, ces deux dernières années, s'explique à plusieurs niveaux. Comme dans tout club de première division, il y a toujours des problèmes. Mais il faut savoir les gérer.
Si l'année dernière nous n'avons pas eu de titre, c'est parce que nous n'avons pas eu une stabilité au niveau de l'encadrement technique.
Vous avez constaté ces derniers temps que nous changeons d'entraîneurs constamment. Certains se plaisaient à dire que chaque mois, on change d'entraîneur. Cela est dû aussi au comportement de certains supporters.
Les gens ont toujours accusé le président d'être à la base du départ des entraîneurs.
Pour être franc, les quatre derniers entraîneurs qui ont quitté le Djoliba AC ont été chassés par les supporters. Et c’est sur l'initiative de ces mêmes supporters qu'ils sont arrivés.
Si l'on prend l'exemple de Aly Ouattara, il a remporté le titre de champion quatre années consécutives. C'est à la suite de la pression des supporters qu'il est parti. C'est Hans qui l'a remplacé. Il n'a pas fait "de bons résultats" à cause de l'atmosphère délétère qui régnait autour de lui.
Ce sont des actes qui étaient programmés. Personne ne peut dire que Hans était un mauvais entraîneur. Personne ne peut dire aussi qu'au Djoliba il y avait des problèmes internes. L'entraîneur était payé régulièrement, les supporteurs venaient régulièrement au terrain.
Ce sont des problèmes externes au club qui nous ont empêché de devenir champions l'année dernière.
LQDS : Des problèmes externes au Djoliba…
AT : Je vais être très franc sur ce qui se passe au Mali. Dans le football malien.
Après que Aly Ouattara eut remporté le championnat quatre fois de suite et après son départ, il y a des gens qui se sont organisés au Mali pou dire que trop c'est trop. Il ne faut pas que le Djoliba continue à être seul champion au Mali. Il faut qu'on fasse tout pour que la tendance soit renversée. On a vu, dans la pratique, le comportement de certains arbitres sous la pression financière de certains dirigeants.
Le Mali est devenu comme l'Italie. C'est l'argent qui règle tout. C'est regrettable. Nous en avons les preuves et le jour venu, nous déballeront tout au grand jour. Des dirigeants qui paient des arbitres pour favoriser certains clubs ou pour démoraliser des joueurs et les encourager à ne pas jouer. C'est tout cela qui se passe dans notre football actuellement. En somme, une mafia qui ne dit pas son nom.
C'est pourquoi lorsque nos clubs jouent dans les compétitions internationales, ils n'avancent pas. La raison en est simple : les arbitres qui viennent ici n'ont pas besoin de notre argent, ils en ont suffisamment et ne peuvent pas être corrompus. Tant que notre football continue sur cette lancée, nous n'aurons jamais de bons résultats.
Au Djoliba, nous avons aussi des problèmes d'ordre organisationnel au niveau des supporters et des dirigeants.
Les supporters du Djoliba ne font pas la différence entre le président du Comité central des supporteurs et le président du Djoliba. Je voulais convoquer une rencontre pour expliquer cela aux uns et aux autres. Je n'ai pas de pouvoir décisionnel dans ce club. Je suis élu pour l'organisation des supporters et leur sensibilisation afin qu'ils puissent s'intéresser davantage à leur club.
Mais au Mali, dans tous les clubs, les gens font cette confusion. Quand je suis venu, dans mon entendement, ma tâche était d'organiser les supporteurs. Malheureusement, je suis venu trouver des pratiques me poussant à m'immiscer dans la résolution des problèmes qui ne relèvent pas de ma compétence. J'ai dis que ce n'est pas de cette manière que je comprends ma mission.
Je voulais organiser une rencontre avec l'un de nos anciens pour qu'il explique à nos supporteurs qu'est-ce qu'ils doivent et ne doivent pas faire lors d'un match.
De plus, j'avais en vue de mettre en place une stratégie marketing pour que nous puissions gagner de l'argent afin de subvenir à nos besoins internes. J'ai remarqué qu'il y avait d'énormes problèmes internes.
Au lieu de m'occuper de mes supporters, je me suis attelé à aider la Section football du club.
LQDS : Que faisiez -vous alors ?
AT : J'étais impliqué directement dans la gestion du club. Je faisais l'intermédiaire pour les footballeurs. A mon avis, cela vient au second plan. Quand les supporters sont organisés, ils peuvent porter le club en avant. Le rôle de la Section football doit être d’élaborer un plan de travail pour elle. Si elle a besoin de nous, elle nous fera appel.
LQDS : Le problème organisationnel n'est-il pas la véritable plaie du Djoliba?
