Mali, finissons avec les procès d’intention : plaidoyer pour la raison (à propos de la polémique Abdoulaye Diop /Modibo Keïta)
La controverse, amplifiée par les réseaux sociaux et certains cénacles nostalgiques, ne cesse d’enfler depuis les propos tenus par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, lors de la deuxième édition du Lomé Peace and Security Forum.

Quelques phrases, sorties très souvent de leur contexte, ont suffi à rallumer des braises mémorielles : le ministre aurait, selon certains, manqué de respect à la figure tutélaire de la Nation, le président Modibo Keïta. Les "héritiers" (sic) du père de l’indépendance ont aussitôt réagi avec véhémence, réclamant non seulement des excuses publiques, mais allant jusqu’à demander sa destitution pour « faute grave ».
Pourtant, à y regarder de plus près, il ne s’agissait nullement d’un procès posthume ni d’un dénigrement de la mémoire nationale. Abdoulaye Diop, s’exprimant dans un cadre académique, évoquait la jeunesse des dirigeants de l’indépendance, leurs conditions de formation et la transformation des exigences du leadership à travers le temps. « Modibo Keïta, quand il arrivait au pouvoir à l’indépendance, avait à peine trente-trois ans », a-t-il rappelé avant d’ajouter : « Les qualités que nous avons aujourd’hui, ils ne les avaient pas. Modibo Keïta était un instituteur, il n’avait pas été préparé à diriger un pays. Nous avons désormais ces expériences, et la jeunesse n’est pas pour demain, elle est pour aujourd’hui. »
Cette phrase, que certains ont jugée « réductrice », méritait sans doute explication, mais certainement pas condamnation. Le ministre a d’ailleurs pris la peine, dès le lendemain, d’exprimer sur les réseaux sociaux son profond respect pour Modibo Keïta, qu’il a qualifié de « figure emblématique de l’indépendance, modèle d’intégrité, d’engagement patriotique et de clairvoyance ». En d’autres termes, il n’a jamais cherché à diminuer son héritage, mais à souligner la nécessité de relire notre histoire avec lucidité et sans tabous.
Il faut dire que le débat sur Modibo Keïta est souvent enfermé dans un prisme hagiographique où toute nuance devient blasphème. Les héritiers de l’illustre homme, animés d’un souci légitime de préservation de la mémoire, auraient pourtant gagné à replacer la parole ministérielle dans son cadre : celui d’une réflexion sur la maturation des élites africaines et sur la transmission des expériences politiques.
Je me permets ici une précision d’ordre personnel : mes propres affinités avec Modibo Keïta ne relèvent pas d’un opportunisme tardif. Elles sont inscrites dans l’histoire même de mon père, Mohamed Abdoulaye Dicko, compagnon de jeunesse du futur président, d’abord au Collège Terrasson de Fougères, puis à l’École William Ponty. J’ai toujours eu à reformater, dans mes écrits, les excès iconoclastes, comme les emballements hagiographiques dont il fut l’objet, sans en tirer la moindre gloriole. Je reste convaincu que la mémoire d’un homme d’État ne se défend pas par la crispation, mais par la vérité.
Aussi m’étonné-je que tant d’ardeur se déchaîne aujourd’hui contre Abdoulaye Diop, lui dont les parents furent de tous les combats avant-gardistes du RDA, ici même au Soudan français et au-delà. En 1963, lors du drame des refoulés du Congo-Brazzaville, ils furent du nombre de ceux qui répondirent à l’appel de Modibo Keïta pour venir en aide à leurs compatriotes. Ce lien historique, nourri de fidélité et de sacrifice, aurait dû inviter à la retenue avant d’ériger le fils d’un tel héritage en coupable d’un prétendu sacrilège.
L’on peut certes contester les mots, mais non l’engagement. Abdoulaye Diop sert l’État malien depuis près de quarante ans, avec constance, discrétion et efficacité. Lui exiger aujourd’hui de quitter le gouvernement, c’est méconnaître l’ampleur de son service rendu à la diplomatie nationale et à la souveraineté du Mali.
Dans un pays qui a toujours su faire de la tolérance une vertu cardinale, il serait souhaitable de ramener ce débat à sa juste mesure. Plutôt que d’entretenir des procès d’intention, sachons entendre la complexité d’une parole qui, loin de profaner la mémoire, invitait à la réfléchir. Le Mali n’a rien à gagner à transformer la moindre phrase en affrontement symbolique.
Dicko Seidina Oumar
Journaliste -Historien- Écrivain
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