De la possible désolidarisation – souterraine – de la France du bloc pro-étatsunien
Le présent texte, à la différence d’autres proposés précédemment par le rédacteur, ne se veut pas une analyse, censément objective et factuelle, mais une interrogation laissée à l’appréciation des lecteurs.

Les déclarations du président français Emmanuel Macron sur la «mort cérébrale de l’OTAN» sont bien oubliées depuis la cobelligérance de facto de la France contre la Fédération de Russie et l’implication totale de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord dans un conflit avec Moscou via le régime kiévien1. On peut se demander si ce propos de 2019 (qui reposait sur une anticipation d’un possible retrait US en cas de réélection de Donald Trump) ne recouvrait pas une dialectique clandestine.
La guerre contre la Russie a réactivé fortement l’Alliance aux plans militaire comme politique ; toutefois, jusqu’au dernier sommet de l’OTAN de ce mois-ci, une opposition restait perceptible entre les tenants d’une Défense européenne et ceux qui souhaitaient prolonger la vassalisation aux USA.
Cela se manifestait par le souhait des responsables de l’UE restés favorables au Deep State états-unien des démocrates «progressistes», de s’opposer au nouveau régime traditionnel et isolationniste (relativement, comme peut l’être un hegemon planétaire) à Washington, en pariant sur une érosion de sa popularité, dès les Mid-Terms, en vue d’un remplacement aux prochaines présidentielles.
Cela pourrait bien coïncider avec un agenda macronien visant à obtenir une «présidence des États unis d’Europe» pour laquelle une fédéralisation de moins en moins rampante est observable : violation des Traités fondateurs lors de la pandémie, implication dans une dynamique belliciste, fédéralisation de la dette permettant celle des économies nationales, renforcement de la pression politique sur les États (Roumanie avec le cas Georgescu, RFA par rapport à l’AfD, France à bien des égards via l’instrumentalisation de la Justice) et les populations (par totalitarisme administratif et hypertrophie du sociétal via les nouvelles technologies et quasi disparition du Politique).
Quelques points peuvent être énumérés à l’appui de l’hypothèse d’une opposition sourde et larvée entre présidences française et états-unienne. Il est difficile de distinguer si l’opposition que l’on devine découle du heurt d’égos particuliers, de la confrontation d’intérêts géostratégiques, ou les deux.
Volontiers décriée comme chaotique, la stratégie de l’actuel POTUS semble en réalité très cohérente. Privilégiant la gestion intérieure des USA, il a néanmoins mis au pas les États européens dans le cadre de l’OTAN dans lequel le leadership états-unien est conforté, pris le devant de la scène (malgré des résultats prévisiblement discutables) dans le conflit ukrainien, s’est imposé dans le conflit israélo-iranien, a réactivé la coopération avec les États du Golfe et les régimes sunnites, dans une perspective de relance et de re-légitimation des hydrocarbures dans la politique énergétique (et l’économie) mondiale2. Désormais, les USA restent bien dans l’OTAN mais les contribuables européens vont financer un effort de ré-armement qui risque de profiter au complexe militaro-industriel états-unien3. Toute velléité française de prendre la tête d’une coalition et de diriger les politiques militaires de l’UE est désormais exclue, en faveur au mieux d’un possible rôle ancillaire du nouvel Ordre mondial comme en Libye et en Irak. À cet égard, le Royaume uni, définitivement résigné à un rôle de second depuis 1956, semble mieux s’en sortir en valorisant sa maîtrise des opérations clandestines et de la manipulation des peuples, politique efficace à coût réduit. Dans le triumvirat un moment envisagé, la RFA se satisfera pleinement de sa vassalité, vendant ses Léopard et autres productions tout en achetant des F-35 américain pour se conformer aux obligations de standard otaniens.
Les déclarations du président Macron dans le cadre du conflit entre Tel-Aviv et Téhéran illustrent un premier point d’orthogonalité, sinon d’opposition, avec la politique de Washington. L’analyse est ici brouillée par la scission des intérêts états-uniens entre régime officiel et résistance de certaines forces intérieures, y compris au sein de l’appareil d’État et des structures de force, ainsi que par des tabous politico-diplomatiques actuellement inviolables sans un minimum de préparation des opinions (appartenance à l’OTAN, au bloc occidental, au «camp du Bien», prééminence du Droit internationale et de la Charte des Nations unies…).
La guerre que mène Israël depuis 2023, initiée par les attaques terroristes du 7 octobre, déroule des opérations échelonnées qui frappent efficacement l’arc chiite (Hamas, Hezbollah, Syrie, Iran). Ces opérations sont critiquées par Paris, arguant de considérations humanitaires, tenant compte de la présence de diasporas disproportionnées numériquement de citoyens français pro-Israël et pro-Palestine et certainement d’antagonisme à l’encontre du Premier ministre israélien et de ses valeurs professées. Dans ce cadre, on s’étonnera que le 6 octobre 2023 une ex-directrice de la centrale de renseignement US (CIA) ait rencontré les représentants de l’opposition iranienne en exil en Île-de-France, sans avis ni aval de Paris.
