Que sont-ils devenus … Me Ibrahim Berthé : Le charismatique député (1992-1997) élu en Commune III
Militant de première heure de l'ex-Cnid/Faso Yiriwa ton, ancien député de la Commune III, ancien 2e vice-président de l'Assemblée nationale. Il a aussi occupé de hautes fonctions dans l'administration publique et dans les instituions associatives, Me Ibrahim Berthé est notre héros de la semaine pour l'animation de la rubrique "Que sont-ils devenus ?"

En le sollicitant pour une interview, il fixa le préalable du rendez-vous. Cela avait pour but de planter le décor et définir un cadre de travail. C'est-à-dire ne pas aborder l'actualité politique, ne pas commenter la dissolution des partis politiques. Homme de droit respectueux des institutions de la République, Me Ibrahim Berthé sait pourquoi il agit ainsi. Quelle fut cette histoire qui l'a lié à l'ex-Cnid ? Pourquoi il est demeuré un politicien constant ? Quelles furent les tractations du 2e tour qui ont conduit à son élection comme député en 1992 ? Me Ibrahim Berthé nous a reçus à son domicile au Badialan III, pour débattre de tout cela. En nous recevant pour parler des aspects de sa vie, il s'est dit ému. Selon lui l'exercice est difficile, mais l'honneur l'oblige à faire un effort.
e Ibrahim Berthé est un Mianka pur-sang, issu d'une famille dont le chef est un conservateur intransigeant. Celui-ci a inculqué la bonne base à ses enfants à travers une éducation calquée sur des principes traditionnels. Ce qui explique d'ailleurs la modestie et le calme olympien de Me Berthé, dont le vieux père le façonna et l'envoya à l'école de la vie. Il l'a préparé à la dure réalité de la vie. Pendant les vacances de la 1er A fondamentale à la 4e A de l'Ecole nationale d'administration (ENA), il cultivait au champ familial.
L'homme est une référence pour la jeunesse de son quartier. Celle-ci s'est dressée comme un seul homme pour l'élire député de la Commune III en 1992. Paradoxalement, il dit ne pas être un politicien, mais un simple citoyen qui s'est intéressé à la chose publique. Et dont la ligne de conduite explique son choix, soutenue par la confiance de ses concitoyens. Son éveil de conscience date du temps du président Modibo Kéïta parce qu'il l'a connu très tôt. Celui-ci venait dans sa belle-famille au Badialan. Mieux ses discours à la radio l'ont beaucoup marqué malgré son jeune âge. Selon lui, sa droiture, sa rectitude et sa vision font de lui un homme d'Etat que le Mali mettra du temps sans revoir le modèle.
Avec une telle admiration pour le père de l'indépendance du Mali, Me Ibrahim Berthé pouvait-il accepter le coup d'Etat de 1968 ? Surtout que par la suite la junte a traqué l'Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali (Uneem ) et fermé les écoles pendant un an. Tout cela a créé un sentiment de révolte au point qu'il exprima à l'ENA sa désapprobation avec d'autres camarades de la dissolution de l'association estudiantine. Pour cela il a échappé à une exclusion.
Son saut dans la politique est loin d'être un incident de parcours, ou un fait du hasard. Militant de première heure du Congrès national d'initiative démocratique (Cnid/Faso Yiriwa ton), il nous est revenu de comprendre que cela est consécutif à son appartenance à la grande famille judiciaire, dont l'un des ténors, Me Mountaga Tall, est le fondateur dudit mouvement politique. Il répond non. Alors comment cette longue histoire avec le Cnid/Faso Yiriwa ton s'est forgée ?
Son adhésion au Cnid relève d'un pur hasard. Il aurait pu être militant de l'Adéma, parce qu'il était en contact direct avec Alpha Oumar Konaré avant même la création des deux associations politiques. Ils échangeaient beaucoup sur l'avenir du pays. Déjà, il avait ouvert son cabinet d'huissier. En apprenant la création du Cnid, Me Ibrahim Berthé, décide d'y militer en payant sa première carte avec Amidou Diabaté, natif de Niomirambougou (à l'époque magistrat).
Jusque-là il ne sait pas que le Cnid est dirigé par Me Mountaga Tall. Pour lui, le plus important était de contribuer à l'instauration du multipartisme intégral. Cela passait obligatoirement par la fin du régime dictatorial du général Moussa Traoré, tombeur de son idole. Pour la circonstance, Me Berthé fait le porte-à-porte dans son quartier pour expliquer le bien-fondé de la création du Cnid.
