Malmenés par la Rumeur

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    La famille Keïta est accusée d”avoir voulu vendre une servante albinos à des sacrificateurs. Aucune preuve n”étaye cette accusation dont la famille a subi de plein fouet les effets collatéraux.

    Adama Diarra existe-t-il réellement ? Une personne malintentionnée s”est-elle servie de ce nom pour authentifier son mauvais dessein et accuser un honnête citoyen de vouloir commettre une action criminelle ? Pour l”instant la question reste sans réponse étayée pour éclairer les dessous d”une affaire à première vue banale. Mais le dossier a pris une tournure dramatique, car d”autres ingrédients y ont été mêlés.

    Nous sommes le 14 décembre. Le doyen Aly Badara Keïta, journaliste sportif aujourd”hui à la retraite, se repose dans son salon. Les enfants prennent le thé sous un arbre à l”entrée de la concession. Quatre jeunes filles, toutes des employées de maisons, font leur apparition. Elles saluent, pénètrent dans la cour et demandent à rencontrer Rokia Diarra, une albinos d”environ 14 ans, aide ménagère chez Aïssata Keïta, la fille du vieux journaliste. Les quatre inconnues, de leur aveu, sont porteuses d”une commission du grand frère de Rokia Diarra, un certain Adama Diarra. Aly Badara Keïta demande aux jeunes filles la teneur de cette commission si urgente. L”une des "émissaires" du fameux Adama Diarra réagit : "Rokia doit nous suivre chez son grand frère." Le maître de maison rejette cette injonction émanant de parfaits inconnus pour lui. Il charge à son tour les adolescentes de demander à Adama de se présenter en personne.

    DES "COUPEURS DE TÊTE" :

    Rien de bien méchant jusqu”ici. Les quatre filles repartent d”ailleurs après avoir échangé des plaisanteries avec Aly Badara Keïta. Moins de 20 minutes plus tard, le quatuor réapparaît accompagnée cette fois-ci de Mimi Diakité, la patronne de l”une d”entre elles. Notre ancien confrère assure que Mimi Diakité a fait irruption dans sa cour et l”a apostrophé d”un ton agressif pour réclamer la servante Rokia Diarra. La jeune fille, jure-t-elle, est en danger. Interloqué, le maître de maison ne cède cependant pas à ces injonctions. La dame prend acte de la fin de non recevoir qui lui est opposée et lance avant de partir : "l”affaire se réglera au Camp I". Elle s”en va suivie des jeunes employées de maison.

    Peu de temps après le départ de Mimi Diakité, des policiers débarquent chez le journaliste à la retraite. "Un groupe de policiers est arrivé chez moi et a réclamé la fille qui serait en danger", raconte Aly B. Keïta. Le vieil homme, après avoir calmé les ardeurs des agents, se laisse embarquer, lui et certains membres de sa famille, à destination du commissariat. Au 4e arrondissement, Aly Badara Keïta, apprend qu”il est soupçonné de vouloir livrer Rokia Diarra à des "coupeurs de tête".

    Le commissaire entend 8 filles employées de maison pour dénouer l”imbroglio. Aucune n”a pu situer avec exactitude l”origine de la rumeur de la livraison programmée de la jeune albinos à des coupeurs de tête. "Chacune des filles a dit que c”est l”autre qui l”a informée", raconte le vieux journaliste.
    Aly Badara Keïta a introduit une plainte auprès de Mme le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune V. Notre récit jusqu”ici reprend l”essentiel de cette plainte.

    Le commissariat du 4e arrondissement donne une autre version de l”affaire. Le commissaire divisionnaire Moumini Seri rappelle que le 14 décembre dernier la dame, Mimi Diakité, s”est présentée à son service. Elle a fait une déclaration dans laquelle elle a assure que la vie d”une fille albinos, employée chez les Keita, était en danger. La femme s”est rendue à la police après une altercation avec les membres de la famille du vieux journaliste. Dans sa déposition Mimi Diakité, soutient avoir appris de sa bonne que Aïssata, une fille de Aly Badara Keïta, aurait vendu Rokia lors de son dernier voyage à l”étranger. Pour que Rokia ne lui échappe pas, sa patronne lui accorderait désormais le privilège de dormir dans sa chambre. L”employée de Mimi assure tenir son information d”une autre aide-ménagère. Cette informatrice soutient, avec conviction, que la séquestration de la fille explique les difficultés actuelles de la faire venir à leurs assemblées communautaires nocturnes.

    UN GRAND FRÈRE IMAGINAIRE :

    Ayant appris de graves rumeurs qui mettent en cause les Keita, Mimi rend visite à cette famille pour en avoir le cœur net et informer le chef de famille des bruits qui courent. Dans sa déposition, Mimi estime ne pas avoir été comprise. Elle soutient avoir été verbalement agressée par le chef de famille et sa fille Aïssata. Ce mauvais accueil l”a rendu furieuse. Elle est donc allée naturellement à la police rapporter la rumeur qui circule. Informé du danger guettant une personne, le commissaire a envoyé trois agents dans la famille Keita pour en savoir davantage. Les éléments, dans leur compte-rendu, assurent avoir été mal accueillis. Ils ont alors demandé au chef de famille de les accompagner au commissariat. C”est devant le commissaire que Aly Badara Keïta a expliqué que c”est la propre mère de Rokia Diarra qui l”a placée dans sa famille. Celle-ci est venue confirmer ce fait au commissariat et s”étonner qu”on se réfère à un grand frère imaginaire de Rokia. Imaginaire car la jeune albinos n”a que des soeurs. Deux exactement.

    Personne n”a pu situer l”origine ou expliquer la propagation rapide dans le quartier de la rumeur d”une transaction commerciale sur la tête de Rokia. Huit filles, toutes des employées, ont été entendues à la police. Malgré leurs efforts les agents de la brigade de recherche et de renseignement du commissariat du Quartier-Mali ne sont pas parvenus à vérifier l”authenticité de la rumeur. Le dossier a été logiquement classé sans suite, après information du procureur de la République près le tribunal de première instance de la commune V.

    Mais Aly Badara Keïta s”est estimé diffamé par Mimi Diakité car l”histoire a mis le quartier en ébullition et entaché son honorabilité. Il a porté plainte contre son accusatrice par l”intermédiaire du cabinet de Me Amidou Diabaté, le 27 décembre, et semble tenir le bon bout puisqu”aucun élément à charge fondé n”a pu lui être opposé jusqu”ici. Le mystérieux Adama Diarra reste introuvable et le témoignage de la mère de la jeune Rokia semble décisif. Histoire à suivre, néanmoins.

    G. A. DICKO

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