Pendant huit heures d’horloge, de 16h 20mn à 00h10mn, le général Kafougouna KONE était entendu à huis clos, vendredi dernier, par les députés au sujet des accords d’Alger entre le gouvernement du Mali et l’Alliance démocratique du 23 mai pour la démocratie et le changement. Environ 78 questions lui ont été posées par les députés dont la quasi-totalité des intervenants désapprouvait lesdits accords, excepté les élus du Nord avec Abouzeydi MAIGA en tête et l’honorable Hamadaou SYLLA. La résolution finale des travaux présidés par Me Mountaga TALL a paradoxalement approuvé les accords et apporté son soutien au gouvernement pour leur exécution, les députés RPM ayant décidé de ne pas y apporter leur caution en conformité avec la position exprimée la veille du BPN du parti du Tisserand à l’œuvre. Comme quoi les opinions des députés au micro ne sont pas conformes à celles de la résolution. N’est-ce pas une façon de se dédire du tic au tac, surtout que lesdits accords ont été qualifiés par certains d’entre eux de «trahison du peuple malien » ?
Il est 16h20 environ quand le ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, le général Kafougouna KONE, et les députés de l’Assemblée nationale commençaient leur séance d’audition à huis clos à propos des fameux accords d’Alger que le gouvernement du Mali et l’Alliance démocratique du 23 mai pour la démocratie et le changement ont signés le 4 juillet dernier. Les deux parties voulant par cette signature aplanir et surmonter les difficultés engendrées le 23 mai dernier après les attaques perpétrées contre les camps militaires de Kidal et de Ménaka par d’anciens rebelles touaregs qui avaient été intégrés à l’armée régulière à la faveur des mesures d’application et d’accompagnement du Pacte national signé le 12 avril 1992. Le gouvernement y était représenté par le général Kafougouna KONE et ladite alliance, par le sieur Ag BIBI.
Paix ou guerre larvée ?
L’argument massue du général Kafougouna KONE, qui a fait son exposé liminaire avant les questions des députés, c’est que l’unité nationale et l’intégrité territoriale sont affirmées dans les accords et consignées en lettre d’or dans le préambule du document. En ce qui concerne les autres points détaillés dans les articles et alinéas desdits accords, a-t-il soutenu, ils sont tous prévus par le Pacte national : les projets de développement pour rattraper le retard de Kidal sur les autres régions (sud) du pays, la délocalisation des casernes militaires hors des habitations et agglomérations civiles, les unités spéciales de sécurité (méhariste), etc. Quant au sort à réserver aux déserteurs de l’armée nationale, il a fait savoir que ces derniers allaient être traités avec «discernement ». Mais à la différence du Pacte national qui était favorablement accueilli par tout le peuple malien, les accords d’Alger sont loin de faire l’unanimité au Mali. Car ils sont décriés par la majorité de l’opinion nationale qui les assimile à une capitulation du gouvernement face à une poignée d’individus (200 combattants environ), alors que celui-ci est persuadé que ces accords sont la voie royale qui s’offre au Mali pour restaurer la paix et la sécurité à Kidal et dans tout le Nord du Mali. En effet, les accords font la part belle à Kidal au détriment de tout le septentrion comme cela était spécifié dans le Pacte national. D’autre part, l’unité spéciale est considérée comme une force «parallèle » de sécurité à celle de l’armée nationale. Par ailleurs, l’impunité des mutins est jugée inamissible au regard du règlement militaire en vigueur dans toute armée moderne. Aussi, des campagnes d’explication et de justification sont-elles lancées tous azimuts pour convaincre sur le bien-fondé de ces accords dont la signature vise à éviter au Mali une guerre «inutile ».
Pluie de questions
En réaction, les députés lui ont lancé une pluie de questions aussi embarrassantes les unes que les autres dont la plus transversale est que le dossier a été géré en dehors du Pacte national en dépit des apparences comme les allusions fréquentes à ce document. Qu’est-ce qui a motivé la signature de ces accords ? N’est-ce pas un Pacte national bis ? Quelle est la qualité des signatures du côté des insurgés pour en garantir le respect et l’application ? Quels sont le sens véritable et la portée réelle desdits accords au-delà des mots «rassurants » qui sont déclamés dans le préambule ? Quel est le sort qui sera réservé aux mutins du 23 mai dernier ? Malgré les concessions faites aux mutins à travers ces accords, le Mali est-il à l’abri d’une nouvelle insurrection ou rébellion qui ne dit pas son nom ? Voilà entre autres questions récurrentes que les honorables députés ont posées au ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales.