Entre-temps Amidou Diabaté noue les contacts entre les différents coordinateurs des quartiers de la Commune III, et organise une grande réunion à l'école de la Poudrière pour annoncer les couleurs. Il prépare ses camarades aux obstacles et à la réaction violente d'un régime dictatorial qui se sentira acculé.
Premier en février 1983 du concours international de la Radio France Internationale (RFI) sur les droits de l'Homme, Me Berthé est diplômé de l'Ecole nationale d'administration, option droit privé (promotion de 1984, il est deux ans plus tard major au concours d'accès à la profession d'huissier de justice. La valeur n'entend point, dit-on. Cette admission fût un déclic pour sa carrière :
- 1990 -1992 : secrétaire général de la Chambre nationale des huissiers du Mali ;
- 1992-1999 : président de la même institution ;
- 1991-2009 : membre du Conseil permanent de l'Union internationale des huissiers de justice et officiers judiciaires avec siège à Paris ;
- 1998 : chargé de cours à l'intention des huissiers stagiaires à l'Institut national de formation judicaire ;
- 2003-2005 et 2011 à 2013 : chargé de cours de droit privé à la FSJP ;
- 1993-1997 : deuxième vice-président de l'Assemblée nationale ;
- 2011-2013 : chargé de mission au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
Dans le quartier, il n'y a pas eu de contact direct entre Me Ibrahim Berthé et nous. La réalité est qu'il nous a beaucoup impressionné par sa modestie, son sens élevé du social et son amour du pays. Certes, c'est un grand frère de quartier, et nous fréquentons sa famille à travers son jeune frère Faly Berthé, un bon ami. Nous l'avons plutôt approché grâce à la politique. Lors des campagnes des élections législatives de 1992, les accrochages entre le Cnid et l'Adema étaient monnaie courante.
Me Berthé s'est toujours montré conciliant et nous conseillait la retenue. Pour lui, la meilleure attitude est d'éviter de se créer des ennemis en politique. Etant donné que nous sommes les enfants d'un seul quartier et d'une même Commune. A la faveur de ces échéances électorales, l'histoire retiendra que sa brillante élection servira de repère. Comment ? C'est toute une commune qui s'est mobilisée pour le soutenir. Le jour du 2e tour à Darsalam une vieille
peinant même à marcher tenait à voter pour le candidat du Cnid. Car il l'a séduit par sa stratégie de porte-à-porte. Face à ce comportement de la vieille, Me Berthé très ému s'assit par terre et fondit en larmes.
Ce fut un instant pathétique. Hélas !!! Quand nous lui avons rappelé ce souvenir, il n'en revenait pas. Faudrait-il aussi signaler qu'à partir de ce jour, il a pris en charge les dépenses mensuelles de la vieille jusqu'à son décès. Evidemment parlons de cette élection de Me Berthé contre le candidat de l'Adéma. Quel était le secret de l'engouement qui entourait son élection ? Quelles furent les tractations entre le premier et le deuxième tour ? Me Berthé se souvient.
L'homme du peuple
"J'ai été dépassé par l'engouement, à tel point que je me suis posé la question de savoir comment tout cela s'est réalisé pour ma modeste personne. Mais j'ai fini par conclure que c'est la conjonction de plusieurs paramètres. Le Cnid est tombé sur des militants soudés, très engagés. Je me suis mis à la disposition de tout ce mouvement en rencontrant les différents chefs de famille, y compris nos adversaires politiques. Parce que nous appartenons tous à la Commune III. Donc au-delà des divergences politiques nous devrons être soudés avec le désir profond de l'amour du pays. Bref je n'ai fait qu'accompagner les militants.
En tant que fils d'un quartier populaire, j'ai exploité la mentalité de la population. Pour le 2e tour, le directoire du Cnid de la Commune III a démarché les autres partis tombés au 1er tour, tout en expliquant son programme soutenu par la passion pour la Commune. Ils nous ont accompagnés. Dieu merci tout s'est bien passé".
Après son élection Me Berthé reprend sa pratique politique du porte-à-porte pour remercier tous ceux-là qui ont contribué à sa victoire. Il s'est réellement mis à la disposition de la population. A chaque fois qu'il a été sollicité et quelle que soit l'heure tardive de la nuit, il répondait et s'employait à trouver une solution au problème posé.
