Googan Tan : Taisez-vous, Choguel : le silence aussi est un acte héroïque
Il existe des silences plus éloquents que mille discours. Des silences habités, construits, porteurs d'une force tranquille que l'agitation ne saura jamais égaler.

Ce jour-là, Denzel Washington, sommé de justifier son silence sur un sujet brûlant, n'a pas crié. Il s'est levé, et dans un calme déconcertant, a simplement dit : "Tu ne sais pas où j'ai fait entendre ma voix. Tu sais seulement où tu ne l'as pas entendue." Puis, il est parti. Et son départ a fait plus de bruit que bien des éclats.
Cette scène, devenue virale, illustre à merveille ce que beaucoup peinent à comprendre : le silence peut être une réponse, un choix, une élévation. Choguel Kokalla Maïga, vous dont la parole fut, à certains moments, celle d'un homme d'État, d'un tribun passionné, d'un patriote, permettez qu'on vous dise aujourd'hui avec gravité, mais sans animosité :
Taisez-vous, s'il vous plaît !
Pas par mépris, ni par rejet de vos idées. Mais, par égard pour ce que vous avez été et pour ce que vous pourriez encore incarner, si vous saviez retrouver cette grandeur que l'on attend des hommes publics, surtout lorsqu'ils quittent les sommets.
Depuis votre départ de la Primature, vous multipliez les prises de parole agressives, les règlements de comptes, les provocations verbales qui laissent pantois jusque dans vos propres rangs. À force de vouloir tout commenter, tout dénoncer, vous ne faites qu'élargir le cercle de vos adversaires, y compris parmi les morts que vous semblez vouloir déterrer à coups de sentences amères. Pourquoi ressusciter inutilement les vieilles blessures ? Pourquoi s'en prendre, même indirectement, à Modibo Keïta, ce père fondateur dont l'école républicaine a permis à tant d'enfants du peuple, dont vous, moi et tant d'autres, d'accéder à la connaissance et à l'élévation sociale ?
En vous livrant à des diatribes qui tiennent parfois du narcissisme mal maîtrisé, vous ne suscitez plus l'adhésion. Vous inquiétez. Vous isolez. Vous ternissez votre propre image.
"Il faut sauver Choguel", disait récemment Yacouba Coulibaly, avec cette sagesse qui manque tant au débat public. Mais vous sauvez non pas contre vos détracteurs, non : vous sauvez de vous-même.
Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder vers le passé. Moussa Traoré, que vous aviez un jour revendiqué comme mentor, est resté digne et silencieux jusqu'au bout. Même déchu, jamais il ne s'est abaissé à la joute médiatique. Son silence, pesant, mais noble, lui a valu un certain respect posthume. D'autres, avant lui, chez nous comme ailleurs, ont su se retirer sans vacarme, avec cette sobriété qui fait les grands destins.
Vous auriez beaucoup à gagner, à méditer leur exemple. Car à force de vous exposer dans des tribunes belliqueuses, vous effacez peu à peu le capital symbolique patiemment bâti. Vous donnez l'image d'un homme amer, plutôt que celle d'un homme d'État.
Récemment, Yaya Sangaré vous a chargé avec virulence, dénonçant un bilan désastreux. Mohamed Salikéné, avec plus d'élégance, a relevé votre instabilité chronique et vos rhétoriques de plus en plus confuses. Des attaques rudes, mais qui, dans leur excès même, rejoignent une vérité plus large : celle d'un homme qui semble avoir perdu de vue la frontière entre conviction et ressentiment. Et pendant ce temps, vos compagnons du Mouvement patriotique pour le renouveau se taisent. Certains ont déserté, beaucoup n'osent plus vous parler. Pourtant, ce sont eux qui devraient, avec fermeté, mais sans flatterie, vous inviter à faire une pause, à vous retirer un moment, à vous recentrer.Car un homme politique n'est pas seulement un individu. C'est un symbole. Il incarne une mémoire collective.
Chaque mot de trop abîme l'image que vous aviez su construire. Et aujourd'hui, ce ne sont pas vos adversaires qui vous déstabilisent. Ce sont vos propres mots, vos propres colères, vos propres piques. Vous vous exposez à la caricature, vous vous condamnez à l'amertume, vous trahissez la retenue qui sied à ceux qui ont gouverné.
Il est encore temps. Le silence, en politique aussi, peut être un acte. Non de fuite, mais de responsabilité. Un moment de recul qui permet la réflexion, l'apaisement, la réconciliation avec soi-même et avec l'Histoire.
Car, comme l'écrivait Zaki Benameur à propos du silence de Denzel Washington :
"La vérité n'a pas besoin d'éclats. Elle brille dans le calme. Elle s'impose dans la retenue. Elle se révèle dans la grâce silencieuse."
Alors, Choguel, taisez-vous s'il vous plaît ! Pour que vos mots retrouvent leur force, le jour où vous déciderez enfin de les libérer avec dignité.
Seidina Omar DICKO
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