La chronique de Dr. Salifou Fomba : Expulsion des étrangers Vers une Convention Internationale de l’ONU

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Dr Salifou Fomba

Pour connaître l’état actuel du droit International sur la question de l’expulsion des étrangers, il faut savoir :

1- que l’on s’achemine, si tout va bien, vers l’élaboration et l’adoption d’une convention internationale générale sur ce sujet vital pour le Mali ;

2- que la mise en route de ce processus a été possible grâce aux travaux de la Commission du droit International de l’ONU ;

3- que cette Commission, composée de 34 experts élus par l’Assemblée Générale à New York pour un mandat de 5 ans, est l’organe subsidiaire chargé de codifier et de développer progressivement le droit International, Commission dont nous avons personnellement été membre durant 15 ans, après y avoir été élu 3 fois ;

4- que la Commission Onusienne a été chargée de codifier le sujet de l’expulsion des étrangers ;

5- que ses travaux ont commencé en 2004 pour s’achever en 2014, travaux auxquels nous avons eu le privilège de participer jusqu’en 2011 ;

6- qu’en 2014 la Commission du droit International de l’ONU a rédigé et adopté un projet de convention sur l’expulsion des étrangers, qui comprend 31 articles ; lequel a été envoyé à l’Assemblée générale de l’ONU avec une double recommandation :

  1. a) en prendre acte dans une résolution et
  2. b) envisager d’en faire une convention Internationale en bonne et due forme ;

7- qu’il s’agit à la fois d’un travail de codification de la coutume Internationale  et de développement progressif  des règles de base en matière d’expulsion des étrangers ;

8- que cela s’explique par les raisons suivantes :

  1. a) si l’expulsion des étrangers est bel et bien un droit souverain de l’Etat, elle n’en met pas moins en cause les droits de l’étranger et de l’Etat expulsant relativement à l’Etat de destination,
  2. b) la question n’échappe donc pas au droit International,
  3. c) la pratique des Etats s’est développée sur divers aspects du sujet depuis le 19ème siècle au moins,
  4. d) plusieurs traités Internationaux contiennent des dispositions relatives à tel ou tel aspect de cette matière,
  5. e) la jurisprudence Internationale y relative n’a cessé de s’étoffer depuis le milieu du 19ème siècle et a servi à la codification de divers aspects du droit International,
  6. f) cette base jurisprudentielle a été confortée plus récemment par un arrêt de la Cour Internationale de Justice-Ahmadou Sadio DIALLO, Guinée contre RDC, 2010- qui clarifie sur cette question le droit positif sur divers points,
  7. g) pour autant, l’ensemble de la matière ne repose pas sur un socle de droit International coutumier ou sur des dispositions des conventions Internationales de caractère universel,
  8. h) certains aspects de la question font encore l’objet d’une pratique limitée qui indique cependant des tendances permettant un développement prudent de règles de droit International dans ce domaine. Il est donc important de savoir que le projet de Convention de la Commission du droit International de l’ONU sur l’expulsion des étrangers- autrement appelé projet d’articles – comprend cinq parties.

La première partie intitulée « dispositions générales » traite des questions suivantes :

1°- le champ d’application de la convention ;

2°- la définition des deux termes – clefs « expulsion » et « étranger » ;

3°- les règles générales ayant trait :

  1. a) au droit d’expulsion,
  2. b) à l’obligation de conformité à la loi,
  3. c) aux motifs d’expulsion.

La  deuxième partie intitulée « cas d’expulsions interdites » traite des questions suivantes : 1°- les règles relatives à l’expulsion des réfugiés ;

2°- les règles relatives à l’expulsion des apatrides ;

3°- la déchéance de nationalité aux fins de l’expulsion,

4°- l’interdiction de l’expulsion collective ; il est important de savoir ici que c’est le projet d’article 9 qui interdit formellement cette procédure, tout en reconnaissant la possibilité d’expulser concomitamment les membres d’un groupe d’étrangers, mais à une condition bien déterminée ;

5°- l’interdiction de l’expulsion déguisée ;

6°- l’interdiction de l’expulsion aux fins de confiscation des biens ;

7°- l’interdiction du recours à l’expulsion aux fins de contourner une procédure d’extradition en cours.

La troisième partie qui est intitulée « protection des droits des étrangers objet de l’expulsion » comprend quatre chapitres.

Le  chapitre 1 intitulé « dispositions générales » traite des questions suivantes :

1°- l’obligation de respecter la dignité humaine et les droits de l’homme de l’étranger ;

2°- l’interdiction de la discrimination ;

3°- les personnes vulnérables.

Le chapitre 2 intitulé « protection requise dans l’Etat expulsant » traite des questions suivantes :

1°- l’obligation de protéger le droit à la vie de l’étranger ;

2°- la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; 3°- l’obligation de respecter le droit à la vie familiale ;

4°- la détention de l’étranger aux fins d’expulsion ;

5°- la protection des biens de l’étranger.

