Violence dans les chansons : Attention à l’acceptation populaire des violences basées sur le genre (VBG)

Au Mali, la musique est plus qu’un art : elle est une voix, un miroir social, un moyen de transmettre les valeurs.

12 Juillet 2025 - 12:06
12 Juillet 2025 - 12:12
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Violence dans les chansons : Attention à l’acceptation populaire des violences basées sur le genre (VBG)
Cissé Oumou Ahmar Traoré

Pourtant, dans un pays confronté à de multiples défis sociaux, un phénomène inquiétant passe souvent inaperçu : la banalisation et l’acceptation des violences basées sur le genre (VBG) dans les chansons populaires. De nombreuses œuvres diffusées à la radio, sur les réseaux sociaux ou dans les cérémonies véhiculent des paroles qui normalisent la domination masculine, l’humiliation des femmes, les insultes et agressions physiques ou encore la violence conjugale. Ce fléau culturel silencieux mérite une dénonciation sociale, politique et culturelle franche et urgente.

Diamy Sacko, Artiste-griotte, reconnaît et déplore ce phénomène qui prend de l’ampleur, notamment chez les griots. Pour elle, il est important que le public sache différencier l’artiste, son message et sa personnalité, afin qu’ils ne prennent pas à cœur le virtuel et le factice des artistes dans les clips, les « lives » ou autres formes d’art. En plus de cette distinction entre la fiction et la réalité, Diamy Sacko souligne que le rôle des artistes est surtout de porter des messages constructifs et positifs. Pour elle, les textes doivent être revus, surtout chez les griottes et griots qui sont les détenteurs de nos traditions, des piliers de nos valeurs culturelles et qui doivent éduquer et sensibiliser à travers leur art.

Pour la Journaliste-écrivaine et Experte en genre, Cissé Oumou Ahmar Traoré, l’explication du phénomène est tout autre. Selon elle, il est difficile de situer l’origine de la violence véhiculée à travers la culture. En effet, elle déclare : « nous avons grandi dans un environnement qui nous a façonnés pour faire passer la violence en douceur, à travers les épopées, les chants, les récits, les chansons et autres ».

Participation négative des médias et des productions artistiques stéréotypées

Elle souligne également la responsabilité des médias, des chansons et des pièces de théâtre dans la diffusion de ces messages à caractère dénigrant et discriminatoire, notamment axés sur le genre. Elle soutient qu’à force d’écouter de tels discours, les gens ont fini par les banaliser et les normaliser, car ils sont acceptés par la majorité.

Selon elle, la gent féminine est le plus souvent visée par des lexiques basés sur des stéréotypes, qui constituent en soi une forme de violence. Dans son ouvrage intitulé « Les Blessures de l’Art », Cissé Oumou Ahmar Traoré décrit comment la culture, mal exprimée ou exploitée, peut devenir un instrument d’incitation à la violence de genre. Elle révèle un lexique péjoratif et disgracieux pour la femme, couramment utilisé par des artistes dans leurs chansons ou dans des sketches. Parmi ces termes, on peut citer : « Sakoro » (qui a un sens étymologique trop vulgaire, résumé ici comme « vieille » ou « mature »), « Pekelé » (qui signifie « maigrichonne »), et « An ka Tchia ké » (qui se traduit par « viol collectif »), etc. Ces dénominations, bien qu’à connotation dénigrante, provoquent souvent plus l’hilarité du public qu’autre chose.

De plus, s’ajoutent à cela d’autres scènes peu valorisantes pour la femme, souvent à caractère violent, telles que les discours ou les scènes où la femme, c’est-à-dire l’épouse ou la copine, doit être « corrigée » pour être soumise.

Régulation des contenus Culturels

Unanimement, responsables culturels, artistes et citoyens lambda, à l’instar de Mme Cissé, estiment que les autorités doivent prendre des mesures pour réguler le contenu culturel. Cissé Oumou Ahmar Traoré appelle à une législation et à la classification de la violence culturelle parmi les formes de violences basées sur le genre au Mali. De plus, elle indique que la justice doit être mieux formée pour aborder ces questions, en plus de sensibiliser les artistes.

Quant à M. Diarra, il assure que des efforts d’organisation et de classification sont envisagés. Cependant, il souligne que ces initiatives sont retardées par le contexte actuel du pays et le manque de ressources. Il insiste également sur la nécessité pour les artistes de jouer un rôle éducatif et constructif dans la société.

Il est temps d’interpeller les artistes maliens : leur parole a du poids. Ils doivent comprendre que l’art n’est pas neutre. Promouvoir la violence contre les femmes, même sous couvert de métaphore ou de folklore, c’est contribuer à un climat d’impunité.

Le public aussi doit jouer son rôle. Il faut apprendre à écouter autrement, à remettre en question, à refuser d’applaudir l’inacceptable. Les jeunes, en particulier, doivent être éduqués à une culture du respect, de l’égalité des sexes et de la protection des droits humains.

 

Khadydiatou Sanogo/maliweb.net

Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.

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