BCID-AES : promesse de souveraineté ou mirage monétaire sahélien ?
Le 23 mai 2025 à Bamako, les ministres des Finances et de l’Économie du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont officialisé la création de la Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID-AES). L’annonce est majeure malgré les innombrables embûches

La Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID-AES), bras financier de l’Alliance des États du Sahel (AES), sera dotée d’un capital de 500 milliards de francs CFA à mobiliser d’ici à septembre 2025. Elle devra financer des projets d’envergure dans des secteurs vitaux comme l’énergie, l’agriculture, les infrastructures et les télécommunications, avec une promesse claire : bâtir une souveraineté économique dégagée de l’influence des bailleurs de fonds traditionnels.
L’initiative arrive à un moment où les trois États membres (Mali, Burkina Faso, Mali) cherchent à se redéployer sur le plan régional et international, après l’officialisation de leur retrait fracassant de la CEDEAO en janvier 2025.
Pourtant, ils restent à ce jour membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et donc rattachés au franc CFA. Une monnaie dont ils contestent la légitimité, mais qu’ils continuent d’utiliser, faute d’alternative immédiatement opérationnelle. Ce paradoxe soulève une série de contradictions. Peut-on bâtir une banque de développement régionale souveraine tout en continuant à dépendre d’une monnaie arrimée à l’euro, émise sous la supervision du Trésor français ?
L’avènement de l’éco, prévu pour 2027 dans le cadre de la relance du projet de monnaie unique de la CEDEAO, pourrait rebattre les cartes. Si ce calendrier est maintenu, le franc CFA disparaîtra, entraînant dans son sillage la fin de l’UEMOA, dont la seule raison d’être est justement la gestion de cette monnaie.
Les États de l’AES devront alors faire un choix fondamental : soit réintégrer une architecture monétaire ouest-africaine élargie, soit créer leur propre monnaie. Or, à ce jour, aucun cadre légal ni institutionnel pour une future monnaie AES n’a été présenté. Dans ces conditions, la BCID-AES apparaît comme une structure sans socle monétaire propre, un édifice institutionnel ambitieux mais bancal.
Prisonnière de ses contradictions
Ce flou est accentué par l’opacité entourant les modalités de fonctionnement de la banque. Aucune information détaillée sur la répartition des parts, les règles de gouvernance, les garanties de transparence ou les mécanismes de décaissement n’a été rendue publique. On ignore également si la banque travaillera en franc CFA dans un premier temps, ou si elle adoptera un système multidevise en attendant la création d’une monnaie AES. Cette absence de clarté n’est pas anodine. Elle compromet la crédibilité de l’institution avant même son opérationnalisation.
Une autre inconnue pèse sur l’articulation entre la BCID-AES et les institutions financières régionales existantes, telles que la BOAD ou la BIDC. Si l’objectif est de contourner ces dernières, encore faut-il prouver que la BCID est en mesure de proposer une alternative efficace, agile et mieux gouvernée. Sans cela, elle risque de reproduire les lenteurs, les opacités et les lourdeurs bureaucratiques qu’elle prétend dépasser.
À cela s’ajoute un autre enjeu de taille à savoir celui de la cohésion régionale. À mesure que l’espace CEDEAO se fragmente, la question se pose de savoir si la BCID-AES peut réellement fonctionner comme un instrument d’intégration, ou si elle n’incarnera qu’un repli souverainiste difficilement viable sur le plan financier.
Le symbole est fort, la volonté politique réelle, mais les moyens institutionnels encore incertains. Sans réforme monétaire, sans clarté stratégique sur l’avenir de l’UEMOA et sans articulation avec les dynamiques de l’éco, la BCID-AES risque d’être prisonnière de ses contradictions.
Entre affirmation d’une souveraineté économique retrouvée et gestion d’une transition monétaire explosive, l’AES joue gros. La réussite de la BCID ne dépendra pas seulement du montant de son capital, mais de la capacité des États à concevoir un cadre cohérent, crédible et techniquement solide. Faute de quoi, l’ambition pourrait se fracasser sur les réalités d’un espace sahélien encore en pleine recomposition.
Cheick B. CISSE
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