Le chapitre 3 intitulé « protection par rapport à l’Etat de destination» traite des questions suivantes :

1°- le départ vers l’Etat de destination ;

2°- l’Etat de destination de l’étranger ;

3°- l’obligation de ne pas expulser un étranger vers un Etat où sa vie serait menacée ;

4°- l’obligation de ne pas expulser un étranger vers un Etat où il pourrait être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le chapitre 4 intitulé « protection dans l’Etat de transit » traite de la question de la protection, dans cet Etat, des droits de l’homme de l’étranger.

La  quatrième partie intitulée « règles spécifiques de procédure » traite des questions suivantes :

1°- les droits procéduraux de l’étranger objet de l’expulsion ;

2°- l’effet suspensif du recours contre la décision d’expulsion ;

3°- les procédures internationales de recours individuel.

La cinquième partie intitulée « conséquences juridiques de l’expulsion » traite des questions suivantes :

1°- la réadmission dans l’Etat expulsant ;

2°- la responsabilité  de l’Etat en  cas d’expulsion illicite ; il s’agit ici d’une question centrale qui est régie par le projet d’article 30 dans les termes suivants : « l’expulsion d’un étranger en violation des obligations de l’Etat expulsant énoncées dans le présent projet d’articles ou de toute autre règle de droit international engage la responsabilité  internationale de cet Etat » ; il est important de rappeler ici au Conseiller juridique du Gouvernement malien – le Directeur des Affaires Juridiques du Ministère des Affaires Etrangères – que la Commission du droit international de l’ONU a adopté et transmis en 2001 à l’Assemblée générale un projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, un précieux outil de travail entre ses mains pour traiter les problèmes de responsabilité auxquels le Mali peut être confronté ;

3°- la protection diplomatique ; le projet  d’article 31 qui en traite est ainsi libellé : « l’Etat de nationalité de l’étranger objet de l’expulsion peut exercer la protection diplomatique à l’égard dudit étranger ». Il est important de savoir ici :

  1. a) que la protection diplomatique est une institution spécifique du droit international, qui est différente de la simple protection assurée par les Consuls et les Ambassadeurs au titre des Conventions de Vienne de 1961 et de 1963, même si ceux-ci peuvent intervenir concrètement dans sa mise en œuvre ;
  2. b) que la protection diplomatique est une modalité particulière de mise en œuvre de la responsabilité internationale de l’Etat ;
  3. c) que ce sujet a été codifié par la Commission du droit international en 2006 ; il est important de savoir ici que le Conseiller Juridique du Gouvernement malien peut et doit recourir au projet d’articles de la Commission Onusienne pour traiter les problèmes de protection diplomatique auxquels le Mali peut être confronté. Pour ce qui est de l’expression « étranger objet de l’expulsion», il faut savoir :

1°- qu’elle vise à couvrir, en fonction du contexte, tout étranger confronté à une phase quelconque du processus d’expulsion ;

2° que ce processus débute généralement par l’ouverture d’une procédure pouvant conduire à l’adoption d’une décision d’expulsion, laquelle peut être suivie, selon les cas, d’une phase judiciaire ;

3°- qu’il prend fin, en principe, avec l’exécution de la décision d’expulsion, que ce soit par un départ volontaire de l’étranger en question ou par l’exécution forcée de cette décision.

Conclusion :

Pour l’essentiel, il faut retenir :

1°- qu’il s’agit d’une contribution importante de la Commission du droit international à la codification et au développement progressif du droit international relatif à l’expulsion des étrangers ;

2°- que ce projet de Convention couvre aussi bien l’expulsion des étrangers légalement présents que celle des étrangers illégalement présents sur le territoire de l’Etat expulsant ;

3°- qu’on peut raisonnablement considérer que ce projet de Convention constitue un bon outil de travail, un vade-mecum, un modus operandi important, qui est de nature à fournir aux experts des Ministères des Affaires Etrangères et des Maliens de l’Extérieur en charge de la question, un cadre juridique approprié pour analyser, prévenir et gérer les problèmes posés par l’expulsion de nos compatriotes. Pour en savoir plus, on peut utilement consulter le site web de la Commission du droit international de l’ONU: www.un.org/law/ilc

Par Dr Salifou FOMBA

Professeur de droit international à l’Université de Bamako

Ancien membre et vice-président de la Commission

du droit international de l’ONU à Genève

Ancien membre et rapporteur de la Commission

d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda

Ancien Conseiller Technique au Ministère des Affaires Etrangères

Ancien Conseiller Technique au Ministère des Maliens de l’Extérieur

Ancien Conseiller Technique au Ministère des Droits de l’Homme

et des Relations avec les Institutions.

 

 

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