AT : Effectivement. Il y a un véritable problème organisationnel. Il y a chevauchement dans les différents rôles des uns et des autres. Les places ne sont pas bien définies. C'est un sentiment personnel. Le président Karounga Kéïta a créé la Section football dans le but d'alléger ses tâches.
Il l'a confiée à un élément de son staff en la personne de Diarra, qui fait de son mieux pour l'avancement de l'équipe. Autour de lui, par contre, il y a des gens qui ne l'aident pas correctement, notamment son adjoint, Modibo Niangado. Normalement, ils doivent travailler ensemble pour faire avancer le football. J'ai constaté au cours de cette année que ce n’était pas le cas.
LQDS : Un manque de cohésion ou…
AT : …Quelque part, il y des gens qui ne savent pas ce qu'ils doivent faire et confondent vitesse et précipitation. Ils se mêlent de ce qui ne les concernent pas. Chez les supporters, tout n'est pas rose. J'ai remarqué qu'au cours de l'année, certains se sont désintéressés de nos activités.
C'est peut-être parce qu'ils occupaient des places qu'ils n'occupent plus…C'est décourageant. Nous avons appris dans les coulisses des pratiques que, au jour venu, je dénoncerai. Je ne tairai même pas les noms.
Des gens ont beaucoup fait pour que le Djoliba ne soit pas champion et ne gagne pas la Coupe du Mali. Nous avons nos propres personnes ressources qui le font. Nous allons les démasquer, car j'ai des preuves palpables, j'ai entendu des choses, j'ai vu des choses et j'ai des témoins. Nous ne pouvons pas admettre cela au sein de notre club.
Le Djoliba ne connaissait pas cela. Ce n'est pas parce qu'on n'est plus aux commandes d'un tel ou tel poste que le Djoliba doit mourir. Ce n'est pas parce que Alpha Oumar Konaré n'est plus au pouvoir qu'il ne doit pas aider ATT en le conseillant de temps en temps. Si cela se passait dans les familles, elles disparaîtraient à la mort du chef.
J'invite ceux-là à revenir à de meilleurs sentiments s'ils aiment ce club. Je crois qu'on y adhère parce qu'on aime ses couleurs dans le plus profond de soi-même et non pour des intérêts personnels. J'Y suis et je ne gagne aucun centime. C'est plutôt moi qui investi. Cet argent peut servir à mes pauvres parents. Si je le donne au Djoliba, c'est à cause de l'amour que je dois lui montrer. Si chacun de nous faisait de même, nous n'allions pas connaître la situation actuelle que nous vivons.
LQDS : Certaines personnes pensent que le Djoliba a été géré plus politiquement que sportivement…
AT : Personnellement, je n'ai pas eu l'impression que la politique s'est introduite dans la gestion interne du Djoliba. Même les gens dont je fais allusion ici ne sont pas des politiciens. Ce sont des mécontents de leur position au sein du club qui se livrent à ces pratiques.
LQDS : Que préconisez-vous donc pour que la saison prochaine soit plus fructueuse pour le Djoliba?
AT : Il faut d'abord qu'on bannisse l'exclusion. Mais si nous devons le faire, nous le ferons. Si c'est cette action qui nous amènera aux bons résultats, il faudra sévir. Nous sommes une famille au Djoliba et nous voulons travailler ensemble. S'il est avéré qu'il y a des éléments perturbateurs, ils seront écartés.
Ensuite, il faut que le Direction du club pense rapidement à prendre en main l'encadrement technique qu'il faut renforcer. Il faut définir l'effectif avec lequel le Djoliba doit travailler l'année prochaine pour que, dès maintenant, nous préparions la saison. Il faut surtout faire un recrutement judicieux, selon les besoins du club. Ce n'est pas la peine d'acheter un joueur, même s'il est bon, alors qu'il a sa doublure dans le club. Nous avons les moyens d'acheter les bons joueurs dont nous avons besoin et nous le ferons, Incha'Allah.
LQDS : Qu'est-ce qui s'est exactement passé avec votre dernier entraîneur que vous avez limogé?
AT : C'est un entraîneur qu'on devait renvoyer trois mois après sa prise de fonction. Il n'a pas fait de bons résultats.
Tout le monde le sait. Depuis son départ, le Djoliba a joué treize matches et a gagné dix fois contre trois matches nul. Avec lui, nous avons perdu des matches qu'on ne devait pas perdre et nous avons fait des nul que nous pourrions éviter. Pire, il s'est livré à des transferts des joueurs.
Ce n'est pas pour ce travail qu'on l'a recruté. Il était là pour nous amener des résultats sur le terrain.
Entretien réalisé par Paul Mben