Effet de mode ou volonté manifeste ? En tout cas, les ministères de la république rivalisent, depuis une semaine, de budget programme étalé sur trois ans, c’est-à-dire jusqu’en 2009. Lesdits départements ministériels ont-ils l’aval des parlementaires pour ce faire ? Car, en théorie, ce sont les députés qui exercent leur contrôle parlementaire sur le gouvernement à travers l’exécution annuelle du Budget national par ce dernier. Mais en pratique, ce pouvoir politique est doublement limité par les contraintes d’ordre technique et le manque de ressources humaines de qualité dont dispose l’Assemblée nationale. Ceci explique-t-il l’absence d’initiative des députés pour proposer du nouveau ou apporter, par le biais des amendements, des correctifs au projet de loi des finances que le gouvernement élabore annuellement sous la conduite du ministère de l’Economie et des finances ? La révision du mode de présentation voulant que chaque chapitre soit défendu par le ministère dépensier permettra-t-elle aux honorables députés d’avoir une plus grande lisibilité du Budget national en amont pour en faciliter le contrôle de l’exécution en aval ?
C’est l’article 70 avant-dernier alinéa de la Constitution de 1992 qui traite spécifiquement de la compétence de l’Assemblée nationale en matière de vote de la loi des finances ou du Budget de l’Etat. Mais c’est la loi n°96-060 du 4 novembre 1996 ayant pris effet en 1998, en remplacement de l’ordonnance 46 bis du 16 novembre 1960 jusqu’alors en vigueur, qui définit le Budget de l’Etat comme la procédure légale par laquelle l’on prévoit et autorise, en la forme législative, les charges variées et les ressources multiformes de l’Etat dont les champs sont délimités par ladite loi. Celle-ci disposant, en effet, qu’aucune ressource n’est encaissée ni aucune dépense engagée ou ordonnée par quelque ministère ou administration que ce soit sans avoir été autorisée par cette forme légale, c’est-à-dire par le quitus préalable des députés. Ce qui revient à dire que le Budget de l’Etat est, d’abord et avant tout, une affaire de pouvoir parlementaire reconnu et consigné dans la loi fondamentale.
Equilibre réel
Le second pouvoir de contrôle, selon les mêmes dispositions légales découlant de la loi suscitée, c’est l’obligation faite au gouvernement de présenter à l’Assemblée nationale les comptes du Budget d’Etat en "équilibre réel". Il en est de même concernant les comptes spéciaux du trésor : les comptes de commerce, les comptes d’affectation spéciale et le fonds de réserve du budget général. Il s’agit pour les députés, par ce mécanisme, de vérifier en fait la correspondance des dépenses réellement effectuées avec les recettes concrètement générées pour en déterminer à la fois le déficit global comme sectoriel, mais aussi l’impact visible sur les conditions de vie et de travail des populations au profit desquelles tout le monde (législatif et exécutif) est censé agir. Qui a fait quoi ? Pourquoi ? Pour qui ? Où ? Quand ? Et comment ? C’est d’ailleurs le fil conducteur des conditionnalités posées par les PTF (partenaires techniques et financiers) pour transformer leur assistance en aide budgétaire directe à travers le programme transversal que constitue le CSLP (cadre stratégique de lutte contre la pauvreté) : il faut rendre des comptes aux citoyens du Mali et des pays donateurs. Est-ce à dire que les députés, sous la pression des PTF, ne vont plus se contenter de DPG (déclaration de politique générale) pour exiger du Premier ministre un véritable programme de gouvernement dont le bilan est quantifiable en terme de réalisations faites ou non suivant un chronogramme défini à l’avance ?
Principe d’immuabilité
Même en l’état actuel des choses, la marge de manœuvre du gouvernement est réduite à cause de "l’immuabilité" du Budget de l’Etat déjà voté par l’Assemblée nationale. En effet, le gouvernement est obligé d’exécuter ledit budget tel que voté par les députés, les crédits supplémentaires étant couverts par une nouvelle loi qui requiert nécessairement l’aval de l’Assemblée nationale. D’autre part, en aval, le gouvernement est tenu de soumettre à l’approbation des députés un projet de loi portant "règlement définitif" du budget dont le processus de contrôle technique est bouclé par le visa juridique de la section des comptes de la Cour suprême. Le Mali ne disposant pas de Cour des comptes comme l’exigent les textes de l’OHADA en vigeur dans l’espace UEMOA dont le traité engage notre pays après sa ratification depuis belle lurette par notre Assemblée nationale. Seule une révision constitutionnelle pourra résoudre cette question de droit supranational à l’échelle régionale. En attendant, la réalité est que les budgets s’entassent les uns sur les autres sans être "définitivement réglés", conformément à la loi des finances exécutée sur toute la ligne. Pourquoi est-ce que, pendant toutes ces années, les députés gardent-ils un mutisme complice sur cette violation flagrante de la loi des finances par l’exécutif sur lequel ils refusent d’exercer leur pouvoir de contrôle ?
Déficit technique et humain
La première explication, c’est que l’Assemblée nationale n’est pas bien outillée techniquement ni mieux dotée en ressources humaines. A propos de celles-ci, il ne s’agit pas d’instruction ni de diplôme, mais de bons sens qui est la chose la mieux partagée au monde, comme l’a dit le philosophe. N’est-ce c’est le cas de certains honorables députés qui parviennent à tirer leur épingle du jeu parlementaire à la lumière de pertinentes questions adressées aux ministres de la république pour faire avancer le débat démocratique et l’Etat de droit dans notre pays ? En effet, le mécanisme est huilé de telle sorte que c’est le gouvernement qui a les moyens matériels et humains (spécialistes en tous genres et dans tous les domaines) de son catalogue de programmes sous la forme d’un projet de loi des finances. Le ministère de l’Economie et des finances étant la cheville ouvrière du système d’élaboration du Budget d’Etat que les députés adopte à la faveur de la session d’octobre de chaque rentrée parlementaire.
Le second facteur qui bloque l’Assemblée nationale dans son rôle de contrôle rigoureux de l’exécutif gouvernemental, c’est sans aucun doute le recours constant et régulier à la majorité mécanique ou au consensus mou ayant pour effet de placer l’auguste institution dans le rôle d’une caisse de résonance et la posture de simple postier ou boîte à lettres pour les projets de loi qui finissent toujours par être votés à la "majorité absolue" des députés présents ! Tous les partis fuyant l’opposition parlementaire au sens noble du terme, c’est-à-dire la critique constructive et le refus de la compromission quelle que soit la forme que celle-ci prend.
Explosion budgétaire
La conséquence la plus logique et la plus visible, c’est le dépassement budgétaire que l’on constate d’année en année. Du moins, l’on remarque que le volume global du Budget d’Etat explose de façon exponentielle alors que les "ressources nouvelles" se font plus que rares. D’autre part, ceci expliquant peut-être cela, certaines poches de dépenses sont multipliées par 3 ou 4 d’une année à une autre. C’est le cas notamment de la présidence de la république dont le budget a pris l’ascenseur avec toutes sortes de prétextes, en comparaison avec celui de la Primature ou de l’Assemblée nationale elle-même. Soit c’est des chapitres de dépenses qui font doublon par un système de jeu de mots, soit c’est des structures qui sont rattachées “improprement ” à Koulouba pour les besoins de marketing politique.
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD