Al-Qaida au Maghreb islamique est le grand vainqueur de la guerre au Nord-Mali. Pour la première fois, l’organisation terroriste a une base arrière solide dans la région.
[caption id="attachment_60130" align="alignleft" width="430" caption="© Dessin de Glez paru dans RNW, Pays-Bas."]

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En 1991, on les apercevait, dépenaillés, à la frontière algérienne. Ils n’étaient alors, aux yeux de nomades maliens compatissants, que
“ceux qui ont été privés de leur victoire électorale”. En 2012, ils ont réussi l’inespéré : faire de la zone 9 de l’ancien GSPC [Groupe salafiste pour la prédication et le combat] algérien le sanctuaire djihadiste le plus sûr du moment. Ce 2 avril, avec le tapis rouge déroulé à Tombouctou par Iyad Ag Ali [leader touareg, fondateur du mouvement islamiste Ansar Dine] à Abuzeïd et Ben Mokhtar, ces deux chefs d’Aqmi rééditent l’exploit de la Longue Marche, le Coran à la place du
Petit Livre rouge, le lance-roquettes à la place du glaive. Et la Révolution culturelle comme camisole de force pour les pays et les gens à leur portée. Ils jubilent dans les enceintes de leur Grande Muraille, solidement construite de nos rendez-vous manqués, de nos erreurs de jugement et, plus grave, de nos cupidités mafieuses. Ils sont arrivés là, certes, avec force compromis d’ordre tactique, avec aussi de la compromission au regard de la doctrine. Mais leur objectif était et reste le djihad. La guerre sainte, mais la guerre tout de même.
Dans l’enfer des ergs et des dunes, les “fous de Dieu” vivaient leur hégire [départ du prophète de La Mecque pour Médine, date importante dans le calendrier musulman]. Et, l’hégire revenant toujours sur ses pas, l’alliance Ansar Dine - Aqmi nous fera trembler tous. Au Nord-Mali conquis, ils peuvent, impunément pour l’instant, assurer gîte, couvert et sécurité aux moudjahidin traqués du monde entier. Dans leur collimateur, une cible logique : l’Algérie. Même si ce pays a la particularité de disposer d’un service de sécurité fort et d’une expérience appréciable dans la traque des terroristes, les djihadistes ont un allié de taille, ironiquement dopé par les printemps arabes : c’est le repli identitaire sur l’islam dans le nouveau Maghreb. Les peuples et les pouvoirs maghrébins résisteront à l’extrémisme, c’est certain. Mais le propre de l’extrémisme est de ne pas lâcher. Ni en Afrique du Nord ni en Afrique subsaharienne – dans une subtile stratégie de division du travail, cette dernière est “confiée” au Mouvement unifié pour le djihad en Afrique de l’Ouest.
Et, en hôte ingrat, l’intégrisme armé se paiera d’abord le Mali. Et la Mauritanie [du président] Ould Abdel Aziz ne dormira que d’un œil inquiet. Son pays est par excellence une réserve pour Aqmi : langue hasanya, proche de l’arabe, statut de république islamique et ancienne pépinière de djihadistes. Et puis, avec les raids successifs de Nouakchott contre les bases d’Aqmi, il y a un fâcheux contentieux en cours. Mais l’onde de choc ira bien plus loin. Entre Tombouctou aujourd’hui et Maiduguri [capitale de l’Etat islamique de Borno, dans le nord du Nigeria], entre Aqmi et Boko Haram, les arguments pour une alliance stratégique sont devenus plus forts. Sous les applaudissements des bidonvilles, ils tailleront des croupières aux kleptocraties, avatars locaux du projet démocratique dans lesquels l’Occident voit, à tort, les messagers sûrs de sa pensée unique. Pour tout dire, le fameux héritage judéo-chrétien ! Les rançons ont produit des rentes, peut-on dire. Hélas, le temps n’est plus aux calembours.
12.04.2012 | Adam Thiam | Le Républicain