Le système électoral malien : Notre système électoral comporte trois défauts majeurs

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Le premier défaut: c’est son coût exorbitant, donc insoutenable pour un pays pauvre. Sacrifier à la mode de l’informatisation du fichier électoral ne suffirait pas à remédier à ce problème; il faut revoir tous les maillons de la longue chaîne du processus électoral, de l’établissement des listes électorales à la proclamation définitive des résultats. Voici quelques pistes. On peut abandonner l’inscription d’office au profit de l’inscription volontaire sur les listes électorales. On fera ainsi des économies en termes de réduction du temps et du volume de travail, de papier, de frais d’entretien des commissions administratives dans les sept cent trois (703) Communes et les trente-neuf (39) représentations diplomatiques du pays, de confection de cartes d’électeurs, d’établissement de bureaux de vote et, au bout du compte, on aura des listes électorales moins surchargées et plus fiables.

On peut limiter les élections présidentielles et législatives à un seul tour de scrutin et instituer le bulletin unique. On diminuera ainsi le coût des élections, y compris celles comportant un nombre élevé de candidats comme on l’a vu lors des présidentielles de 2002 (23) candidats. On peut  réfléchir à un type de scrutin qui requiert un minimum de dispositif logistique et de paperasse.

Le deuxième défaut: c’est sa lourdeur et son inadaptation à certaines de nos réalités. En voulant instituer un système électoral parfait sur le papier, le législateur a conçu un texte kilométrique qu’il a encombré de détails. Le lecteur qui a la patience d’éplucher la Loi électorale du 12 février 2002 aura beaucoup de peine à se rappeler le premier article au moment où il arrivera au 202ème article du texte. On gagnerait à réduire la taille du texte et à le simplifier pour le rendre plus intelligible au commun des Maliens instruits.

En voulant garantir sur papier la liberté et la sincérité du vote, le législateur a conçu un texte extrêmement rigoureux qui est difficilement applicable dans le contexte malien et qui, paradoxalement dans la pratique, se prête à toutes sortes de tricheries et de manipulations. Lors des élections législatives de juillet 2002, la Cour constitutionnelle a reçu cinq cent cinq (505) plaintes en provenance des partis politiques, des candidats et des particuliers faisant état d’irrégularités et de fraude. La Cour a invoqué les mêmes faits pour justifier l’annulation du quart des suffrages (541 019 votes sur 2 201 154) lors du premier tour de l’élection présidentielle, en avril 2002.

On gagnerait à reformuler les dispositions qui sont en contradiction avec les pratiques et les habitudes des populations. Par exemple, il est patent que la disposition sur l’identification de l’électeur, à savoir la présentation, en plus de la carte d’électeur, d’une pièce d’identité officielle ou de deux (02) témoins inscrits sur la liste d’émargement du bureau et possédant leur pièce d’identité, donne lieu à toutes sortes d’interprétations et occasionne toutes sortes d’abus.

J’ai eu l’occasion d’observer plusieurs fois des élections au Mali et j’ai remarqué que cette disposition est plus ou moins appliquée en milieu urbain, et plus ou moins ignorée en milieu rural. Dans la plupart des villages du pays profond que j’ai visités, les électeurs se présentent dans le bureau de vote sans pièce d’identification et sans témoins et arrivent pourtant à voter en présentant simplement leur carte d’électeur.

La procédure de l’identification formelle est-elle vraiment nécessaire dans un petit village, où tous les habitants se connaissent ? Apparemment non, dès l’instant où le président du bureau de vote, les assesseurs, les délégués et les électeurs eux-mêmes conviennent tous de contourner les obstacles imposés par la loi. Il faut revenir sur terre et se dire que dans un pays, où la majorité de la population est analphabète, où l’établissement des actes d’état civil constitue l’exception et non la règle, où l’existence de ces actes ne leur confère d’ailleurs aucune garantie d’authenticité-il est de notoriété publique que des étrangers sont détenteurs d’actes de naissance et de passeports maliens. Il y a lieu d’imaginer d’autres méthodes d’identification en plus des méthodes édictées par la loi.

Le troisième défaut: c’est la brièveté des délais pour les opérations électorales, vu la multitude de paramètres difficiles à maîtriser. Dans la première partie de l’essai, nous avons pris l’exemple des élections présidentielles de 2002 où le délai de deux (02) semaines entre les deux (02) tours a été tenu en sacrifiant la campagne électorale du second tour. Le paramètre qui a faussé les prévisions était l’inflation des candidatures (24 au total) ayant entraîné un surcroit de travail en matière de compilation des résultats provisoires par l’administration, de vérification des résultats et de traitement des réclamations par la Cour constitutionnelle.

Nous devons nous débarrasser de tout complexe et fixer des délais raisonnables qui nous éviteront des surprises. Pourquoi ne ferions-nous pas comme le Niger et le Ghana, où le délai entre les deux (02) tours de l’élection présidentielle est fixé à vingt et un (21) jour (article 37 de la Constitution nigérienne du 9 août 1999 et article 63, section 4, de Constitution ghanéenne du 15 mai 1992) ou comme la Côte d’Ivoire, où le délai de quinze (15) jours court à partir de la proclamation des résultats du premier tour (article 36 de la Constitution du 24 mai 2000).

Avant de fermer ce chapitre, il est utile de rappeler que les défaillances du système électoral ne sont pas l’apanage du Mali et des seuls pays africains. Même les pays qui ont une tradition démocratique ancienne et utilisent un dispositif électoral bien huilé sont loin d’avoir atteint la perfection dans ce domaine.

L’exemple le plus éclatant est sans doute le cafouillage qui a suivi l’élection présidentielle américaine du 7 novembre 2000. C’est à la suite d’un imbroglio politico-judiciaire sans précédent dans l’histoire des États-Unis d’Amérique et après trente-quatre (34) jours de suspense, que la Cour suprême a tranché le litige en «désignant» le quarante-troisième président de la première puissance économique du monde et la plus vieille démocratie de notre époque.

 

NOPEL répond à ces exigences

Un jeune chercheur malien, Alpha Sidiki Cissé, a mis au point un dispositif de vote qui répond justement à ces deux (02) exigences. Son invention, appelée Nouveau procédé électoral (NOPEL), n’utilise pas de bulletins pour les opérations de vote et de dépouillement, et de ce fait, élimine le gâchis énorme de papier et réduit considérablement les coûts de fonctionnement des bureaux de vote. Comparé au système de vote actuel, le NOPEL allie à la fois simplicité, rapidité, fiabilité et économie.

Selon les estimations de son concepteur, sur la somme de 1,5 milliard de francs CFA dépensée pour l’achat d’enveloppes et la confection de bulletins pour les vingt-quatre (24) candidats en lice au premier tour de l’élection présidentielle du 28 avril 2002, l’État aurait pu économiser 1,3 milliard en utilisant ce nouveau système de vote.

Il faut espérer que les intérêts colossaux liés au maintien du statu quo en matière d’organisation des élections n’empêcheront pas les décideurs de tirer profit de cette invention.

Ali CISSÉ, Mali: une démocratie à refonder

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