Loutana : Lorsque l’orgueil fit tomber Fantoni, il y a 135 ans
Il est des batailles qui ne se limitent pas aux lances et aux murailles. Certaines, comme celle de Loutana en 1890, opposant deux royaumes frères – Loutana et Kénédougou – nous parlent encore aujourd’hui.

Elles nous enseignent que la grandeur d’un dirigeant ne se mesure pas seulement à la force de ses guerriers, mais à la sagesse de ses décisions.
En ce mois de juin 1890, Tièba Traoré, Roi de Kénédougou, mobilise un millier d’hommes, ses meilleurs généraux, et fait venir un renfort conduit par son frère Babemba accompagné du capitaine français Quinquandon. En face, à Loutana, le Roi Fantoni Traoré se tient fièrement derrière ses murailles, entouré de quelques centaines de guerriers prêts à mourir plutôt qu’à céder.
Le 21 juin, Tièba assiège Loutana. Le 29, il lance l’assaut. Trois jours de combats acharnés s’ensuivent. Résultat : un échec sanglant, 80 morts, 584 blessés, Tièba lui-même touché, son griot Djéli Mori blessé au front. L’offensive se transforme en blocus. Il ne s’agit plus de vaincre par l’épée, mais par la faim.
C’est alors que survient le moment décisif de toute guerre : l’instant où la parole pourrait remplacer le fer. Quinquandon propose la négociation. Mais Fantoni, gonflé de certitude et persuadé de l’arrivée prochaine de son allié, le Roi de Kinian, refuse.
Erreur fatale
Car « le temps politique n’est pas celui des tambours ». La famine étouffe la cité. Le secours de Kinian arrive trop tard et tombe dans une embuscade tendue par Babemba et Quinquandon. Le dernier espoir est balayé. Acculé, Fantoni se rend. Mais l’histoire ne lui offrira ni pardon, ni traités : le 16 septembre 1890, il est exécuté, et Loutana est mise à sac.
Cette guerre fratricide n’est pas qu’un souvenir. Elle est un miroir tendu à toute nation, à tout dirigeant, à tout peuple. Que nous dit-elle ?
1. Il y a un temps pour combattre… et un temps pour négocier
Fantoni a su défendre, mais il n’a pas su négocier à temps. La bravoure sans lucidité devient ruine. Le chef n’est pas seulement celui qui combat ; il est aussi celui qui sait sauver son peuple avant qu’il ne soit trop tard.
2. L’orgueil d’un homme peut devenir la tragédie d’un peuple
Par peur d’humilier sa couronne, Fantoni a sacrifié des vies. Gouverner, c’est parfois choisir la paix quand bien même elle coûte l’orgueil personnel.
3. Aucun secours n’est certain s’il n’est pas préparé
Le secours promis par Kinian fut illusoire. Il n’est pire stratégie que d’attendre le salut d’autrui. Un peuple doit fonder sa survie sur sa propre sagesse, non sur les promesses extérieures.
L’Histoire ne juge pas : elle avertit. Loutana n’est pas un simple épisode de bravoure. C’est un avertissement politique : À ceux qui croient que la force suffit, elle rappelle le pouvoir du dialogue. À ceux qui se fient aux alliances, elle rappelle l’urgence de l’autonomie. À ceux qui gouvernent, elle enseigne que la vraie victoire est celle qui épargne les innocents. L’histoire ne doit pas être récitée : elle doit être méditée. Les héros du passé ne nous lèguent pas des erreurs à répéter, mais des leçons à comprendre.
Loutana, 1890
Quand deux frères se font la guerre, c’est toujours le peuple qui meurt. Et quand un roi refuse d’écouter la voix de la raison, l’Histoire finit par le parler à sa place.
Source des faits historiques : livre de l'historien Soumaïla Sanoko, Le Royaume du Kénédougou 1825-1898
Dr. Mahamadou Konaté
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