Le vol de bétail, un fléau au Sahel

Source de revenus pour les groupes armés, le vol de bétail empoisonne la vie des populations. La prise de conscience tarde à venir tandis que ce fléau peut être combattu par les États.

8 Août 2025 - 11:13
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Le vol de bétail, un fléau au Sahel

Le constat n’est guère réjouissant mais l’alerte mérite d’être relayée. Elle émane d’un rapport de Flore Berger, analyste chez Global Initiative (Initiative globale contre le crime organisé). Son rapport pointe l’importance des vols de bétail et leur utilisation par les groupes extrémistes, dans la région des trois frontières entre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Zone à laquelle on peut ajouter l’extrême nord du Bénin et du Togo. Le rapport, constitué en grande partie d’études différentes, aux résultats croisés, détaille avec minutie les acteurs et la géographie de ce phénomène qui empoisonne la vie des populations. Il sera suivi d’un autre rapport plus spécifique à d’autres zones du Sahel.

Certains pays ont fermé les marchés aux bestiaux, courroie de transmission du blanchiment d’argent. Le rapport suggère de les maintenir ouverts, en renforçant leur contrôle.

Ici, deux groupes extrémistes violents ont étendu leurs opérations ; ils disposent de chaînes d’approvisionnement « complexes » qui leur fournissent des ressources, à la faveur des flux entre les États côtiers et sahéliens. « Si le Mali et le Burkina Faso constituent l’épicentre du conflit et du vol de bétail, l’écosystème transcende les frontières, les États côtiers étant des plaques tournantes essentielles pour le blanchiment du bétail volé », lit-on dans le rapport. Dans la région du sud-ouest du Burkina Faso, « le pillage du bétail est étroitement lié à la dynamique du conflit, toutes les parties utilisant le vol de bétail comme un outil économique et un moyen de coercition ».

Ces défis se sont étendus à la région de Bounkani en Côte d’Ivoire, qui a connu des violences, des vols de bétail et des tensions communautaires en raison de la présence d’acteurs armés burkinabés opérant sur le territoire ivoirien. Quelques zones du Ghana sont également touchées ; elles sont devenues des zones de plus en plus importantes pour la vente de bétail volé par des acteurs du conflit au Burkina Faso, les recettes étant acheminées vers le nord. « Dans toutes les régions, le marché du vol de bétail est étroitement lié aux conflits, à la violence et aux intérêts économiques », décrypte Flore Berger.

Corrélation entre vols et troubles sécuritaires

Le vol de bétail non seulement alimente la violence, mais porte également préjudice aux communautés du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Le phénomène sape la résilience économique, car les éleveurs peuvent perdre tout leur moyen de subsistance en un seul incident. Il érode également la confiance entre les communautés et les autorités étatiques, souvent perçues comme inefficaces dans la lutte contre les vols, ce qui aggrave la fragmentation sociale et les tensions communautaires.

Un bouvier à Niamoué, en Côte d'Ivoire. Ces jeunes éleveurs sont particulièrement vulnérables à l'exploitation par le groupe terroriste JNIM (photo : AFL/EAI).

Le rapport conclut que la dynamique des vols de bétail suit de près la dynamique sécuritaire, avec une augmentation des pillages pendant les périodes de conflit armé intense et une baisse relative lorsque les lignes de front se stabilisent. Dans le commerce du bétail volé dans la zone frontalière, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont les principales plaques tournantes du blanchiment du bétail volé au Burkina Faso et au-delà.

Depuis 2023, le Ghana est devenu la plus grande zone de blanchiment en volume pour le bétail volé au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Le transport transfrontalier du bétail rend difficile la traçabilité et constitue donc une stratégie privilégiée par les trafiquants.

Attention, prévient l’autrice : les groupes armés ne sont que les premiers acteurs de la chaîne d’approvisionnement qui permet le blanchiment et la vente des animaux volés. Les acteurs en aval, tels que les intermédiaires et les gros acheteurs, réalisent les profits les plus importants, en particulier au stade du blanchiment.

Le rapport identifie plusieurs lacunes et défis majeurs qui entravent la mise en place de mesures efficaces pour lutter contre le vol de bétail et ses implications plus larges en matière de sécurité. Il s’agit du manque de données, du rôle « facilitateur » des autorités, la faiblesse des initiatives communautaires. « Cependant, la zone des trois frontières n’est pas encore entièrement engloutie par le conflit, ce qui signifie qu’il est encore possible d’agir et d’améliorer la situation », conclut le rapport, qui délivre quelques recommandations aux autorités de chaque pays.

La coopération est impérative

Ainsi recommande-t-il au Ghana, à la Côte d’Ivoire au Burkina Faso de « placer la protection des civils au cœur des initiatives de sécurité ». Les forces de sécurité doivent répondre aux perceptions d’inefficacité et de prédation de la population en protégeant efficacement les communautés. Il s’agit également de garantir la responsabilité des forces « légales » dans le vol de bétail, un point également dénoncé et décrypté par le rapport.

Les États sont en mesure de renforcer les initiatives de sécurité transfrontalières, sachant qu’ici, « un cadre de collaboration global est essentiel ». Les efforts actuels sont entravés par la porosité des frontières et les tensions diplomatiques, notamment entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, d’ailleurs exacerbées ces derniers jours.

Il s’agit aussi de lutter contre la corruption chez les fonctionnaires et de renforcer la synergie entre les acteurs. Plus généralement, les pays peuvent renforcer la réglementation et la surveillance de l’élevage, à la faveur, par exemple, d’une législation « plus claire », à l’enregistrement officiel des acteurs ou à des cartes d’identité professionnelles.

Le marché aux bestiaux de Doropo, l’un des centres officiels de commerce de bétail à Bounkani, en Côte d’Ivoire, est connu pour être une plaque tournante régionale du blanchiment de bétail (photo : AFL/EAI).

Certains pays ont fermé les marchés aux bestiaux, courroie de transmission du blanchiment d’argent. Le rapport suggère de les maintenir ouverts, en renforçant leur contrôle. « Ces marchés génèrent non seulement des emplois et des revenus, mais limitent également la vente d’animaux sur les marchés noirs et favorisent les interactions au sein des communautés. »

Enfin, le rapport s’achève sur une série de recommandations à l’égard des partenaires internationaux et des acteurs de la filière pastorale, essentiellement destinées à étendre la prise de conscience du phénomène.

 

@NA

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