La mise à jour du casier judiciaire et du registre de commerce entamée par une équipe de magistrats et greffière à la retraite bat de l’aile. La raison : le non-paiement de leurs prestations et l’indifférence des autorités à faire cette mise à jour nécessaire à la transparence. Les « anciens » sont trimballés entre la présidence de la République, la Primature et le ministère de la Justice.
Depuis plus de vingt ans, les décisions de justice ne sont plus rédigées au Mali aussi bien dans les Cours d’appel que dans les juridictions inférieures. Ce constat a été fait par la Banque mondiale. Cette institution internationale a également constaté que le Mali était le seul pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine à ne pas avoir un casier judiciaire alors qu’il devait participer activement à la réalisation du casier judiciaire sous-régional. Aussi a-t-elle décidé de financer un projet de mise à jour du casier judiciaire et du registre de commerce dans les greffes.
L’idée de confier l’exécution à un Sénégalais, qui devait sous-traiter avec des Maliens, a été abandonnée face aux pressions de magistrats. Finalement, c’est une équipe de sept magistrats et une greffière à la retraite qui s’attelait à cette tâche exaltante honorant le cadre malien. Mais l’équipe de Bakary Bathily (voir encadré) s’est vue dans l’obligation de jeter l’éponge.
Après deux ans de bons et loyaux services, ces magistrats retraités, volontaires, efficaces et déterminés à la tâche et à rendre honneur à leur pays n’étaient pas encore payés. Depuis 5 ans, les braves magistrats retraités courent derrière deux ans de salaires. Et pourtant, les plus hautes autorités notamment le président de la République Amadou Toumani Touré, le Premier ministre, Ousmane Issoufi Maïga et le ministre de la Justice, Me Fanta Sylla, sont tous saisis de l’affaire.
Poisson d’avril
Si Me Fanta Sylla ne daigne plus les recevoir, le président de la République, après une rencontre avec les magistrats peu avant le Maouloud (avril), leur avait promis de régler la note, la Banque mondiale qui avait pris en charge le financement ayant décidé de l’arrêter. ATT aurait même instruit au Premier ministre d’éponger les salaires des braves magistrats sur une rubrique de son choix. Mais d’avril à nos jours rien ! Deux des magistrats ne sont plus en vie.
Ce sont des magistrats désabusés, mais déterminés à servir la patrie avec honneur que nous avons rencontrés vendredi sur leur lieu de travail dans les locaux du Tribunal de première instance de Bamako. En effet, à les entendre leur contrat de travail a été discuté en leur absence. Comme prestation, ils touchaient 350 000 F CFA chacun par mois alors que la greffière se contentait de 125 000 F CFA. Des broutilles, voire une goutte d’eau dans la mer comparativement à de sommes dépensées dans des futilités.
Plus qu’une question de salaire, c’est donc une question de don de soi que la patrie se devait d’être reconnaissant à ces magistrats en leur payant leurs dus. Bakary Bathily l’un des magistrats affirme que l’équipe avait même renoncé à un an de salaire. Il a reconnu le geste de l’ancien ministre de la Justice, Me Abdoulaye Garba Tapo, qui un jour leur a remis gracieusement 100 000 F CFA chacun. Le problème va au-delà des problèmes de salaires de ces magistrats.
Milliards dilapidés
Selon lui, le fait de ne pas rédiger les jugements est une grande insuffisance de notre système judiciaire qu’il faut à tout prix corriger. Son collègue, la greffière, Mme Guindo Aminata Traoré, se souvient qu’en leur temps, elle était mise en demeure de rédiger en un temps record les jugements. Bakary Bathily renchérit en affirmant qu’il ne rentrait jamais à la maison sans avoir rédiger ses jugements tout en regrettant que les juridictions ont rompu avec cette méthode de travail.
Des jugements, il est tiré une fiche appelé « extrait du trésor ». Cet extrait contient le montant des frais qui ont été au nom de la société, engagés par l’Etat dans la poursuite judiciaire. Cet extrait est envoyé aux gestionnaires des domaines et trésoriers payeurs. Ces derniers doivent avoir des agents chargés de recouvrer ces frais. Ce, qui, apparemment ne se fait plus. Ainsi, ce sont des dizaines et des dizaines de millions du contribuable malien, engagés comme frais de justice par l’Etat qui se perdent.
Si une personne est condamnée ou libérée en matière correctionnelle, civile administrative ou commerciale, le tribunal doit le constater par écrit dans un document appelé « la minute ». Dans ce document, le juge président explique pourquoi la personne a été condamnée ou libérée. C’est de la minute qu’est également tirée la grosse de l’exécution d’une décision judiciaire. Cette insuffisance de notre système judiciaire a eu pour conséquence, la non tenue du casier judiciaire. Ce qui fait que des personnes condamnées se retrouvent avec un casier judiciaire vierge parce que simplement, le jugement n’a pas été rédigé et donc on ne trouvera aucune trace de preuve qu’elle a été jugée et condamnée. Ce qui fait que, des repris de justice accèdent à des fonctions où se présentent à des postes alors que, si la justice avait fait tout son travail, ces personnes n’allaient pas se retrouver avec casier judiciaire vierge.
Le Mali qui veut jouer un rôle important dans la construction et le développement de l’Uémoa devrait participer positivement à la réalisation du casier judiciaire sous-régional. Hélas ! Le blocage qui existe actuellement incline à penser que la mise à jour du casier judiciaire est un problème de second plan. Il renforce davantage la pensée de plus en plus répandue et malheureusement justifiée dans les faits, que le cadre malien intègre et bosseur n’a jamais le mérite et la considération.
Le président de la République, qui pourfendait samedi à Tombouctou les intellectuels et prétendait que contrairement à eux il résout politiquement les problèmes posés à ses concitoyens, a l’occasion de prouver aux yeux des Maliens qu’il tient à sa parole : en remettant les retraités ou leurs ayant-droits dans leurs droits et en veillant personnellement à la mise à jour du casier judiciaire de son beau pays.
Denis Koné
L’équipe des magistrats
Bakary Bathily
Ibrahim Nia Karabenta
Mme Guindo Aminata Traoré
Cheick Oumar Dembélé
Moussa Demba Traoré
Seydou Tidiane Traoré (décédé)
Fousseyni Coulibaly (décédé)