Le chef des putschistes du 22 mars 2012, le capitaine Amadou Haya Sanogo est apparu à la télévision nationale le mardi soir avec une certaine condescendance qui laisse croire qu’il est réellement le maitre à bord du bateau-Mali. Mais ce qui a encore fait mal à l’opinion nationale, ce sont ces bulles adressées au Premier ministre démissionnaire Cheick Modibo Diarra qu’il a traité de tous les péchés d’Israël. Il a non seulement violé le principe du devoir de réserve, mais n’a fait qu’ouvrir le feu sur un corbillard.
On ne sait vraiment pas quand est-ce le retour à l’ordre constitutionnel tant prôné au Mali et par la communauté internationale sera réellement vécu dans les faits. Le président du Comité militaire pour le suivi du redressement des forces de défense et de sécurité, quoique patron des putschistes du 22 mars 2012, qui ne s’est pas gêné dans la violation du principe républicain que requiert la démission d’un Premier ministre, envoie des troupes cueillir comme un poulet Cheick Modibo Diarra à domicile à une heure tardive de la nuit du lundi au mardi. Conduit à Kati, il est soumis à un interrogatoire musclé avec le chef des putschistes et le tout se termine par la démission forcée et télévisée, au moment où le président de la République par intérim dormait tranquillement chez lui. La scène ressemble à un film western.
Pourtant, il y avait d’autres moyens plus civilisés pour atteindre le même objectif. D’ailleurs cette méthode martiale n’a pas manqué d’indigner une partie de l’opinion nationale et internationale et l’ONU s’apprête à imposer des sanctions ciblées contre certains responsables de l’ex-junte. Décidemment on ne cessera pas d’être atypique dans le concert des nations : après le tabassage du président de la République par intérim dans ses bureaux le 21 mai 2012, c’est le Premier ministre, de pleins pouvoirs de surcroit, qui est alpagué comme un bandit de grand chemin.
Au-delà des individus, c’est quand même l’image des institutions de la République qui est en jeu ! On se serait réjoui d’un tel acte si c’est un Iyad Ag Ghaly (chef d’Ançar Eddine) et Abou Zeid (chef d’Aqmi) qui étaient traqués de la sorte et d’ailleurs pour la traque desquels des armes, jadis bloquées au port de Conakry et tant réclamées par les Maliens, sont enfin arrivées sans qu’on ne voit aucun signe de Sanogo allant dans le sens de l’assaut quand bien même il avait promis que l’armée malienne n’attendra pas l’ONU pour libérer le Nord. Et ça donne justement raison à la Cédéao qui avait bloqué ces armes au niveau du port pour, avait-elle dit, empêcher qu’elles ne soient utilisées contre les civils au sud.
Ensuite, c’est le capitaine Sanogo qu’on voit à la télévision nationale le mardi soir en train de s’expliquer sur les raisons de ce départ forcé du Premier ministre, après le discours prononcé par le président de la République par intérim, Pr. Dioncounda Traoré. On aurait tenté de dire à quel titre ? Le chef de l’ex-junte, signataire de l’accord-cadre qui a permis le retour à l’ordre constitutionnel, charge le Premier ministre démissionnaire en le traitant de tous les noms d’oiseaux.
On a eu l’impression que c’est un maître qui se plaignait de son esclave. Et Cheick Modibo Diarra est même pris pour celui qui a bloqué l’avancement du pays dans sa sortie de crise. En somme quelqu’un qui n’a plus d’égard envers ses maitres. Pourtant, il fut un moment où le Premier ministre sortant semblait prendre des instructions à Kati et pour un tel comportement, il avait essuyé les foudres d’une partie de l’opinion nationale l’accusant d’être au service de la junte. En ce moment, le jeu était à l’avantage de Kati et celui-ci n’a pas osé défendre CMD. On a donc l’impression d’avoir affaire à une partie de gamins lesquels, lorsque ça clashe, se mettent à déballer tout le complot.
Cheick Modibo Diarra a commis de graves erreurs au cours de son séjour primatorial, cela est évident, mais puisqu’on a tous les moyens de le faire partir dans la dignité, pourquoi n’avons-nous pas procédé ainsi ? Ayant déjà démissionné, quel intérêt pour le chef des ex-putschistes de venir lyncher médiatiquement le PM sortant. Pourquoi tirer sur un corbillard ?
Pourquoi le capitaine Sanogo peine à s’effacer de la transition quand bien même qu’il en a fait la promesse à maintes reprises ? Pourquoi lui qui s’est arraché un statut d’ancien chef d’Etat (que la Cédéao lui refuse d’ailleurs) n’est pas concerné par le devoir de réserve ?
Autant de questions qui préoccupent aujourd’hui les Maliens.
Abdoulaye Diakité
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Transition en danger
C’est à Kati que Cheick Modibo Diarra a signé sa lettre de démission
C’est à Kati que Cheick Modibo Diarra a signé sa lettre de démission. C’est là-bas aussi qu’il a enregistré sa déclaration de démission qui sera diffusée plus tard à la télévision nationale. Aux environ de trois heures du matin, un groupe de militaires est descendu avec la bande pour faire diffuser la déclaration. Pour ce faire, il a fallu remettre en marche la télé qui ne diffuse pas normalement à une heure aussi tardive.
C’est entre quatre heures et cinq heures du matin que l’ancien Premier a été reconduit à son domicile par les militaires qui sont restés sur place. Hier encore les militaires n’avaient pas bougé, plaçant de facto l’ancien Premier ministre "en résidence surveillée".