Les positions (sans lendemain) de Paris au Liban, lors du voyage du président Macron au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, n’ont probablement pas été prises très au sérieux par Tel-Aviv. Elles constituaient néanmoins une gêne par rapport au plan de liquidation du Hezbollah et de neutralisation du pays, en parallèle de la chute des Alaouites de Syrie, alors imprévue de la plupart des observateurs4. Il est clair que Washington privilégiera toujours son proxy israélien dans la Région (surtout eu égard à son intérêt dans le cadre de la stratégie de la tension et de la politique de l’énergie).
À la différence du président Sarkozy, sous lequel le Qatar a connu un entrisme et une prise d’intérêt considérables en France, le président Macron a soutenu majoritairement les intérêts états-uniens et le bloc de la Finance internationale correspondant, mais ceux-ci s’identifiaient plutôt à l’establishment démocrate libéral plus qu’aux réseaux trumpiens.
La volonté de «booster» l’UE passait nécessairement par un aval allemand, mais la République fédérale n’entend pas revenir sur la suzeraineté états-unienne, ni sous Merkel, ni sous Scholtz, ni sous Merz, la position de l’AfD étant probablement neutralisée judiciairement si elle dépassait ses performances électorales actuelles. Si l’on glose sur le recours au Corps africain ex-Wagner pour chasser la France de son ancien pré carré, il est moins connu que l’Allemagne, à travers un réseau de fondations économiques et de missions de l’Union européenne s’emploie au même objectif. Le commandement africain états-unien reste sur une certaine réserve après quelques engagements peu satisfaisants, mais contrôle assez largement la logistique et le C2 sur le continent.
En Libye et en Tunisie, l’Italie de Georgia Meloni, alliée proclamée sans fard des USA, a retrouvé une position importante alors que la France est à la peine, comme au Liban où elle se heurtait à la fois à l’arc chiite et à Israël, qui, fort du soutien renouvelé de Washington entame son extension vers le «Nouveau Moyen-Orient» biblique, vers la Syrie.
En Méditerranée, Paris voit le développement de la flotte de combat italienne et celui de la Turquie. Les frictions avec la sublime porte pourraient bien s’aggraver (en attendant que les visées hégémoniques d’Ankara et de Tel-Aviv s’opposent en Syrie et dans le dossier Kurde), d’autant que Paris tente de s’implanter en Arménie pour rendre la monnaie de leur pièce en Afrique aux Russes, tentant de valoriser la proximité historique depuis le génocide de 1915. Dans ce cadre, la France semble non seulement indisposer Ankara et Moscou, mais aussi Washington qui a initié un partenariat militaire avec Erevan et l’éloigne de l’OTSC. Comme les tentatives avortées en Géorgie, il semble que cet interventionnisme français n’ait été ni souhaité ni sanctionné par les USA. L’Asie centrale constitue un théâtre complexe. La France a des intérêts au Kazakhstan qui fournit 18% des 8000 tonnes d’Uranium nécessaire à ses centrales. Mais la bannière de l’UE recouvre une opposition avec l’Allemagne qui fait du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan deux cibles prioritaires de son économie depuis 2022. Le nouveau «grand jeu» qui prendra place tiendra nécessairement compte du rabaissement de l’Iran depuis les attaques américano-israéliennes, des tentatives panturques d’Ankara plus ou moins libéré du fardeau kurde et bien sûr de la volonté russe de se maintenir dans ses anciennes Républiques, ainsi que de Pékin pour ses routes de la Soie et même de l’Inde.
En Roumanie, l’implantation de bientôt une brigade française, quoique théoriquement dans le cadre de l’UE, s’est apparemment accompagné d’une ingérence politique. L’éviction de Cailin Georgescu, proche du vice-président JD Vance, n’a visiblement pas non plus reçu l’onction de Washington, alors que le pays est en passe de devenir pivotal dans la projection militaire en mer Noire et face à la Russie, le jeu du sultan Erdogan étant ambigu, entre appartenance à l’OTAN et manœuvres nationalistes.5
Il en va de même de la pression sur un autre ancien allié historique, la Serbie. L’achat de rafales français par le pays (très ancré économiquement à l’Allemagne comme la plupart des anciennes républiques yougoslaves) s’explique par la position délicate du président Vucic (successivement présent pour le défilé du 9 mai à Moscou, puis auprès du président Zelensky), qui a déjà reçu des avertissements (agitations aux frontières du Kosovo, puis accident de voiture). La Serbie est en passe de dépasser la Bulgarie comme fournisseur d’armes de Kiev (via un système plutôt transparent de certificats de destination finale – end users – pour éviter la responsabilité d’un approvisionnement direct) mais aussi d’Israël. Enclavée au milieu d’États hostiles et dépendante énergétiquement, la Serbie doit jongler avec une population partagée entre générations russophiles et européistes.
Il est certain que le président Macron est bien loin de représenter l’épine dans le pied des USA qu’était le général de Gaulle dans sa gestion du non-alignement et de l’indépendance nationale, ne serait-ce que par son appétence pour un projet paneuropéen souverainicide et nationalicide. Néanmoins on est en droit de se demander si les quelques faits non exhaustifs listés supra ne recouvrent pas une forme de découplage d’avec les orientations états-uniennes du moment.
source : reseauinternational.net
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