Pour le bien-être et le développement de la Commune III, il commence par recenser les problèmes des différentes écoles fondamentales. Ainsi avec l'appui de l'Agetipe, du Fonds canadien d'initiatives locales, du Fonds hollandais, du Fonds FAEF, il procède à la clôture de plusieurs écoles, et entreprend des travaux d'intérêt public dans la Commune. Autrement dit les réalisations faites à son initiative ou avec son appui sont de 625.000.000 F CFA entre 1992 et 1997 dans les 19 quartiers de la commune III: écoles, ponts, centres de santé, sports etc
Le charisme de Me Berthé lui confère même le statut d'homme modèle pour la jeunesse. Mais il pense seulement s'être mis à la disposition des hommes et des femmes qui l'ont élu. Cependant en tant que député de l'opposition siégeant au bureau de l'Assemblée nationale dirigée par le pouvoir en place, Me Berthé n'hésite pas à interpeller certains ministres Adéma :
- Dioncounda Traoré, ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l'administration sur le changement d'horaires de travail (journée continue) ;
- Boubacar Gaoussou Diarra, ministre de l'Emploi, de la Fonction publique et du Travail sur le chômage résiduel des cadres de l'administration malienne ;
- Soumaïla Cissé, ministre de l'Economie et des Finances sur les conséquences de la dissolution pour le Mali de la CEAO où notre pays a perdu des milliards de F CFA ;
- Mme Sy Kadiatou Sow, ministre des Affaires étrangères sur la mort de trois Maliens dans des conditions atroces au Congo-Brazzaville.
Le temps du recul
Audace ou mégalomanie ? Me Berthé soutient que l'intérêt du pays doit primer sur les considérations personnelles. Parce que chacun aura à répondre de ses actes devant le Tribunal de l'histoire. A titre de rappel, en octobre 1994 à Libreville à la réunion des députés Européens et Africains, des parlementaires européens avaient déjà voté une résolution a Bruxelles quelques jours avant, pour condamner le Mali à cause de la rébellion. Et c'est Me Berthe, étant de l'opposition, chef de la délégation malienne qui a utilisé ses frais de mission en entier pour convaincre ses collègues européens au cours d'un déjeuner à retirer leurs plaintes contre le Mali qui allait perdre des milliards de fonds de la coopération.
Cependant, si une bonne partie de l'opinion politique est formelle que Me Berthé a marqué d'une empreinte digitale indélébile son passage à l'Assemblée nationale, paradoxalement il regrette n'avoir pas pu mettre en œuvre de nombreux projets quand il quittait le Parlement. L'autre problématique qui le hante est comment les réaliser dans le contexte actuel. Parce qu'à présent, il se dit redevable de ce peuple qui l'a élu. ...
Autre regret le non accompagnement de son initiative pour la création d'un texte sur la création du FONDS NATIONAL POUR L'ÉDUCATION pour supporter les charges énormes afin de sauver l'école malienne.
Rédacteur du projet de l'hymne de l'Union internationale des huissiers et officiers judiciaires (UIHOJ) qui regroupe 93 pays et associés, Me Ibrahim Berthé est aussi écrivain pour avoir publié deux livres : "Sur le chemin des saisies" (novembre 2017), "Coup de Gueule" (édité en 2020).
Médaillé d'Or de l'UIHOJ (2016), chevalier de l'Ordre national du Mali (2023), la riche carrière de Me Berthé est liée à de bons souvenirs :
- Le choix du Cnid sur sa modeste personne pour les législatives de 1992 ; sa victoire au 2e tour contre l'Adéma, où tout le quartier l'attendait devant la maison paternelle pour le féliciter. Ce jour, il se rappelle avoir décidé de marcher du centre-ville au Badialan III, uniquement pour être en communion avec la foule qui l'a escorté jusqu'à son domicile.
Ses démarches auprès des bailleurs pour le financement de ses projets liées aux écoles fondamentales de la Commune III, ont fait des jaloux au sein de la classe politique. Un mauvais souvenir, oui, mais qu'il s'efforce d'oublier, parce qu'il ne se l'explique d'autant plus que dans chaque famille il y a au moins un élève. La défaite du Cnid aux élections législatives de 1997, suite à l'intrusion de l'argent et des fraudes constitue également un mauvais souvenir.
Le constat est que depuis quelques années Me Ibrahim Berthé a pris du recul sur le plan politique. Pourquoi ? "Après la crise au Cnid, j'ai joué à calmer les ardeurs, malgré tout la division a été inévitable. Malheureusement au sein même du parti, il y'a eu trop de querelles internes. Et à un moment donné j'étais visé, et avant que je ne sois atteint, j'ai pris du recul", conclut-il. Et c'est dommage !!! O. Roger SISSOKO
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