P- S Handy: «En Afrique les populations demandent plus de démocratie mais l’offre reste très pauvre»

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Assiste-t-on à la fin des régimes démocratiques en Afrique de l’Ouest ? Comment expliquer cette succession de coups d’État, au Mali et en Guinée ? À cela s’ajoutent les cas du Tchad et du Soudan. Face à cette fragilisation des institutions, plusieurs pays entament des périodes de transition, aux durées parfois peu claires. La gestion de ces crises inquiète de nombreux observateurs. À l’image du chercheur Paul Simon Handy, qui dirige le bureau Afrique de l’Est de l’Institut d’études et de sécurité, à Addis-Abeba. Il s’entretient avec Bineta Diagne.

RFI : Le continent africain a connu au moins trois coups d’État cette année au Mali, en Guinée et au Tchad. Qu’est-ce qui explique le retour des militaires aux affaires politiques ?

Paul-Simon Handy : Il s’agit certainement d’une phase conjoncturelle. Si on met tout ceci dans le contexte du processus de construction de l’État qui est un processus très peu linéaire, toutes ces questions soulèvent le questionnement, de l’enracinement de la démocratie libérale. On voit en Afrique que les populations demandent plus de démocratie, mais que l’offre en termes de démocratie reste très pauvre, voire limitée, ce qui peut aussi constituer une des raisons de la contestation qu’on voit ci et là des gouvernements en place.

Quand on regarde de près ce qui se passe actuellement au Mali ou encore en Guinée, on se rend compte qu’on est face à des autorités de la transition qui finalement entretiennent le flou sur la durée de ces périodes spéciales. Comment peut-on expliquer qu’à la date d’aujourd’hui, on n’a pas vraiment d’idée concrète sur la durée de ces transitions-là ?

Tous les pays qui ont connu un coup d’État en 2021 sont des pays qui ont un passé de gouvernement ou de régime militaire : au Mali, au Tchad, au Soudan et en Guinée. Le problème ou non de la date de la fin de la transition tient du fait que les militaires, qui ont longtemps exercé le pouvoir, qui ont bénéficié de toute sorte de pouvoirs économiques, de retombées économiques de ces positions de pouvoir, ont du mal à lâcher. Puisque c’est eux qui détiennent les modes d’exercice de la force, donc on voit qu’ils ont une position de pouvoir qui fait que, pour qu’ils lâchent, il va falloir procéder à des compromis.

Oui. Mais alors, lorsqu’on observe par exemple le cas de la Guinée, on voit que les nouvelles autorités civiles et militaires veulent faire table rase et partir sur de bonnes bases : lutter contre la corruption, rationaliser le fonctionnement des administrations… Et tout cela prend énormément de temps. Est-ce que c’est vraiment le rôle de ces gouvernements de transition de porter des projets aussi lourds ? Est-ce que vous diriez que finalement ces organes de la transition sont un peu trop ambitieux ou simplement qu’ils sortent un peu de leur cadre de travail ?

Définitivement, ce n’est pas le rôle d’une junte militaire qui en plus s’avère être très mal préparée à l’exercice du pouvoir. Ce n’est certainement pas son rôle que de redéfinir les bases sur lesquelles l’État guinéen devrait se reposer. À mon avis, une transition militaire doit être faite pour remettre le pays sur les rails, organiser une sortie de la transition pour que des autorités légitimes puissent se mettre en place. Et c’est ces autorités légitimes qui, en fait, à mon avis, constitueront la vraie transition. Ce sera à elles d’organiser des sortes d’états généraux. Ce sera à ces nouvelles autorités, légitimes celles-là, parce que résultant d’un processus électoral acceptable, qui devront véritablement jeter les bases d’une nouvelle République. C’est ce qui, à mon avis, justifie la posture relativement jusqu’au-boutiste des organisations régionales qui disent qu’une transition doit durer six mois.

Est-ce qu’il y a des situations qui vous inquiètent en particulier et pour lesquelles on pourrait observer une remise en question de l’autorité de l’État dans les mois à venir ?

Déjà, les situations que nous avons évoquées. Le Mali et la Guinée m’inquiètent beaucoup. Le Mali parce qu’il est quand même l’épicentre d’une menace qui est celle de l’extrémisme violent, qui a tendance à se généraliser dans le Sahel. Le Tchad où on est certainement parti vers un possible recyclage d’un gouvernement par les militaires. Si cela devait se confirmer, nous verrions sûrement en 2022 d’autres coups d’Etat être organisés avec succès dans d’autres pays africains pour une fois qu’il y aurait une crise politique. Les coups d’État militaires sont des anomalies politiques qu’il faudrait, avec le temps, bannir de la grammaire politique en Afrique.

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