Lors du précédent huis clos sur le même sujet, les députés avaient été catégoriques sur la nature et la portée des accords : le Pacte national, le Pacte national, le Pacte national. En identifier les blocages et les insuffisances pour y apporter les correctifs nécessaires, telle était la ligne directrice des négociations que les députés ont tracée pour le général KONE en guise de boussole. Mais la signature des accords d’Alger, selon certains députés, remet en cause le Pacte national. La preuve, sont-ils convaincus, c’est l’existence concomitante des deux documents qui ont valeur «juridique » autonome même s’il y a convergence ou chevauchement sur certains points. Car chacun d’eux engage séparément le gouvernement de la république du Mali sur le même sujet.
Qui est Ag BIBI ?
Le second point important que les députés ont soulevé était relatif à la qualité des négociateurs. Qui est Ag BIBI qui a apposé sa signature au nom de l’Alliance démocratique du 23 mai pour la démocratie et le changement ? Chauffeur de Iyad Ag GHALI ou promoteur d’agence de tourisme ? Quelle est la nature de cette Alliance : une association, un GIE ou un parti politique ? Quel que soit le cas de figure, le général Kafougouna KONE leur a-t-il délivré un récépissé de création ? Si oui, quand est-ce cela a-t-il été délivré ou pour quelle raison ? Si non, pourquoi est-ce que le gouvernement a signé des accords avec une alliance «fantôme » ? En réponse, le général Kafougouna KONE a fait part aux députés ce qu’il savait de l’identité de M. Ag BIBI : un membre de l’Etat-major des MFUA (Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad) qui est lettré en arabe. S’il est devenu le chauffeur de Iyad Ag GHALI, c’est une réalité qu’il ignore. En tout cas, c’est lui qui a représenté l’alliance du 23 mai pour la démocratie et le changement aux négociations d’Alger.
Le troisième aspect, c’est que le gouvernement a cautionné l’impunité. Car les mutins, selon les explications fournies par le général KONE, seront épargnés de toute sanction disciplinaire conformément au règlement militaire comme cela est de règle dans toute armée républicaine. Le plus grave en plus, se sont indignés les députés, c’est qu’ils seront casés à nouveau dans une unité spéciale dont la composition est de nature à saper l’esprit et la lettre de l’armée nationale où les soldats républicains vont devoir côtoyer les éléments «tribaux ». Toutes choses qui ne sont pas conformes à l’esprit ni à la lettre de la constitution du Mali qui condamne toute prise de décision exclusive à caractère racial, régionaliste ou religieux.
Justification injustifiée
Le quatrième grief s’attaque à la justification même de la mutinerie, à savoir le manque de développement du Nord dont la région de Kidal en particulier. En effet, les députés ont soulevé deux objections de taille. La première, c’est que l’Etat a honoré tous ses engagements économiques et financiers envers les ex combattants de la rébellion des années 1990 : tous les projets ont été financés avec un taux de remboursement qui ne dépasse pas 8%. Sans compter les milliers d’autres qui ont été intégrés à la fonction publique et dans les corps habillés comme les forces armées et de sécurité, la douane, etc. Par ailleurs, l’Etat a investi des milliards FCFA au Nord du pays en application du Pacte national qui a été signé le 12 avril 1992. La seconde chose, c’est que d’autres régions du Mali connaissent les mêmes types de difficultés que celles du Nord. Il s’agit notamment de zones de la bande sahélienne bordant les régions de Mopti, Ségou, Koulikoro et Kayes. Ces populations ne prennent pas pour autant les armes contre l’Etat « qui n’a rien fait pour elles » pour parler comme les rebelles. C’est la jeunesse de ces villages qui s’exile pour ensuite envoyer de l’argent aux familles restées sur place.
Trahison du peuple
En tout cas, au terme de cet huis clos, les députés ont voté une résolution qui est en fait une actualisation de l’ancienne résolution ayant résulté du premier huis clos sur le même sujet. Mais, selon des sources proches de Bagadadji, les députés du RMP n’ont pas cautionné cette résolution pour laquelle ils n’ont pas voté. Il ne pouvait en être autrement ; car le BPN du RPM avait publié, l’avant-veille, un communiqué pour exprimer son désaccord sur ces accords d’Alger. En effet, le parti du Tisserand à l’œuvre n’approuve ni la forme ni le fond desdits accords dont il n’est pas convaincu de la pertinence ni de l’efficacité pour garantir à long terme la paix et la sécurité dans le Nord du pays. En revanche et malgré la désapprobation de vive voix, les autres députés ont paradoxalement voté en faveur de ladite résolution. Sans doute par esprit de groupe. Un d’entre eux n’a-t-il pas lancé au visage du ministre KONE : «Nous avons trahi le peuple malien » ?
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD